14/03/03 L’affaire Borrel relancée, vers la thèse de l’assassinat ? (Extrait du Figaro)

 

 

DJIBOUTI
Six ans après la mort d’un magistrat français

La veuve de Bernard
Borrel (photo), avait obtenu, dès 1995, une expertise privée
du corps de son mari, réfutant la thèse du suicide.
(DR)

Affaire Borrel : le corps du juge exhumé


Sous la plume d’Alexandrine Bouilhet
[14 mars 2002]

Suicide ou assassinat
politique ? Depuis quatre ans, la justice française tente d’éclaircir
les circonstances de la mort du juge Bernard Borrel, dont le cadavre
calciné avait été découvert dans un ravin,
à Djibouti, en octobre 1995. Après avoir passé
dix jours en mission sur les lieux du drame, à Djibouti, du
22 février au 3 mars, le juge parisien Jean-Baptiste Parlos
a estimé indispensable d’ordonner une nouvelle autopsie. Par
une ordonnance du 7 mars, le magistrat en charge de l’affaire Borrel
exige une exhumation rapide du corps, qui repose actuellement dans
un cimetière de Haute-Garonne. Le juge Parlos confie aux trois
experts en médecine légale, qui l’ont accompagné
sur place, le soin de procéder à l’examen de la dépouille.

Ce rebondissement
intervient alors que l’enquête confiée depuis quatre
ans à la brigade criminelle de Paris semblait s’enliser dans
les méandres diplomatico-judiciaires. Cette fois, le juge Parlos,
qui instruit également le dossier Ben Barka, a décidé
de donner un coup d’accélérateur à sa procédure.
Depuis le début de l’affaire, la veuve du magistrat, juge des
tutelles à Toulouse, se démène pour convaincre
ses pairs de ne pas jeter cette affaire aux oubliettes. « Le
suicide, j’y ai cru sur le coup », confie Elisabeth Borrel,
« mais, très vite, j’ai compris qu’on me menait en bateau
».

Grâce à
ses appuis dans le milieu de la magistrature, la veuve avait obtenu
dès 1995 une expertise privée du corps de son mari.
Dans ses conclusions, l’expert mettait en cause la thèse du
suicide. D’après le Pr Lazarini, Bernard Borrel était
sans doute déjà mort, quand son cadavre fut enflammé.
Cette expertise fut contredite par d’autres, alors que les policiers
de la brigade criminelle s’entêtaient sur la piste du suicide.
Plus tard, divers témoignages troublants, dont celui d’un ancien
militaire djiboutien réfugié en Belgique, Mohamed Saleh
Alhoumekani, impliquaient les plus hautes autorités de l’Etat
djiboutien dans la disparition du juge.

De simple fait
divers, le dossier Borrel devenait soudain une affaire d’Etat, suivie
de très près par le Quai d’Orsay et l’actuel chef d’Etat
de Djibouti, Ismail Omar Guelleh, dit « IOG ». A l’époque
des faits où Bernard Borrel occupait le poste de magistrat
détaché auprès du ministère djiboutien
de la Justice, « IOG » était le plus proche conseiller
du président Aptidon. Le juge français irritait ses
homologues locaux avec sa vision « européenne »
du droit. Choqué par certaines méthodes du pouvoir en
place, Bernard Borrel était notamment intervenu dans la gestion
de l’affaire dite du « Café de Paris », pour éviter
que les responsables de cet attentat ne soient libérés.

En 1990, une explosion
visant ce lieu de rendez-vous pour expatriés avait fait un
mort et quinze blessés, dont de nombreux Français. L’enquête
avait abouti, en 1998, à une condamnation par contumace de
cinq militaires, à Paris. Malgré la rumeur insistante,
IOG n’a jamais été impliqué dans cette affaire
qui a empoisonné les relations franco-djiboutiennes. Bernard
Borrel estimait que la justice s’était contentée d’épingler
les exécutants. La veuve du magistrat considère que
les interventions de son mari dans ce dossier sensible pouvaient constituer
un mobile suffisant à son assassinat.

Cette version
des faits a toujours été balayée par la justice
française, qui a cherché à conclure ce dossier
par un non-lieu, en prenant soin de ne pas prononcer le mot suicide,
afin de préserver la famille Borrel. Ce projet a été
contrecarré par la pugnacité de ses avocats, Mes Olivier
Morice et Laurent de Caunes. Entamant un bras de fer avec les juges
d’instruction, ils ont obtenu, par le biais de la cour d’appel de
Paris, le dessaisissement des magistrats.

En juin 2000,
le dossier a été confié au juge Parlos, spécialisé
dans les affaires sensibles impliquant les pays étrangers.
Le magistrat a accepté de se rendre à Djibouti en compagnie
d’Elisabeth Borrel et de ses avocats. Sur place, le juge a demandé
l’audition de huit témoins, dont l’ancien ministre de la Justice
djiboutien. Il a surtout effectué un transport sur les lieux
du drame, à 80 kilomètres au sud de la capitale. En
observant la topographie du ravin rocailleux, d’où se serait
jeté Bernard Borrel après s’être aspergé
d’essence puis enflammé, Jean-Baptiste Parlos aurait réalisé
qu’un tel scénario semblait plus que rocambolesque.

Dès son
retour à Paris, il a exigé l’exhumation du corps aux
fins d’autopsie. La famille Borrel ne s’est pas opposée à
cette épreuve douloureuse. Les conclusions judiciaires des
experts sont attendues avant le 15 juin.