10/10/1999 – Lettre de l’Opposition Djiboutienne Unifiée (ODU) au Président du FMI, pour lui demander de ne pas soutenir financièrement la dictature de M Guelleh.

L’OPPOSITION DJIBOUTIENNE UNIFIÉE (O.D.U.)

Djibouti, le 07 Octobre 1999

Monsieur Michel CAMDESSUS
Directeur Général du FMI
WASHINGTON DC
USA

Télécopie : 001 202 625 72 01

Monsieur le Directeur Général,

Le tout jeune ministre djiboutien des finances qui a fait il y a à peine quelques mois l’objet d’une enquête vite étouffée dans l’oeuf pour détournement de plusieurs dizaines de millions de francs djiboutiens vient de déclarer non sans aplomb sur les antennes de la télévision djiboutienne

qu’il vous aurait rencontré la semaine dernière à Washington,

que vous auriez personnellement approuvé la demande de facilités d’ajustement structurel renforcé

que le gouvernement de la République de Djibouti était donc sûr d’obtenir des fonds de plusieurs centaines de millions de dollars puisque vous vous seriez son avocat lors de la réunion des administrateurs de votre institution devant se tenir d’ici à deux semaines.
Ces affirmations ont surpris tous les observateurs un tant soit peu avisés de la situation réelle qui prévaut en République de Djibouti.

En effet, tout le monde se demande comment le FMI pourrait-il permettre au gouvernement djiboutien d’accéder à une quelconque facilité d’ajustement structurel alors que ce dernier ne remplit et n’est d’ailleurs près de remplir aucune des conditions fondamentales exigées en la matière par l’institution que vous dirigez !!!

En premier lieu et comme s’en fait presque quotidiennement l’écho la presse tant nationale qu’internationale la guerre civile fait de plus en plus rage avec son lot de morts et de destructions.

Conséquence inéluctable, le gouvernement recrute à tour de bras ; même s’il agit plus ou moins discrètement pour ce faire, tout le monde le sait pertinemment car Djibouti est un gros village.

Bien pire encore ses dépenses en matériel militaire ont vertigineusement augmenté ces derniers mois :

il lui a fallu en particulier acquérir un hélicoptère de combat et de transport MI 16 flambant neuf dont il s’est vanté sur les antennes de la radio et de la télévision djiboutiennes ;

il a aussi fait réparer un autre hélicoptère gravement endommagé.
Bref, ce gouvernement se prépare donc de toute évidence à une intensification de la guerre de sorte que personne pas même le FMI ne saurait décemment garantir que les fonds sollicités ne serviraient pas à l’effort de guerre inéluctable :

ce n’est pas là l’objet des facilités d’ajustement structurel, n’est-ce-pas ?

Ensuite  » l’omerta  » politique que veut obstinément et violemment imposer le régime djiboutien l’oblige à déployer quotidiennement et faire intervenir très souvent ne serait-ce que dans le centre-ville même de Djibouti des forces de police considérables sans précédent dont il ne peut absolument pas se passer.

Au surplus la police politique est visiblement plus étoffée et incroyablement omniprésente au plus profond de toutes les ethnies jusqu’aux sous-sous-groupes et clans sans compter les couches sociales, les entreprises privées comme publique etc…

Ainsi n’est-il donc pas surprenant que les dépenses permettant de maintenir le pouvoir absolu régnant à Djibouti atteignent 60 % du budget national quand elles ne dépassent pas ce seuil.

Il en résulte, qu’en l’état, tout apport de fonds au gouvernement djiboutien constituera immanquablement un soutien financier à un régime dénoncé par la communauté internationale unanime comme tyrannique ou dictatorial.

La question qui se posera alors si le FMI accède à la requête du dirigeant djiboutien sera de savoir si un tel soutien entre ou non dans les compétences et dans la mission dévolues à cette institution.

Par ailleurs et comme vous le savez certainement la survie même du régime repose sur une corruption effrénée à ciel ouvert et qui a gangrené tout le pays.

Comme le sait parfaitement votre représentant à Djibouti pour y avoir été trop souvent reçu en intime (l’épouse de Monsieur A. M. HAMMOUDI s’en est publiquement vantée dans les locaux d’une agence de voyage !) le superbe et immense château des mille et une nuit que s’est fait construire le Président Guelleh en pleine ville de Djibouti en constitue indiscutablement et hélas une éclatante illustration.

C’est d’ailleurs le résultat que l’on connaît à tout régime totalitaire, dictatorial, tyrannique et qui ignore volontairement ce que votre institution appelle la bonne gouvernance.

En République de Djibouti le Chef de l’État concentre entre ses mains et exerce pleinement tous les pouvoirs ayant réussi à asservir sans faille non seulement le législatif monolithique mais aussi le pouvoir judiciaire comme le prouvent tous les rapports des plus grandes ONG de défense des droits de l’homme et comme l’a même très directement déclaré sur les antennes de RFI l’actuel ministre français de la coopération.

Après avoir emprisonné tous les opposants (y compris les dirigeants syndicalistes que votre représentant a très gravement omis de rencontrer) dans des conditions condamnées par le monde entier, le régime djiboutien vient d’intervenir et donc de faire taire les deux derniers journaux indépendants provoquant la colère non seulement de Reporters Sans Frontières mais aussi d’Amnesty International, de la CIJ etc …

Il a donc réussi par la violence et par l’arbitraire à imposer dans ce pays  » l’omerta  » politique.

La première conséquence qui concerne très directement le FMI en particulier réside dans le fait qu’il n’existera aucune possibilité de critique et de contrôle des dépenses publiques dont l’exigence de transparence est d’autant plus impérative qu’elle constitue une condition essentielle préalable à tout octroi de la moindre facilité d’ajustement structurel.

La seconde conséquence tient au fait que l’on est très loin de toute idée de bonne gouvernance, bien au contraire.

La troisième, non des moindres et sûrement pas la dernière des conséquences, résulte de ce que hélas la violence appelle la violence et aucun régime aussi totalitaire soit-il n’a pu vivre en paix car, comme l’a si bien dit François MITTERAND en 1982  » quand les injustices, les inégalités dépassent la mesure, il n’y a pas d’ordre établi, pour répressif qu’il soit, qui puisse résister au soulèvement de la vie « .

Lorsque le Peuple djiboutien se sera débarrassé du calvaire qu’il vit actuellement au quotidien, qui sera comptable des deniers que ses bourreaux auront dilapidés ?

Car comme le prouve malheureusement l’expérience tous ces individus ivres de pouvoir finissent toujours par disparaître d’une manière ou d’une autre avec leurs butins.

C’est pourquoi il semble impératif d’exiger dès à présent que soient respectés complètement et sûrement tous les garde-fous imposés habituellement par le FMI en ce qui concerne la requête émanant du gouvernement djiboutien dans les circonstances actuelles qui permettent à tous les observateurs de constater que le régime djiboutien ne remplit aucune des conditions susceptibles de lui permettre de bénéficier de la moindre facilité d’ajustement structurel.

Comptant sur votre vigilance comme sur celle des administrateurs du FMI et restant à votre entière disposition pour vous apporter tout éclaircissement que vous estimerez nécessaire, nous vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur Général, l’expression