28/05/03 (B199) SURVIE / TCHAD – Lettre ouverte de F-X Vershave à M. Pietro Veglio, Executive Director, Banque Mondiale.

M.Pietro
Veglio
Executive Director World Bank

Monsieur,

Nous avons été
informés que des actes graves commis dans le Sud du Tchad – notamment
dans le Logone Oriental – menacent la paix civile dans cette région.
Leur contexte est étroitement lié aux activités illégales
des autorités locales, tolérées par le régime
au pouvoir à N’Djaména dont elles sont proches.

Selon nos informations,
les autorités locales (Sous-préfets, Préfets..) procèdent
à (ou protègent) des expropriations abusives destinées
au profit personnel de leurs auteurs. Il s’agit de véritables dépossessions
illégales de terres ou de terrains dont ces personnes s’attribuent
la propriété afin de les revendre.

Certains spoliés
ayant élevé des protestations ont été victimes
d’arrestations arbitraires et seraient toujours détenus. Il s’agit
notamment de Timothée Mbaïlasem, Peurtoloum Ngarsadjm, et de Grégoire
Ngar-Adnan. Nous apprenons sans étonnement que ces derniers sont des
militants d’une formation politique de l’opposition légalement constituée.

Le député
fédéraliste Ngarlejy Yorongar, élu de Moundou, a saisi
M. Yoma-Golong Roupangtang, le Ministre tchadien de l’intérieur, de
la question de ces procédures abusives. Ce dernier aurait averti le
Préfet de Nya-Pendé, en présence du Gouverneur du Logone
Oriental, de sa décision : suspendre les expropriations en cours et,
plus généralement, mettre fin à de telles pratiques.
Cette intervention, qu’elle ait été ou non destinée à
produire effet, n’en a eu aucun.

La situation décrite
ci-dessus – comme bien d’autres abus – est liée à "l’or
noir" qui aiguise l’appétit des détenteurs d’un pouvoir
manifestement insensible à l’intérêt collectif. Elle découle
de l’ambition de quelques uns d’en accaparer les bénéfices au
détriment des besoins élémentaires des populations tchadiennes.

Le Groupe International
Consultatif (GIC) de la Banque Mondiale l’a lui même révélé
dès 2001, à travers ses principales préoccupations quant
à l’évolution de la situation au Tchad : " la progression
à "deux vitesses" entre le consortium d’une part et les administrations
publiques et la société civile de l’autre, et le décalage
entre leurs capacités ; le risque de créer une enclave industrielle
détachée des réalités politiques et sociales ;
l’importance de sécuriser les populations quant aux impacts du projet
et dans leurs relations avec les administrations publiques… ". Autrement
dit, le pétrole ne coule pas pour le bien-être des Tchadiens,
pour le renforcement de leurs capacités (volet scandaleusement négligé
du projet), notamment en termes de maîtrise de la construction d’un
Etat de droit dans une société solidaire. Il coule pour des
intérêts de sociétés occidentales liées
au projet et pour des prédateurs tchadiens sur lesquels on ferme les
yeux.

Cette situation – qu’avec
bien d’autres nous craignions dès l’annonce par la Banque Mondiale
de la construction de l’oléoduc Tchad-Cameroun – perdure depuis l’amorce
du projet. Rien n’est venu corriger sa progression. Les conditions de vie
des Tchadiens empirent d’année en année. Le désastre
dont ils sont victimes requiert une volonté ferme et courageuse de
prendre fait et cause en leur faveur, la fin du silence sur les pratiques
de ceux qui les oppriment.

Nous comptons sur vous
pour vous saisir de ce dossier et pour prendre toute mesure susceptible de
mettre la réalité tchadienne en pleine lumière, en vue
d’obtenir la réforme drastique qu’elle exige.

Dans cette attente, je
vous prie de recevoir, Monsieur, l’expression de ma haute considération.

Le
Président,
François-Xavier Verschave

cc : Monsieur Yoma-Golong
Roupangtang, Ministre de l’intérieur du Tchad ; Monsieur Abderahman
Moussa, Ministre de la sécurité publique du Tchad.