14/01/03 (B180/2) Les USA s’installent dans la Corne de l’Afrique (RFI)

Un peu plus d’un an après
les attentats du 11 septembre 2002, les Etats-Unis sont parvenus à
s’installer, militairement et diplomatiquement, à Djibouti, le centre
géographique de la Corne de l’Afrique qui baigne à la fois dans
la Mer Rouge et le Golfe d’Aden. Une région au cour de la lutte anti-terroriste
lancée par le président Bush, que Washington avait été
obligé de quitter au milieu des années 70, lorsque l’Ethiopie
de Hailé Sélassié, après la Somalie de Siyad Barre,
avait basculé dans le camp soviétique, à la suite de
la révolution du «Derg» dirigé par Hailé
Mariam Mengistu, le «négus rouge» aujourd’hui en exil au
Zimbabwe. Et alors que, de l’autre côté du détroit de
Bab el Mandeb, le Yémen du Sud s’était lui aussi rangé
du côté de Moscou, en prenant ainsi en tenaille le petit Territoire
Français des Afars et des Issas (TFAI), devenu en 1977 la République
de Djibouti.

Donald Rumsfeld, le très
conservateur secrétaire d’Etat américain à la Défense
a eu de la peine à cacher son émotion, ce mercredi 11 décembre,
lorsqu’il a terminé une tournée historique dans la Corne de
l’Afrique, par une étape à Djibouti qui a sanctionné
le basculement de toute la région dans le camp américain. «Je
m’attends à ce que dans deux, trois ou quatre ans ces installations
(aujourd’hui américaines) soient là», a-t-il dit, au centre
du Camp Lemonier, une grande base militaire de la Légion étrangère
française jusqu’à il y a quelques années, occupée
depuis six mois par quelque 900 soldats américains, presque tous membres
des forces spéciales. «Nous devons être là où
l’action est, a-t-il précisé. Il n’y a aucun doute que c’est
une région où il y de l’action. Il y a des terroristes par exemple
juste de l’autre côté, au Yemen, et dans le sud de l’Arabie saoudite.
Il y a des problèmes sérieux, (mais) c’est un bon endroit pour
avoir un point de vue (sur toute la région) au cours des prochaines
années».

Un état-major de
400 hommes basé sur un navire

En six mois seulement,
les «marines» ont littéralement transformé les vieux
bâtiments presque délabrés de cette ancienne base française
en une petite ville made in America. Une base appelée à «s’agrandir
rapidement», car, selon Rumsfeld, «Djibouti est un grand partenaire
des Etats-Unis». Avec le consentement explicite du président
djiboutien Ismaël Omar Guelleh et quelques grincements de dents du côté
de l’ancienne puissance coloniale.

Car, la France a été
mise quelque peu devant le fait accompli par les Etats-Unis et le président
Guelleh. Elle craint désormais que celui-ci ne soit sous peu tenté
de placer la barre encore plus haut, lors des prochaines négociations
– politiques et financières – sur la location de ce qui le reste la
principale base française à l’étranger, avec un effectif
de plus de 2 700 soldats. Une base indispensable à la France pour continuer
de peser dans toute la région et qui ne cesse de prouver son utilité
depuis la fin de la «guerre froide» et le début de toutes
les autres guerres, à commencer par celle du Golfe (1991).

C’est aussi à partir
de Djibouti que, depuis vendredi 13 décembre 2002, l’état-major
de la coalition internationale contre le terrorisme dans le golfe d’Aden,
dirigé par les Etats-Unis, est officiellement opérationnel.
Constitué de 400 personnes, cet état-major représente
toutes les forces armées américaines, et comprend quelques Allemands,
Britanniques, Italiens et Espagnols, mais pas de Français. Une «armada»
impressionnante dirigée par un commandement installé à
bord du navire USS Mount Witney mais directement reliée au Camp Lemonier
flambant neuf que Donald Rumsfeld a tenu à inaugurer.

Autre détail qui
n’a guère échappé aux observateurs, le même jour
la radio publique internationale Voice of America a commencé à
émettre sans interruption en ondes moyennes à Djibouti, en arabe
comme en anglais, grâce à un émetteur très puissant
(600 kilowatts) qui devrait permettre aux Américains de «couvrir»
toute la région, y compris une partie de la péninsule arabique.
Ces émissions s’ajoutent à celles que VOA continue d’assurer
en ondes courtes en anglais mais aussi en arabe et en amharique, la langue
officielle éthiopienne.

D’autre part, avant d’annoncer
son intention de s’implanter au cour de la Corne de l’Afrique, Donald Rumsfeld
s’est assuré le soutien explicite des principaux pays de la région,
à commencer par les frères-ennemis d’Addis Abeba et d’Asmara.
Issaias Afeworki, le président de l’Erythrée – dont les côtes
s’étirent sur 800 kilomètres sur la Mer rouge – a déclaré
qu’il était prêt à permettre aux navires américains
l’accès aux installations militaires de son pays. Or, l’Erythrée
dispose notamment de pistes d’atterrissage capables d’accueillir des avions
cargos gros-porteurs et surtout des ports en eau profondes, à Massawa
et à Assab, situés juste en face des côtes yémenites
et saoudiennes, que Washington a déjà commencé à
fréquenter depuis l’accession à l’indépendance du pays.

L’Ethiopie de Meles Zenawi,
elle aussi allié des Etats-Unis depuis le départ du «Négus
rouge», a quant à elle maintes fois prouvé sa disponibilité
constante à prêter main forte aux soldats américains,
notamment lorsqu’il s’agit de pourchasser les éventuels membres d’Al
Qaïda présents en Ethiopie (dans l’Ogaden et chez les Oromos)
mais aussi en territoire somalien. «Dans la lutte mondiale contre le
terrorisme, l’Ethiopie ne va pas hésiter, à dit Zenawi à
Rumsfeld. Nous ferons tout ce qu’il faudra pour le combattre».

C’est surtout dans le
Somaliland et le Puntland, deux «Etats autonomes» qui contrôlent
les principales côtes du Nord de la Somalie, que les Etats-Unis peuvent
trouver les autres appuis indispensables pour une surveillance efficace du
Golfe d’Aden. C’est aussi ici que se situent deux autres ports qui pourraient
devenir utiles : celui de Berbera (Somaliland) qui dispose d’une base navale
autrefois soviétique que les Américains auraient pu utiliser
dès la fin des années 70, lorsque la Somalie de Barre a basculé
du côté de Washington ; et celui de Bossasso (Puntland), vite
devenu une « capitale » très dynamique du nord somalien grâce
aux trafics en tous genres entre les côtes somaliennes et celles du
Yemen.

Enfin, il se confirme
qu’en Somalie, la très grande majorité des «seigneurs
de la guerre» et des chefs de clan surarmés qui se disputent
le territoire sont approvisionnés régulièrement par des
trafiquants qui leur fournissent surtout du matériel américain
: de l’armement qui transite souvent par l’Ethiopie et qui peut permettre
à Washington de maintenir le contrôle du niveau d’un conflit
qui dure depuis plus de dix ans.

ELIO
COMARIN
13/12/2002