05/02/2000 – Pourquoi la FRANCE est-elle condamnée à tout tenter pour « étouffer » l’Affaire BORREL ?

L’affaire BORREL empoisonne les relations franco-djiboutiennes.

Djibouti a réagi très vivement à l’information diffusée en France de la mort probable par assassinat du juge BORREL, soi disant suicidé en 1997.. C’est vrai qu’il vaut mieux attaquer lorsque l’on se sent coupable … ! (Rappelons cependant que la culpabilité possible de M. GUELLEH reste à vérifier et à établir, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui).

A la suite de l’indépendance de Djibouti, et malgré la détérioration démocratique rapide et grave du régime dès les années 80, la France a continué de soutenir contre vents et marées les dictateurs de Djibouti et l’opinion locale comme internationale a tendance à penser, que, sans doute pour des intérêts cachés, la France a « peur » des réactions djiboutiennes. Face aux nouvelles violations avérées des droits de l’homme, et face à cette découverte d’assassinat, tout laisse à penser qu’une fois encore la France ne va pas lâcher le camarade GUELLEH dans l’adversité..

Le Gouvernement français aurait pu profiter de cette affaire pour provoquer la fin d’un régime dictatorial et sanguinaire : soit en incitant vigoureusement au changement d’orientation, soit en imposant des règles minimum en terme de démocratie et de respect des droits de l’homme, en contrepartie de l’aide financière qu’elle maintient directement et indirectement.

L’affaire BORREL ( vraisemblable meurtre maquillé en suicide) : trois niveaux distincts de responsabilité :

1 – D’abord l’assassinat probablement par des Djiboutiens. Qui ? Agissant sur instruction de qui ?
2 – Ensuite la mise en scène du suicide, probablement par des djiboutiens ? Agissant sur instruction de qui ?
3 – L’accréditation de la thèse du suicide par les autorités françaises. Dans le cas du juge Borrel, s’il y a eu meurtre comme désormais tout le laisse supposer, il est clair que ce meurtre a été maquillé en suicide avec l’accord ( la complicité ?) de la France. Ce sont bien les français qui ont certifié, dans les heures suivant la découverte du corps, qu’il s’agissait d’un « suicide regrettable ». Ce serait le Chef (français) de la Mission de Coopération de l’époque qui aurait pris la décision de déclarer que ce n’était pas un meurtre … C’est un juge français qui l’a confirmé plus tard.

On comprend ainsi que les autorités françaises n’ont aucun intérêt aujourd’hui (ni hier) à ce que cette affaire soit élucidée, car la mise au jour de l’assassinat pourrait impliquer non seulement des djiboutiens mais aussi des français aux intérêts tapis dans l’ombre.

A moins d’un sursaut salutaire malheureusement peu probable, il va nous falloir assister à de nouvelles manoeuvres qui tendront à étouffer l’affaire dans les prochains jours.

Il y a tout lieu de croire qu’un dispositif français fort efficace d’étouffement de l’affaire est en train de se mettre en place, à trois niveaux :

En première ligne, Le juge Le Loire, qui instruit officiellement le dossier, s’est déjà rendu à Djibouti avec pour mission officielle d’élu(ci)der l’affaire. Il en est revenu en affirmant qu’il n’avait rencontré aucun témoin susceptible de laisser penser qu’il s’agissait d’un meurtre (même si l’autopsie, effectuée – curieusement – longtemps après le décès, a conclu sur le fait que le juge BORREL n’était pas mort carbonisé …!). Le juge a déjeuné chez Monsieur GUELLEH : est-ce le seul témoin qu’il a rencontré ?

Quand, il y a presque deux mois, un ancien militaire réfugié à Bruxelles a demandé à témoigner : les deux juges français en charge du dossier (Roger Le Loire et Marie-Paule Moracchini ) n’ont pas jugé nécessaire de se déplacer pour l’écouter. Il a fallu la pression de la mobilisation médiatique (informations dans Le Monde, Le Figaro, France 2, ) pour qu’ils se décident enfin à rencontrer le témoin. Au cours de l’audition, Ils auraient essayé de l’influencer en insistant sur le fait qu’il pouvait revenir, à tout moment, sur ses déclarations, etc… sur la gravité de ses accusions et sur les risques qu’il encourait en persistant, …. (Cf Le FIGARO du 3/02 et Libération du 4/02). Le témoin a maintenu son témoignage : le juge Borrel aurait bien été assassiné.

En deuxième ligne : « museler » la télévision .
A titre d’exemple, un sujet sur l’affaire Borrel annoncé pour le journal a été déprogrammé plusieurs fois et à la dernière minute …

En troisième ligne : la possibilité d’exercer des pressions sur les témoins pour qu’ils se taisent.
En particulier sur ceux qui ont une partie de leur famille vivant à Djibouti et qui sont les plus vulnérables, mais ce ne sont pas les seuls. Il n’est pas exclu que des témoins se rétractent et refusent désormais de parler …

Tout laisse donc penser que si les pouvoirs publics français actuels sont effectivement engagés dans cet objectif d’étouffement de l’affaire Borrel et de tous les comportements de violation des droits de l’homme qu’elle implique, l’affaire n’a effectivement aucune chance d’être jamais élucidée.
Pourquoi tient-on tellement à étouffer l’Affaire Borrel, pourquoi tient on tellement à méconnaître les violations des droits de l’Homme à Djibouti ?

La veuve du juge Borrel, pourtant elle-même magistrate, aura bien du mal à faire éclater la vérité dans ces conditions et avec une tel mur de silence devant elle. Sauf à réussir à lever le verrou du silence, et à faire reprendre l’instruction à la base, avec un vrai but de recherche de la vérité.

Cela dit, les temps évoluent, l’opinion, de plus en plus consciente, et informée quoi qu’il en soit par une presse et des journalistes soucieux de vérité, commence à se lasser de l’impunité qui couvre trop habituellement de telles affaires.

Il est ainsi possible que, face à la force têtue de preuves accumulées, de présomptions, et aussi de protestations en recherche de vérité et de démocratie, que les pouvoirs publics de notre pays soient enfin sur ce terrain contraints d’agir selon les règles de l’État de droit que nous prétendons être, et de se donner les moyens de rechercher, de trouver et de diffuser la vérité, quelle qu’elle soit, et aussi pénible qu’elle soit éventuellement.

Il ne faut pas perdre de vue qu’un crime comme celui-là à un mobile. Si le meurtre était confirmé, le mobile aura certainement été de faire taire le juge BORREL. C’est donc qu’il était lui-même, dans le cadre de sa mission de juge, sur une piste qui pouvait déranger ses futurs assassins : trafic, attentat du café de Paris ??? Que savait-il ? Qu’a-t-on voulu lui éviter de révéler ? Sur qui ?

On comprend que nos dirigeants soient enclins à enterrer l’affaire, car la gestion d’une vérité embarrassante est beaucoup plus difficile a posteriori que son étouffement dans l’oeuf.

L’affaire sera-t-elle donc vraiment étouffée pour (apparente et mauvaise) raison d’État ? Ou bien notre pays se hissera-t-il au niveau de l’image qu’il voudrait avoir de lui-même ?

Dénis de justice, dénis d’écoute judiciaire. Musellement de la presse : aujourd’hui encore, Monsieur GUELLEH peut se tranquilliser … Pour le moment, il ne risque rien.

Aujourdhui, une seule personne a encore le courage et la ténacité de se battre pour la vérité : la femme du juge Borrel.

Ne la laissons pas seule.

Avec l’affaire Borrel, il ne s’agit pas ‘seulement’ de l’assassinat d’un juge. Sous la dictature de Djibouti, l’étouffement de la vérité se conjugue avec « les affaires » et la violation systématique des droits de l’homme.

Jean-Loup SCHAAL
ARDHD