02/04/02 Légende et réalités de la liberté de la presse à Djibouti. Quel sera le choix des journalistes pour demain ? (par Roger Picon)

Nous devons
aux concepteurs de la Constitution américaine de 1787,
peu avant la Révolution française, la mise en
évidence de la liberté de la presse ; principe
fondamental d’un Etat qui se voudrait moderne.
Par principe admis, cette liberté permet de mesurer
le degré d’avancement de l’idéal de citoyenneté
d’une société démocratique.

Universellement
reconnu par son fondement indubitable mais trop souvent bafoué
par le tous les pouvoirs, politique, économique ….
, le droit de la presse est censé être l’outil
d’accomplissement du principe de liberté d’expression
, formulé en l’article 11 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

"La
libre communication des pensées et des opinions est
un des droits les plus précieux de l’homme; tout citoyen
peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf
à répondre de l’abus de cette liberté
dans les cas déterminés par la loi."

Comme
toute activité à vocation " dite sociale
", la presse est assujettie à un certain nombre
de règles qui déterminent son droit et ses limites
d’intervention.
La nature spécifique de cette activité et l’importance
qui lui est accordée justifient que ce droit de la
presse soit un droit incontournable ; celui du droit de collecter,
de commenter et de transmettre l’information.

À
la référence au principe de liberté d’expression
il convient d’ajouter celle qui peut être faite à
la notion de droit à l’information pour laquelle les
préoccupations et intérêts du public devraient
être pris en considération par priorité.

Bien que
fortement concurrencée par d’autres moyens de communication
et de nouvelles technologies de l’information tels que l’image
numérisée et le net, l’influence des journaux
sur la vie d’une société et sur le comportement
des individus subit une perte d’influence mais demeure néanmoins
importante.
Elle est une science additionnelle de l’histoire, entre autres,
d’un peuple et d’une Nation.
Écho de toutes les activités des hommes et agents
d’influences pour toutes les forces politiques, économiques,
sociales et spirituelles.
Les journaux sont les mémoires de la vie quotidienne
d’un peuple, d’une Nation, donc une source fondamentale d’informations
pour les historiens de toute vocation qui ne peuvent prétendre
reconstituer valablement le passé sans recourir à
leur témoignage.

La distance
qui sépare aujourd’hui les prescriptions fondamentales
de la liberté de la presse et les réalités
des écrits dont nous abreuve quotidiennement une supposée
presse indépendante du pouvoir en République
de Djibouti a de quoi faire amèrement sourire à
défaut de sans inquiéter car un monde les sépare.

Nul n’ignore
qu’il existe dans tout métier une " règle
de l’art " ou un " code de déontologie "
; il ne saurait en être autrement pour le quatrième
pouvoir dont on sait, preuves à l’appui, qu’il a la
capacité de faire et de défaire les républiques.

L’obstacle
à toute liberté d’expression de la presse à
Djibouti est qu’Ismaël Omar s’est assis, depuis des lustres,
sur tous les Codes en vigueur dans le pays tout en brandissant
d’une main ferme le code guellien comme outil de la "
pensée unique ".

Dès
lors, on comprend que certains journalistes de courage aient
préféré l’exil plutôt que de cautionner
toutes les contrevérités imposées au
peuple par " l’homme de l’ombre " devenu dictateur
après qu’il eut usurpé le pouvoir en 1999 en
falsifiant les élections présidentielles et
s’y maintenant depuis par l’usage de la force ou de la perversité

Qui peut
le plus peut le moins, dirait-on et pour les " serviteurs
de l’information " qui seraient récalcitrants
à la " pensée unique "… il reste
la solution de les expédier manu militari à
Gabode pour qu’ils puissent s’exprimer librement… entre
quatre murs et plus tard entre six planches s’ils venaient
à persister.

A moins
que l’on ne fasse la démonstration inverse, nous avons
l’intime conviction que l’une des qualités premières
d’un journaliste est d’apporter à ses lecteurs une
information complète, claire et objective

Souvenons-nous
qu’en un temps notre regretté ami Mohamed Djama Elabé
et son comité de rédaction du journal d’opposition
" Le Renouveau ", hebdomadaire du Parti du Renouveau
Démocratique, n’hésitaient pas par des articles
sans accommodement aucun à dénoncer toutes les
injustices et les illégalités des décisions
du pouvoir en place, fustigeant au passage quelques "
mandarins " qui détournaient la tête…..
Le PRD incarnait la Liberté d’expression du citoyen
de la rue et l’Espoir.

Son successeur
à la tête du PRD, DAF, qui s’inscrit en droite
ligne de la pensée fondamentale de " l’élabisme
" tout en l’adaptant à l’évolution d’un
monde en perpétuel mouvement, a tenté de relancer
l’hebdomadaire " Le Renouveau " mais s’est heurté
à toutes les pressions exercées directement
ou indirectement par Ismaël Omar.
DAF est l’objet des pires contraintes ainsi que sa famille
et ses amis.
Comment faire paraître un journal d’opposition politique
dans de telles conditions ? Comment agir en toute liberté
d’expression lorsque les menaces exercées par le pouvoir
en place sont omniprésentes et que l’on en a déjà
eu un avant-goût de Gabode ?.

Par ailleurs,
consultez les seuls journaux autorisés à paraître
en République de Djibouti et vous serez vite édifié
sur la définition qu’il convient de donner à
la " Liberté de la presse écrite "..

Cela frise
la comédie burlesque mal orchestrée et si de
Charlot à Hulot, de Keaton à Jerry Lewis, ces
comédies ont toujours le mérite de nos jours
de faire rire les esprits les plus simples comme les plus
raffinés ne cherchez pas dans les " Informations
officielles " en provenance de Djibouti un quelconque
trésor de vérité ou de virtualités
lyriques….

Aucun
défi … un monceau de banalités répétitives
…suivant le même stéréotype .. presque
à la virgule près….

C’est
ainsi que vous y découvrirez de sempiternels articles
emphatiques qui se veulent rassurants mais qui ne trompent
au final que leurs rédacteurs.
Certains n’osent pas signer leurs écrits …, gênés
qu’ils sont de se mentir.
Ils énoncent, entre autres et épisodiquement,
le lancement de grands projets dont l’initiateur, le guide,
le maître à penser ne peut être qu’Ismaël
Omar et nécessitent, par précepte guellien patenté,
l’apport d’aides financières extérieures.

Par évidences
observées, lesdits projets ne seront quasiment jamais
menés à leur terme.

Dans une
région semi désertique… il se trouvera
toujours un grain de sable, disons plutôt un rocher,
pour bloquer les engrenages aléatoires des travaux
de tel ou tel " Comité de pilotage " chargé
du dossier… et reporter de mois en mois la date de sa
concrétisation….

Notez
tout de même que l’on a bonne mémoire à
Djibouti.
S’il est vrai que certains dossiers .. préoccupants
notamment liés à l’affaire du Juge Borrel se
sont malencontreusement égarées dans les méandres
de la politique politicarde , pour ce qui concerne les supposés
projets " d’intérêt national " …
on ressortira, quelques années plus tard et par enchantement,
le dossier concerné.

C’est
ainsi que l’on va procéder à son dépoussiérage
en prenant l’indispensable précaution d’y ajouter quelques
virgules correspondant, fait du hasard ou nécessitée
oblige, à un accroissement financier des besoins.
On en changera éventuellement la couleur de la couverture
et la reliure puis on le relancera à grands renforts
d’informations médiatisées le présentant
comme projet innovant répondant enfin ……aux
attentes du pays et de la population djiboutienne dans un
domaine précis.

Notons
que les projets en chantier actuellement sont majoritairement
à horizon … 2006.
Cela laisse donc le temps d’ici là de multiplier les
appels de fonds additifs qui, s’ils ne parviennent pas dans
les délais impartis, provoqueront un report.
Nous touchons là le fond de la démarche, il
fallait y penser !.

Dans les
écrits de cette presse pour le moins particulière,
on peut surtout y lire que

– "
Son Excellence et ses collabos ont bien mangé …
" on peut donc en déduire que le peuple est repu…
et qu’il ne peut être que satisfait ….

– "
Son excellence …. est accueillie par une foule en liesse…
", foule qui se résume dans les faits à
une population locale que l’on sort de ses habitations et
que l’on contraint….
à agiter de petits drapeaux…

– "
Son excellence ….a appelé la communauté
internationale à intervenir pour faire cesser cette
violence…. " mais oublie sciemment de balayer en
sa prison de Gabode où 12 supposés prisonniers
politiques meurent lentement dans l’indifférence …

"
Son excellence ….. demande qu’il soit procédé
au désarmement des milices en Somalie ……."
et occulte totalement le fait que toutes les aides financières
consenties notamment par l’Union européenne depuis
plus de 5 ans pour désarmer sa propre milice importée
de sa région d’Ethiopie n’ont servi, dans les faits
constatés et très majoritairement, qu’à
la renforcer……..
Dès lors on comprend le pourquoi des réticences
de l’Union européennes et des pays arabes à
continuer d’alimenter à fonds perdus le " panier
percé.. " du désarmement d’une quelconque
milice, quelle soit djiboutienne ou somalienne …

Des lignes
et des lignes lénitives et anesthésiantes pour
le lecteur de cette presse … au point que l’on retrouve
ces feuilles de journaux en un endroit que la décence
m’interdit de nommer et pour un tout autre usage….

Chacun
se pose la question de savoir jusqu’où peut aller l’information
? quand les journalistes locaux aborderont-ils enfin un sujet
d’importance qui va mobiliser l’attention des lecteurs, à
savoir si " son excellence " porte un slip kangourou
ou un boxer et s’il est de couleur jaune ou rose bonbon ?.

Plus sérieusement,
cet écart entre l’idéal de l’information et
la réalité, toujours trop grand, est facile
à apprécier, tandis que se propage, à
l’intérieur des frontières nationales et à
l’étranger la perte de toute crédibilité
de ce qui est censé être le "quatrième
pouvoir" en République de Djibouti.

De la
conquête d’une liberté aux réalités,
que subissent au quotidien la citoyenne et le citoyen djiboutien,
il y a une fracture qui sans cesse s’élargit.
J’entends murmurer " l’Etat n’en a cure …de la Liberté
pour autant que les aides en tous genres continuent d’affluer
et puissent être …. exploitées dans l’intérêt
de quelques-uns….tout va bien !!!, tout va très
bien à Djibouti ! ".

Dans de
telles conditions, quelle égalité entre les
hommes face à l’information et de progrès de
la liberté d’expression parle t-on à depuis
l’accession du pays à l’Indépendance ?.

En 25
années, les journalistes qui avaient un rôle
social inédit à jouer, cumulant l’autorité
du savoir et l’art de la communication, à la fois historiens
du présent mais aussi du passé et interprètes
supposés assermentés de la vie quotidienne,
ont choisi majoritairement d’adhérer, bon gré
mal gré, aux contre vérités d’une infime
minorité de puissants, des tribalismes et d’être
leur porte artifices mensongers au détriment de l’information
objective qu’ils doivent aux " gens ordinaires ".

Certes
en ce début de millénaire, ce rôle de
médiateur joué par les journalistes est plus
nécessaire et plus difficile que jamais parce que les
machines qui sont censées assurer une "communication"
plus satisfaisante des "pensées et des opinions"
entre les hommes sont mises au service d’une poignée
" d’indésirables mandarins ", qui se sont
imposés et se maintiennent par la force, plus enclin
à l’excommunication sous toutes ses formes qu’à
la communication.

C’est
dans le maintien d’une distance relative vis-à-vis
de leurs interlocuteurs obligés que devrait résider
la seule confiance qui compte aux yeux de la presse ; celle
des lecteurs ou des téléspectateurs, qui doivent
toujours garder, en démocratie, le droit à la
parole et le dernier mot.

La presse,
inféodée au pouvoir en place en République
de Djibouti, creuse lentement son propre tombeau.
Outre son incapacité " d’Informer large et objectivement
" elle est confrontée aux promesses multiples
des "nouveaux" médias, qu’il s’agisse des
câbles, des satellites ou de services issus de la télématique.

Deux conceptions ou deux doctrines s’opposent.

D’un côté,
une conception "isolationniste et obsolète"
à la Ismaël Omar qui verrouille à son seul
profit tous les moyens d’émission et de réception
de l’information qui se veut objective, conduisant à
une artificielle étatisation de tous les moyens d’expression,
directement ou indirectement.

Monopole
absolu de la famille Guelleh qui se masque derrière
une falsification des vérités et qui énonce
par la voix de son maître l’intérêt du
peuple; de l’autre côté, une conception incontestablement
démocratique, où chacun doit pouvoir accéder
aux médias de son choix, afin de communiquer à
autrui l’expression de sa pensée, ou afin d’accéder
à l’expression de la pensée d’autrui, quelle
que soit la forme ou le fond de cette expression.

Instruments
pédagogiques entre les mains du Dictateur qui se sert
de l’Etat à son seul profit? ou moyens d’expression
accessibles à tous?.
Tels sont les choix qui s’offrent à la Nation djiboutienne
pour autant qu’elle ait un pouvoir de décision ce qui
est actuellement loin d’en être le cas.

La première
de ces deux conceptions peut être qualifiée indifféremment
de paternaliste, sélective, autoritaire, conservatrice
et dictatoriale.
Tous ces qualificatifs et bien d’autres se sont vérifiés
depuis que la République de Djibouti a accédé
à l’indépendance.

La logique
de cette conception est, quoi qu’on en dise, toujours la même.

Elle puise son discours dans le même vocabulaire, la
même dialectique. qui invoque, bien entendu et de manière
fallacieuse, l’idéal démocratique, l’intérêt
du peuple, et la sauvegarde, par surcroît, de son "identité
culturelle".
Identité culturelle dont elle n’a que faire car cette
logique se situe exclusivement dans le cadre du profit personnel
au détriment de l’intérêt de la Nation
et de ses enfants qui demeureront ainsi esclaves d’eux-mêmes
et des préjugés de leur temps.

La seconde
conception est celle qui conduit jusqu’à son terme
la logique de l’impératif démocratique concernant
la garantie des libertés personnelles et politiques,
faute desquelles la démocratie n’est plus qu’un mot.

Cette
conception considère que les médias, quels qu’ils
soient, doivent permettre aux hommes, avant toute autre chose,
de communiquer les uns avec les autres par le truchement de
leur pensée et suivant le postulat que " personne
n’a le monopole de la vérité ".
Elle se refuse à admettre que le vrai, le beau ou le
juste puissent jamais appartenir à un seul homme, à
un seul parti, à une seule caste ou à une seule
classe sociale.

Cette
conception permet seule, en même temps que la clarification
des relations entre l’État et les médias, la
détermination de ce principe suivant lequel en démocratie,
le dernier mot doit revenir à ceux qui lisent les journaux,
écoutent la radio ou regardent la télévision.

Pour l’heure,
les moyens dont disposent les citoyennes et les citoyens djiboutiens
sont ceux du combat contre certaines idées reçues
et le refus d’accepter comme " bain béni "
tout ce que leur sert quotidiennement le pouvoir dictatorial
en place.

Les unes
concernent l’information et ses pouvoirs, les autres, la liberté
d’information et ses conditions.

Pourquoi
la presse et la radio-télévision, vouées
à l’information et décrétées toutes-puissantes,
ne seraient-elles pas les instruments privilégiés
du changement et du progrès social à Djibouti
?.

Pourquoi
ne transformeraient-elles pas le style des relations entre
les hommes, la substance même de la vie sociale ?.

Ce combat
toujours recommencé et jamais gagné contre toutes
les formes d’inégalités dans la libre expression
des pensées de chacune et de chacun dans le libre accès
aux pensées d’autrui, est le vôtre mesdames,
messieurs les journalistes.

Pour ce
faire il vous faudra faire un choix, un choix de société
; un choix d’avenir.
Aurez-vous la volonté pour ne pas dire le Courage d’être
des journalistes et non des serviteurs du pouvoir en place
?


Pour ce qui nous concerne et en nous appuyant sur le postulat
suivant lequel la liberté d’expression n’est l’apanage
de personne et que les journalistes n’en ont pas le monopole
car c’est une profession ouverte, c’est-à-dire à
la fois un savoir et un savoir-faire, nous continuerons ce
combat pour tous les respects des Droits de l’humain en dénonçant
sans cesse toutes les exactions du pouvoir dictatorial imposé
par Ismaël Omar en République de Djibouti.


Roger Picon.