30/06/02 La Cour européenne des Droits de l’Homme condamne la France pour sa législation sur le délit d’offense à un chef d’Etat étranger. (Extraits de plusieurs articles parus dans Le monde)

Note
de l’ARDHD : il est à noter, comme vous le lirez dans ces
extraits que les Présidents de la République française,
depuis V. Giscard d’Estaing, avaient renoncé à se
prévaloir de cette Loi. En revanche, elle avait été
utilisée par des chefs d’Etat étrangers, dont le
roi du Maroc, Hassan II, et quatre chefs d’état africains
qui avaient porté plainte contre Survie.

30/06/02
La France est sanctionnée pour entrave à la liberté
d’expression (Extrait Le Monde)

26/06/02
(Extrait LE MONDE) Un statut exorbitant du droit commun.

30/06/02 Critique et offense (Extrait du
Monde du 26/06/02)

30/06/02
La France est sanctionnée pour entrave à la liberté
d’expression (Extrait Le Monde)

Donnant raison au "Monde", la Cour européenne
des droits de l’homme juge qu’il n’y a pas de raison de protéger
de manière "exorbitante" les chefs d’Etat étrangers
des critiques.

Le chef d’etat, un citoyen comme un autre ? Les Sept juges de
la Cour européenne des droits de l’homme ont condamné
la France à l’unanimité dans un arrêt rendu
mardi 25 juin, à Strasbourg. Selon eux, Paris accorde un
privilège "exorbitant" aux chefs d’état
étrangers en maintenant l’existence du "délit
d’offense à chef d’Etat étranger"(article 36
de la loi du 29 juillet 1881)."Quel que soit l’intérêt
évident, pour tout Etat, d’entretenir des rapports amicaux
et confiants avec les dirigeants des autres Etats, ce privilège
dépasse ce qui est nécessaire pour atteindre un
tel objectif", juge la Cour européenne. L’"offense
à chef d’Etat", à la différence du délit
de "diffamation", ne permet pas aux journalistes de
tenter de se défendre en apportant la preuve de leurs écrits.
L’arrêt rendu, et qui s’impose désormais à
la justice française, concerne le journal Le Monde et l’ancien
roi du Maroc, Hassan II.

(..)

RECHERCHES
INDÉPENDANTES

Mardi, la
Cour européenne des Droits de l’homme en a décidé
autrement. Elle a rappelé la force du droit à la
liberté d’expression sans qu’il puisse y avoir ingérence
des autorités publiques et sans considération de
frontière. Les juges (hongrois, français, islandais,
tchèque, ukrainien, néerlandais et géorgien)
estiment que "le public français avait un intérêt
légitime de s’informer" sur la production et le trafic
de drogue d’un pays prétendant à l’Union. Le rapport
de l’OGD n’a, à aucun moment, été contesté,
et la presse qui contribue au débat public, doit pouvoir
s’appuyer sur des rapports officiels sans avoir à entreprendre
de recherches indépendantes, estime-t-on à Strasbourg.

Enfin, la
Cour observe que la France elle-même, depuis une décision
de justice rendue en 2001, "tend à admettre"
que l’incrimination de "l’offense à chef d’état
étranger" porte atteinte à la liberté
d’expression. La Cour européenne ramène le chef
d’Etat, "comme tout à chacun", au rang de simple
citoyen. "La Cour européenne est, encore une fois,
plus libérale que la justice française", indique-t-on
chez Reporters sans frontières.

La France
est désormais dans l’obligation de modifier la loi ou d’orienter
sa jurisprudence dans ce sens. L’exécution de la décision
de la Cour européenne fera l’objet d’un prochain contrôle
par le comité des ministres.

Florence
Amalou


26/06/02
(Extrait LE MONDE) Un statut exorbitant du droit commun.

Nous publions des extraits de l’arrêt rendu le 25 juin par
la Cour européenne des droits de l’homme :
La presse joue un rôle éminent dans une société
démocratique. (…)

La condamnation
s’analyse sans conteste comme une ingérence dans l’exercice
par les requérants de leur droit à la liberté
d’expression.

La Cour relève
que le public, notamment le public français, avait un intérêt
légitime de s’informer (…) sur un pays qui entretient
des relations étroites (…) avec la France. La Cour souligne
(…) que cette impossibilité de faire jouer la vérité
constitue une mesure excessive pour protéger la réputation
et les droits d’une personne, quand bien même il s’agit
d’un chef d’Etat ou de gouvernement.

Les autorités
nationales elles-mêmes semblent admettre que cette incrimination
n’est pas une mesure nécessaire dans une société
démocratique pour atteindre un pareil but, d’autant plus
que l’incrimination de diffamation ou d’injure, qui est proportionnée
au but poursuivi, suffit à tout chef d’Etat pour faire
sanctionner, comme tout un chacun, des propos portants atteinte
à son honneur ou à sa réputation ou s’avérant
outrageant.

Le délit
d’offense tend à conférer aux chefs d’Etat un statut
exorbitant du droit commun, les soustrayant à la critique
seulement en raison de leur fonction ou statut, sans aucune prise
en compte de l’intérêt de la critique.

La Cour considère
que cela revient à conférer aux chefs d’Etat étrangers
un privilège exorbitant qui ne saurait se concilier avec
la pratique et les conceptions politiques d’aujourd’hui. Quel
que soit l’intérêt évident, pour tout Etat,
d’entretenir des rapports amicaux et confiants avec les dirigeants
des autres Etats, ce privilège dépasse ce qui est
nécessaire pour atteindre un tel objectif.

30/06/02
Critique et offense (Extrait du Monde du 26/06/02)

EN CONDAMNANT la France pour sa législation
sur le délit d’offense à un chef d’Etat étranger,
la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas seulement
donné raison au Monde, qui était à l’origine
de l’affaire. Elle a heureusement voué à la désuétude
une disposition archaïque, contraire au droit de critique
et à la liberté d’expression. Le quotidien avait
été sanctionné en 1997 pour avoir porté
offense à Hassan II, alors roi du Maroc, dans un article
consacré au trafic de drogue qui mettait en cause "l’entourage"
de l’ancien souverain. La juridiction européenne a jugé
que cette condamnation était une violation de la liberté
d’expression et que la loi qui l’a rendue possible confère
aux chefs d’Etat étrangers "un privilège exorbitant
qui ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions
politiques d’aujourd’hui".

Ce n’est pas
la première fois que cet article de la loi sur la presse
du 29 juillet 1881 est jugé inadapté à l’esprit
des institutions. L’an dernier, trois présidents africains
avaient ainsi poursuivi, sur cette base, l’auteur et l’éditeur
d’un livre paru en 2000, Noir silence, qui dénonçait
la France et les "satrapes" de ses anciennes colonies
d’Afrique. Cet ouvrage formulait de graves accusations contre
les présidents du Congo, du Tchad et du Gabon, qui, s’estimant
offensés "dans leur dignité, leur honneur et
la délicatesse de leurs sentiments", avaient demandé
réparation. Le tribunal correctionnel de Paris les avait
déboutés en soulignant notamment que la protection
particulière accordée par la loi française
aux dirigeants étrangers était incompatible avec
la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit
"la liberté des idées et des opinions sans
considération de frontière". Cette décision
avait porté un coup sévère à l’article
en question. L’arrêt de la Cour européenne des droits
de l’homme, rendu au nom des mêmes principes, confirme et
renforce la condamnation de ce "privilège" et
y met solennellement fin, dans la pratique sinon dans les textes.

Le délit
d’offense aux chefs d’Etat étrangers, d’autant plus pernicieux
qu’il ne permet pas aux accusés de se défendre sur
le fond, était en fait l’extension du délit d’offense
au président de la République française,
lui-même hérité du crime de lèse-majesté
envers le roi. Une telle protection, instituée par la loi
de 1881 à une époque où le chef de l’Etat
exerçait en France une fonction essentiellement honorifique,
ne se justifiait plus guère dès lors qu’il devenait,
sous la Ve République, le chef de l’exécutif. Aussi
n’est-elle plus utilisée depuis que Valéry Giscard
d’Estaing a décidé de renoncer à son application.
Ses successeurs ont adopté la même attitude.

Le délit
d’offense aux chefs d’Etat étrangers devrait donc à
son tour disparaître de l’usage. On ne peut que s’en féliciter.
La logique serait que ces deux dispositions – celle qui concerne
le président français et celle qui concerne ses
homologues étrangers – soient purement et simplement supprimées
de l’arsenal législatif. La démocratie aurait tout
à gagner à la fin de ce régime d’exception.


30/06/02
Affaire Borrel. Une interview de Mme Borrel dans la Dépêche
du midi.

SOCIETE
: Depuis sept ans, elle lutte pour que la vérité
soit faite sur la mort de son mari
Le combat d’Elisabeth Borrel

Jeudi, le
corps du juge Borrel a été exhumé une seconde
fois, sept ans après son enterrement à Frouzins.
Le 19 février 1995, le corps calciné de Bernard
Borrel, magistrat mandaté par la France à Djibouti
est découvert dans un ravin surplombant la mer d’Oman.
Depuis cette date, sa femme, elle aussi magistrate, à Toulouse,
se bat pour que l’on reconnaisse qu’il s’agit bien d’un assassinat
et non d’un suicide, comme le veut la thèse officielle.
Selon Elisabeth Borrel, les mobiles ne manquent pas. Son mari
enquêtait sur un trafic de dollars à Djibouti au
moment de sa mort, mais aussi sur l’argent de la coopération
française. Plus important encore, avant de se rétracter,
le juge Le Loire a écrit à Mme Borrel pour lui apprendre
que son mari collaborait également à une enquête
sur un attentat perpétré, en 1990 à Djibouti.
Enfin, selon des experts médicaux, la thèse du suicide
ne peut être qu’invalidée par les éléments
qu’ils ont relevé lors de reconstitutions.
Ne se laissant pas démonter par une enquête de personnalité
menée sur son mari qui lui attribue, entre autres, maîtresse,
fille naturelle ou tendance pédophile, Elisabeth Borrel
continue de dénoncer un " mensonge d’Etat ".
Elle raconte son combat dans une interview exclusive à
La Dépêche du Midi.

" Ce n’est pas un suicide "
La Dépêche du Midi: Votre combat dure depuis sept
ans, qu’est-ce qui vous anime?
Elisabeth Borrel: Je vais vous donner un exemple. Début
juin, le Conseil d’Etat a rejeté la demande de reconnaissance
de la mort en service de mon mari sous le prétexte que
je n’apportais pas la preuve qu’il s’agissait bien d’un assassinat
et qu’il était effectivement en service, sans motiver sa
décision, alors que tout est dans le dossier. Donc mes
enfants ne toucheront rien de plus que les sept cents francs par
mois qu’il perçoivent actuellement. J’ai eu un cancer il
n’y a pas très longtemps, je me suis demandé ce
qu’ils deviendraient s’il m’arrivait quelque chose. Et puis, quand
ils auront 18 ans, mes enfants auront accès au dossier.
Je ne supporterais pas qu’ils y lisent ce que l’on a pu raconter
sur leur père et qu’ils aient le moindre soupçon,
il méritait mieux.

Pourquoi
êtes-vous convaincue que ce n’est pas un suicide?
Ce
serait plus simple. Mais s’il s’était suicidé, on
le saurait et on n’aurait pas pris la peine de le traîner
dans la boue. Si l’on a fait tant d’efforts, cela cache quelque
chose d’important. Et puis moi, ma mère, ma belle-mère,
nous avons reçu des lettres anonymes. Ces choses-là
arrivent- elles pour un simple suicide?
Ce qui me choque le plus, c’est que l’on a demandé à
mon mari d’intervenir là-bas sur un dossier terroriste,
et que l’on continue à le nier, dans le contexte actuel
de guerre contre le terrorisme. Il n’y a aucune reconnaissance
de son travail, et ce faisant, on protège des terroristes.
Pourtant, des éléments que j’ai versé au
dossier le prouvent, et on continue à nier.

Et
que dit l’enquête?
Tout
ça arrive parce qu’il y a des gens qui n’ont pas fait ce
qu’il fallait au moment où c’est arrivé. L’enquête,
de bout en bout, n’a pas été faite dans les règles.
Il y a des lacunes, des dysfonctionnements. Les précédents
juges sont allés par deux fois à Djibouti sans juger
nécessaire de m’emmener. C’est une première dans
l’histoire du droit, une reconstitution sans la partie civile.
Tout ce que j’ai apporté au dossier n’a pas été
exploité alors que tout se vérifie. Des documents
ont disparu. Un témoin voulait parler, la France n’a pas
voulu le faire venir et a préféré avertir
Djibouti du lieu où il se cachait, on ne protège
pas les autres. On évite d’avoir des témoins dans
cette affaire. Quant aux terroristes mis en cause, on ne les recherche
pas. Mon mari a été inhumé de manière
irrégulière, et sans autopsie. Lorsque j’en ai demandé
une, j’ai dû attendre trois mois, puis un an pour avoir
accès au rapport. Les experts y " observaient "
qu’il n’y avait pas de suif dans ses poumons mais n’en tiraient
aucune conclusion. Or lorsque je l’ai montré au Pr Lazarini,
il m’a tout de suite annoncé qu’il était impossible
que mon mari soit mort par le feu dans ces conditions. En dépit
de tout ça, rien ne bouge.

Mais que
vous répond-on?
On
ne me répond rien, on ne me reçoit même pas.
J’ai pourtant écrit à tout le monde. Vous savez,
un jour, on m’a dit que même si c’était un assassinat,
ça ne comptait pas face aux relations de la France et de
Djibouti. Est-ce que c’est la raison d’état qui va élever
mes gosses?

Vous n’y
croyez plus?
J’irai
jusqu’au bout mais, dans cette affaire, je ne fais plus confiance
à personne. Ni à l’Etat, ni aux juges. C’est fini,
mon seul regret c’est d’avoir trop fait confiance au début.
Heureusement, j’ai des soutiens: le Syndicat de la Magistrature
est toujours présent, c’est le seul. Il y a aussi des associations.
L’exhumation d’hier est un espoir?
Je ne sais pas ce que l’on peut trouver 7 ans après, cela
aurait dû être fait immédiatement. Dans une
enquête criminelle, c’est tout de suite que l’on cherche
les preuves.

Vous pensez
être près du but?
Non.
Au vu des dernières élections, je pense que j’en
ai repris pour cinq ans. J’espère seulement que les experts
seront un peu plus honnêtes que les autres fois. Depuis
2000, cela commence à ressembler à une affaire normale.

Vous recherchez
un apaisement? Bien sûr, le deuil ne se fera pas avant que
l’on ne sache, mais, l’apaisement, je l’ai eu quand le Pr Lazarini
m’a dit que ce n’était pas un suicide, que mon mari n’était
pas mort par le feu. C’est horrible de ne pas pouvoir répondre
quand les enfants demandent s’il a souffert, de ne pas savoir
comment il est mort.

Mais la vie
continue. Les moments comme hier ou le voyage à Djibouti
n’arrangent pas les choses, ça, je le dois à ceux
qui n’ont pas fait leur travail et je me dis que c’est toujours
quelque chose que les enfants n’auront pas à faire. Vous
savez, les enfants vont bien, ils ont de bons résultats
à l’école, moi j’ai mon travail, j’ai surmonté
la maladie. On a essayé de me faire passer pour folle mais
pour l’instant, je tiens la route. On aurait eu une autre attitude
avec moi, jamais je n’aurais fait tout ça. Mais ce mépris
pour ma famille… Je ne peux pas l’admettre d’un Etat de droit.
A la mort de mon mari, lorsque l’on m’a demandé de rechercher
dans ses affaires un papier important pour les intérêts
du pays, on m’a dit " la France a besoin de vous ",
elle est ou aujourd’hui la France?
_____________________________________________

Recueilli
par Mélanie TREMBLAY

7 ans d’ombres et de doutes
Le 19 octobre 1995, le corps calciné de Bernard Borrel
est découvert dans un ravin. Un bidon d’essence et un briquet
près de lui, ses habits pliés dans sa voiture non
loin de là. On conclut à un suicide. Le lendemain,
Jean-Claude Sapkas, conseiller juridique français du président
de la République djiboutienne de l’époque, se présente
chez Elisabeth Borrel et lui demande de rechercher, en vain, un
document de la plus haute importance que son mari devait détenir.
Trois jours plus tard, accompagnée de ses deux fils de
5 et 8 ans, elle repart pour Paris, abandonnant sur place le corps
de son mari qui doit être autopsié avant le rapatriement,
ce qui ne sera pas le cas.

Le 3 novembre
1995, la dépouille du juge Borrel est rapatriée
à Toulouse et ensevelie le lendemain à Frouzins.
Elisabeth Borrel demande au procureur de Toulouse d’ouvrir une
information afin qu’une autopsie ait lieu. Celle-ci est ouverte
au Parquet le 5 novembre 1995 pour " recherche des causes
de la mort ". L’autopsie est finalement réalisée
en février 1996, et les résultats ne seront livrés
qu’un an après. Ils révèlent notamment l’absence
de suif dans les poumons. Le professeur Lazarini, qu’Elisabeth
Borrel consulte à titre d’expert privé, met en cause
la thèse du suicide. Pour lui, Bernard Borrel était
sans doute mort quand son corps fut enflammé. Mme Borrel
porte alors plainte pour assassinat. Le dossier est déplacé
à Paris et confié aux juges Roger Le Loire et Marie-Paule
Moracchini.

En mars
1999, ils se rendent une première fois à Djibouti.
Début
2000, un témoin, réfugié politique djiboutien
en Belgique se manifeste. Officier dans la garde présidentielle
au moment des faits, il affirme que le juge Borrel a été
assassiné et que le nouveau président de Djibouti,
Ismaël Omar Guelleh est le commanditaire du meurtre. Il annonce
également que le juge était sous escorte lorsqu’il
s’est rendu sur les lieux de son suicide, ce qui est confirmé
par des témoins.
Entendu par la juge Moracchini, le témoin se plaint d’avoir
fait l’objet de pressions de la part de la magistrate.
En mars 2000, les juges se rendent une nouvelle fois à
Djibouti et procédent à une reconstitution. Elisabeth
Borrel et ses avocats n’ont pas le droit de les suivre.

En juin 2000,
les deux juges sont dessaisis de l’affaire par un arrêt
de la chambre d’accusation. Le juge Jean-Baptiste Parlos reprend
le dossier et recommence l’instruction à zéro. Il
se rend à Djibouti, en février 2001, en compagnie
de la partie civile cette fois. Il demande à son retour
une nouvelle exhumation qui a eu lieu hier.