21/10/1999 – Communiqué du Collectif des Officiers Libres de l’AND, pour dénoncer la politique de M. GUELLEH

Dieu est témoin que longtemps, nous avons hésité, temporisé et mûri nos pensées avant de nous résoudre à l’impérieuse nécessité de nous engager dans cette voie.

Finalement la décision est prise : la raison le suscite et le sens du devoir l’exige.

Nous avons longtemps hésité car il n’est jamais aisé pour un soldat républicain, de quelque rang qu’il soit, de se départir de ce qui a toujours constitué un des principes fondamentaux des Forces Armées, a savoir la loyauté et la subordination aux autorités politiques du pays.

Un principe qui découle du caractère apolitique de l’Armée par lequel elle s’interdit d’intervenir dans les joutes politiciennes en s’imposant une obligation de réserve dans le débat public.

En tant que tel, le concept est louable car il s’agit non seulement de ne pas distraire l’Armée de sa mission principale (la défense de la nation sur ses frontières), mais aussi de garantir à cette même nation que ceux-là auxquels le peuple a confié ses armes pour le défendre, ne se retournent contre lui en prenant parti dans la lutte pour le Pouvoir, vu que cette lutte peut parfois être vive et féroce comme cela arrive souvent, même dans les démocraties les mieux consolidées.

Or, étant par leur enclins au débat contradictoire, s’engager dans le débat politique c’est forcément, pour les militaires, prendre parti pour un des protagonistes en lutte pour le Pouvoir.

C’est donc obliger ses adversaires à se constituer, à leur tour, en front armé pour tenter de rétablir l’équilibre.

Et pour peu que l’issue penche en faveur de ces derniers, c’est l’Armée qui prend l’initiative des hostilités (comme en Algérie en 1991), redoutant à juste titre, la purge qui ne marquerait pas de s’ensuivre.

Et dans le cas inverse, c’est la guérilla assurée, comme à Djibouti en 1991 et bientôt en 1999 si l’on y prend garde ! ! !

En effet, l’A.N.D. a supporté ces dernières années de multiples manœuvres pour l’impliquer dans le débat politique, aussi bien de la part du gouvernement que de la part de l’opposition.

Cette dernière par des provocations ou de tentatives de récupération, et de premier en abusant de son autorité, profitant en cela de notre devoir d’obéissance, pour donner des instructions à la limite de la légalité ou pour créer une atmosphère telle que l’Armée Nationale ou la Police ne sont finalement devenues que de vulgaires instruments semblables à une milice gouvernementale.

C’est là un statut que nous étions nombreux à refuser avec une forte indignation, mais en silence jusqu’à ce jour.

A l’origine, il semble que cette situation soit née d’une sérieuse erreur d’appréciation des hommes politiques.

Cette erreur vient de ne s’être pas fait une notion exacte de l’esprit militaire et d’avoir confondu notre obéissance à la soumission.

La différence étant que la soumission suppose une contrainte par le corps, tandis que l’obéissance est un acte réfléchi et librement consenti en homme libre.

Car, il faut être un homme libre pour exécuter un ordre avec rigueur dans l’esprit dans lequel il a été prescrit et en prenant avec détermination toutes les initiatives nécessaires à son aboutissement jusqu’à décider l’ouverture du feu, quitte ensuite à en supporter les éventuelles conséquences regrettables.

Tandis que l’homme soumis, prêt à céder devant la première difficulté, se contenterait de faire uniquement ce qu’on lui demande de faire. Mais pour cela nul besoin d’officiers formés à grand frais.

Toute la question est donc de savoir ce que l’on attend de nous. A cette lancinante question s’ajoute un dérèglement total de l’éthique militaire à tel point que l’Armée est livrée à elle-même.

Ce qui est dangereux pour des gens en armes. En un mot, le malaise est profond au sein de l’Armée Nationale.

Tout le monde en est conscient, mais personne n’ose s’attaquer à la racine du mal. Sans trop nous attarder sur les détails de ce malaise dans ce premier communiqué, nous nous limitons à interpeller la Société Civile Djiboutienne :

– est-il encore dans ce pays d’hommes et de femmes, doués de bon sens et de raison, se sentant suffisamment investis de responsabilités morales pour montrer avec fermeté à qui de droit que l’épine dorsale est désormais touchée ?

Il faut noter que cette question n’interpelle pas ceux qui sont gouvernants (disqualifiés pour être restés indifférents) mais plutôt ceux qui, par leurs qualités, seraient dignes de l’être, ceux qui sauraient diriger ce pays plutôt que ceux qui ont acquis le droit d’une manière ou d’une autre, sans le savoir requis.

Fait à Djibouti en ce vendredi
Saint Jumaada II
(24 septembre 1999)

Signé Le Collectif des Officiers Libres

NDLR : comme chacun le comprendra, l’anonymat est la seule protection
de ces hommes contre une répression farouche