26/02/02 Lettre ouverte à Freeman (A. WABERI le 25/02/2002)

Cher
Freeman, le bien nommé,

Je
reviens de Bamako et trouve votre lettre sur le site. D’habitude,
je ne prends pas la peine d’écrire à tous ceux,
nombreux, qui m’interpellent à propos de tel ou tel sujet
concernant mon travail et/ou mes actions. D’abord parce que
je privilégie le mode oral et direct quand l’intéressé
se trouve en face de moi. Ensuite parce que je ne vais pas passer
ma vie à me justifier auprès d’untel ou untel.
Disons que cette fois je prends le parti de répondre
à votre interpellation (je signale au passage que puisque
vous usez d’un pseudo, je ne sais pas qui vous êtes alors
que moi; je signe mes écrits et m’exprime à visage
découvert – qui ne rélève pas du même
statut narratif. c’est fort dommage pour quelqu’un qui me demande
de justifier mes actes ou plutôt de coordonner mes actes
et mes paroles. mais bon avançons).

Je
vous réponds enfin parce que votre lettre est bien plus
intelligente que celle de certaines personnes qui sans rien
connaître du terrain s’agitent via le forum de "Djibnet"
et ressassent le seul mot accolé à l’écrivain
: "Engagement ! Engagement!".

Engagement
de qui ?
Auprès de qui ? Avec qui (mais où
se cachent ceux qui poussent ces cris d’orfraie dans les arcanes
d’Internet )? A quelle fin ? etc etc.

Ce
qui ne veut pas dire, loin de là, me concernant, que
j’apporte le moindre début d’excuse ou d’appui au régime
détestable qui règne à Djibouti (mais une
fois qu’on s’est indigné, surtout de loin, on n’a absolument
rien réglé et je n’appelle pas cela de l’engagement
ou de la réflexion constructive).

Ceux
qui ont le temps de lire mes livres savent ce que je pense de
tout ça ?

Ceux
qui ont eu l’occasion de discuter avec moi, à Djibouti
ou ailleurs, le savent également. Ceux qui me connaissent
un peu aussi. Donc, eussé-je donné des réponses
non diplomatiques ou elliptiques que l’article de La Nation
n’aurait jamais vu le jour !!

Il
me faut aussi vous préciser dans quelles conditions cet
entretien a été donné : les journalistes
de La Nation sont souvent des jeunes élèves ou
presque et manquent de professionnalisme (et ce n’est pas de
leur faute, bien sûr). Les deux personnages de l’Adi qui
m’avaient interviewé n’ont manifestement pas retranscrit
tout ce que je leur ai dit de vive voix (puisqu’ils m’ont enregistré
plus qu’interrogé). Voilà pour la précision
qui ne vaut pas excuse.

Pourquoi vais-je à Djibouti une fois l’an ?
Je vais commencer par une anecdote. Cette année
j’ai participé à "Lire en Fête"
en compagnie de mon précieux ami Nuruddin Farah, qui
venait pour la première fois dans notre pays. Nuruddin
m’a signalé qu’en six-sept jours nous avions dû
rencontrer quelques sept mille étudiants et élèves
(sans compter le seminaire que j’ai animé cette année
auprès d’étudiants du PUD). Si vous multipliez
7000 personnes par le nombre d’années (5 sur 7 Temps
des livres) où j’étais présent, ca en fait
du beau monde.

Et
quiconque a déjà assisté à une de
ces séances au Palais du Peuple sait bien qu’une atmosphère
sans pareille (de liberté, de chaleur, de vive confrontation…)
y règne. Dans ces rencontres je fais partager mes vues
sur notre société qui dépassent largement
les pieuses indignations visant le pouvoir actuel (car après
tout les peuples ont aussi les chefs qu’ils méritent).
Les intervenants, du reste, ne me ménagent pas et c’est
la règle en vigueur. Tout cela vaut bien quelques réponses
tièdes et ironiques dans les pages insipides de La Nation.

Aux
donneurs de leçons stériles mon profond mepris!

A
Freeman mes amitiés !

Abdourahman A. Waberi