01/02/03 (B183) Une personne, suspectée de crimes contre l’humanité au Rwanda, obtient l’asile en France, en contradiction avec les recommandations de l’OFPRA. ( Communiqué commun de la FIDH, de Survie, de la LDH et de Cimade)

Fédération
internationale des ligues des droits de l’ Homme (FIDH)
Ligue des droits de l’Homme (LDH)
La Cimade
Survie

Communiqué

Un rwandais suspecté
de génocide se voit accorder l’asile par la Commission de recours des
réfugiés en France

Paris, 31 Janvier 2003

La FIDH, la LDH, la Cimade et Survie sont stupéfaits par la reconnaissance
de la qualité de réfugié, le 7 janvier 2003 par la Commission
des Recours des Réfugiés pour une personne de nationalité
rwandaise qui avait fait l’objet d’une décision d’exclusion par l’OFPRA.
Cette décision était fondée sur l’article 1.f.a qui exclut
de la protection garantie par la Convention de Genève " les personnes
dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un
crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité
(…) ".

En effet, dans sa décision
d’une section présidée par M.VIDEAU, la commission des Recours
des Réfugiés a estimé que " si dans un rapport édité
en 1993, d’une commission internationale d’enquête sur les violations
des droits de l’Homme (1) , l’intéressé est cité comme
l’un des principaux organisateurs de massacres d’octobre 1990 à Kibilira
(2) et qu’il figure en outre sur les listes de " génocidaires
" établie en 1994 par le gouvernement rwandais, ces imputations,
à défaut de témoignages circonstanciés et directs,
sur les initiatives qu’il aurait prises ou sa participation effective dans
les atrocités dont a été victime, tant en 1990 qu’en
1994, la communauté tutsie, sont insuffisantes pour convaincre de ses
responsabilités dans les exactions et les crimes alors commis, qu’il
en est de même de la mise en cause dont il a été l’objet,
à raison des mêmes faits criminels, par l’avocat d’un inculpé
au cours d’un procès d’assise tenu en mai 2001 en Belgique (3) […]
qu’enfin il n’a été à aucun moment, cité ou mise
en cause devant le tribunal pénal international sur le Rwanda"
et a reconnu la qualité de réfugié à l’intéressé.

Cette décision
fait montre avec désinvolture, d’une méconnaissance de la situation
rwandaise, qui flirte ave le négationnisme puisque la décision
ne parle que d’exactions ou d’atrocités contre la communauté
Tutsi et omet d’utiliser le terme de génocide et d’un mépris
vis-à-vis du travail des organisations des droits de l’Homme.

Cette décision
repose encore une fois la question de l’ambiguïté des Pouvoirs
publics français vis-à-vis de la présence sur le sol
français, de personnes suspectées d’avoir participé à
l’organisation ou l’exécution de ce génocide. Depuis 1996, la
Commission des Recours des Réfugiés a prononcé, nonobstant
sa décision récente, une dizaine de décisions définitives
d’exclusion du statut de réfugié à l’encontre de ressortissants
rwandais. Malgré les soupçons exprimés par la CRR, aucune
des personnes visées par l’exclusion n’a fait l’objet d’un début
d’information judiciaire en France, sauf quand des associations dont la FIDH
ou les victimes elles-mêmes ont déposé des plaintes à
leur encontre. Celle-ci est pourtant rendue possible par la loi du 22 mai
1996, qui par adaptation en droit interne du Statut du Tribunal Pénal
International pour le Rwanda donne compétence aux procureurs et aux
tribunaux français pour connaître des crimes commis sur le territoire
rwandais lors du génocide de 1994.

Cette situation est également
préjudiciable aux personnes mises en cause. Exclues de la convention
de Genève parce que des sérieux soupçons d’avoir participé
à un génocide pesaient contre elles, elles sont laissées
dans une situation juridique intolérable : non expulsables en raison
des craintes de traitements inhumains et dégradants qu’elles pourraient
subir en cas de retour au Rwanda, ni régularisables mais également
non justiciables puisqu’aucune instruction n’est entamée pour chercher
à établir pénalement les faits dans le respect des droits
de la défense et de la présomption d’innocence.

A l’heure où les
pouvoirs publics affirment qu’aucun délit ou crime ne demeurera impuni,
l’inertie et l’indifférence des autorités politiques et judiciaires
vis-à-vis de ces personnes s’apparentent à un déni de
justice ou pis à l’organisation de l’impunité.
Cette situation n’est plus supportable. Nous demandons que les autorités
politiques et judiciaires, à l’instar des autorités belges et
suisses, prennent les mesures adéquates afin que les personnes suspectées
d’avoir participé au génocide de 1994 soient jugées,
avec les garanties de la procédure française.

notes :


1 – Violations massives et systématiques des droits de l’Homme depuis
le 1er octobre 1990, rapport conjoint FIDH, Africa Watch, Union interafricaine
des droits de l’Homme et des peuples, Centre international des droits de la
personne et du développement démocratique, 1993.

2 – massacres visant les Tutsi Bagogwe en 1991 1993, qui ont été
la répétition générale du génocide de 1994.

3 – procés de M.Ntezimana et Higaniro. Les personnes ont été
condamnées pour crimes de droit international humanitaire, sur la base
des 4 Conventions de Genève et ses deux protocoles, respectivement
à 12 et 20 ans de réclusion criminelle.