06/04/2000 – AFFAIRE BORREL: Un nouveau témoin corrobore la thèse de l’assassinat du juge français à Djibouti en 1995 (Extrait du Figaro)

CONVERSATION CODEE A L’AMBASSADE

Toulouse : de l’envoyée spéciale, Alexandrine Bouilhet

Un nouveau témoin accréditant la thèse de l’assassinat politique dans l’affaire BORREL pourraît être prochainement entendu par les juges Le Loire et Moracchini. Il s’agit d’Abdourahman Yassin, 39 ans, un ancien conseiller diplomatique djiboutien, réfugié en France depuis octobre 1998. Réservé et méfiant, ce père de famille d’origine somalienne se tourvait en poste comme attaché financier à l’ambassade de Djibouti au Yémen en octobre 1995, lorsque le corps de Bernard BORREL fut retrouvé à demi carbonisé en face de l’île du Diable, au sud de Djibouti. A l’époque, l’annonce du suicide par immolation de ce magistrat français lui semblait déjà  » suspecte « . Lorsque ses doutes se sont renforcés, il s’est tu par peur de représailles.

Ce n’est que très récemment, lorsqu’il a lu dans la presse française le témoignage controversé de l’ancien officier Mohamed Saleh Alhoumekani mettant en cause l’actuel chef de l’Etat djiboutien dans la mort du juge BORREL, que ce diplomate s’est décidé à parler.  » Je ne connais pas ce Mohamed Saleh Alhoumekani, si ce n’est de vue. Mais je peux vous assurer que ce qu’il dit est vrai « . affirme Abdourahman Yassin. Pourquoi cette assurance ? « La conversation dont il a été témoin en octobre 1995 à Djibouti (NDLR :  » Le juge fouineur a été tué sans aucune trace « ), je l’ai entendue, 10 mois plus tard, formulée autrement, quand j’étais en poste au Yémen.  »

L’échange informel auqel le diplomate a assisté dans un salon de la résidence de l’ambassadeur à Sanaa remonte à juillet-août 1996. Cet été-là, le chef des services de renseignements djiboutiens (SDS), Hassan Saïd, est en visite privée à l’ambassade, en compagnie de son adjoint, Abdillahl Mohamed. Il s’entretient longuement, dans un salon, avec le chargé d’affaires de l’ambassade au Yémen, Youssouf Omar Douleb, aujourd’hui ambassadeur à Sanaa. En présence d’un témoin censé rester discret.

Après avoir discuté de l’état des relations franco-djiboutiennes, l’ambassadeur Omar Doulab aurait demandé -en Somali- au chef de la SDS des nouvelles de  » l’histoire du juge BORREL « . Le patron des services lui aurait répondu :  » C’est une affaire réglée, tout s’est bien terminé. Les relations avec la France sont devenues excellentes « . Son adjoint, le numéro deux des services, aurait même précisé :  » Il faut dire qu’on a mis les moyens et des hommes…  » Ajoutant aussitôt :  » C’est encore grâce à Ismaïl Omar(NDLR : Ismaïl Omar Guelleh, actuel chef de l’Etat djiboutien) que tout a été bien fait  » Ironique, l’ambassadeur aurait rétorqué :  » Il ne faut quand même pas oublier ma petite participation…  » Hassan Saïd aquiesce :  » Oui, c’est vrai, il y avait aussi le chef de la gendarmerie…  » Allusion aux liens de parenté entre l’ambassadeur et le colonel Madhi.

Même elliptique, cette conversation recoupe le témoignage de Mohamed Saleh Alhoumekani (nos éditions du 11 janvier 2000). On y retrouve le nom de trois personnages qu’il a cités sur son procès-verbal devant les juges parisiens. D’abord, celui Ismaïl Omar Guelleh, alors chef de cabinet du président Aptidon, présenté comme l’organisateur du guet-apens. Puis celui du colonel Mahdi, chef de la gendarmerie, qui, d’après Alhoumekani, se trouvait dans les jardins de la présidence lors d’une surprenante réunion entre commanditaires et exécutants du  » crime « . Et enfin, celui d’Hassan Saïd, le chef des services de renseignements djiboutiens.

Quelle sera la portée de ce témoignage, dans un dossier sensible que la justice souhaiterait clôturer au plus vite par un non-lieu ? Pour la partie civile, il devrait permettre de contrebalancer les nombreux procès-verbaux, recueillis le mois dernier à Djibouti, discréditant le récit d’Alhoumekani. Et de renforcer l’hypothèse d’un assassinat maquillé en suicide. Pour les enquêteurs, en revanche, ce récit ne devrait pas bouleverser l’orientation du dossier. Les propos du diplomate risquent de venir s’ajouter à ceux d’une demi-douzaine de personnes jusqu’à présent cataloguées comme  » peu crédibles  » ou  » manipulées  » par d’obscurs lobbies antidjiboutiens.  » Ce M ; Yassin n’est pas très fiable « , rétorque-t-on d’ailleurs à l’ambassade de Djibouti à Paris.  » Il a été expulsé de l’ambassade du Yémen en 1997 pour avoir détourné 150 000 francs « , affirme un conseiller. L’intéressé dément. Peu importe aux officiels djiboutiens.  » C’est comme Alhoumekani : il est fragile et veut attirer l’attention sur lui pour des raisons économiques. «