07/06/03 (B201) Dans la série « Nos interviews (presque) imaginaires », nous avons rencontré le Procureur abusif et impitoyable, Djama Souleiman, le « Fouquier-Tinville » de la terreur djiboutienne.

 

Un
justicier ‘corrompu’ dans une ville aux mains de la dictature ?

« Grande oreilles »
ou « Le Procureur abusif » est l’homme
qui a fait remettre DAF à Gabode
après 48 heures à peine, de liberté.

Aujourd’hui,
nous avons rendez-vous avec le PA. Prononcer ‘Procureur abusif ».

Il nous a proposé
de le recontrer dans son bureau au Palais de Justice.

Au mur des reproductions
de portraits français datant de la fin du XVIIIème siècle.

Des personnages
austères au visage toujours très dur, dont celui de Fouquier-Tinville (1745-1796),
ce tristement célèbre procureur, qui a fait condamner
à mort des milliers de personnes durant la Révolution
française, dont le Roi et sa famille.

Nous :
Monsieur le Procureur, nous vous remercions de nous avoir accordé cet
entretien, mais nous ne voudrions pas abuser de votre temps si précieux.

Le P.A. :
Comme c’est curieux ! Vous venez d’employer le verbe ‘abuser’. Tiens donc, je commence
à comprendre… Il faut que j’ouvre une instruction pour diffamation
(sans même nous regarder, il part dans un long monologue sur la possibilité
d’incarcérer l’inventeur de la nouvelle appellation ‘Procureur abusif ».
Il est comme absent, plongé dans des réflexions personnelles,
mais on sent la haine dans ses yeux).

Nous :
Hum, Hum ….. Excusez-nous, préféreriez-vous que nous revenions
à un autre moment, si vous êtes occupé ?

Le P.A.
(revenant sur terre) :

Mais non pas du tout, je vous écoute. En fait je réfléchissais
à la possibilité de vous inculper tous les deux pour diffamation
à mon endroit, car vous avez bien utilisé le mot ‘abuser’. N’est-ce
pas ? Vous pourriez donc être les auteurs ou les complices des auteurs
de ce sobriquet qui me colle à la peau depuis plusieurs jours et que
les gens répètent dans mon dos …. en ricanant bêtement.

Nous :
Attendez, nous n’avons pas utilisé de sobriquet à votre encontre.
Nous avons simplement dit que nous ne voudrions pas abuser de votre temps
précieux. Rien de plus !

Le P.A. :
C’est exact, mais il n’y a jamais de fumée sans feu ! Rien n’est anodin.
Autrefois, vous auriez utilisé un autre mot : ne pas me déranger,
par exemple. Donc je tiens un élément de preuve suffisant pour
vous faire inculper et transférer à Gabode. Rassurez-vous, vous
n’êtes pas les seuls dans ce cas.

En dehors des proches
de Guelleh, dont je me flatte de faire partie, je ne vois pas un seul Djiboutien
qui pourrait échapper à une inculpation suivie d’une mesure immédiate
de détention proviso-définitive. Chaque djiboutien est un délinquant
potentiel en liberté provisoire.
C’est ma devise.

Nous :
N’avez-vous pas, au fond de vous-même, le sentiment que vous allez un
peu trop loin.

Le P.A. :
Oui et non. Comprenez-moi ! Il faut d’abord que vous sachiez que j’ai eu une
enfance difficile. Que j’ai souvent été battu de façon
injuste, avec un père terrible et une mère trop faible pour
lui résister. En plus mes soeurs m’ont couvé, trop couvé (…)

Nous : (à voix basse)
Docteur Freud, à l’aide !

Le P.A. : (poursuivant son discours)
Il a fallu que je me forge
un caractère de fer pour résister et pour devenir ce que je
suis : un homme dur, lucide et sans aucun état d’âme. C’est ce qui explique ma réussite actuelle à l’un des plus hauts postes de la Justice. J’aime
l’histoire et je relis la biographie de ces grands hommes français : Robespierre,
Saint-Just, Fouquier-Tinville.

Pour quelles raisons,
ces hommes sont-ils devenus célèbres ? Parce qu’ils n’avaient
aucun d’état d’âme, aucune compassion et qu’ils appliquaient
durement mais sereinement la Loi et qu’ils prononcaient les sentences maximum.
Ce sont des hommes qui n’ont jamais reculé pour demander la mort dans
un réquisitoire. Combien de têtes ont-ils obtenu au cours de
leur carrière ?

Nous :
Attendez, les temps ont changé. La révolution française
est terminée depuis longtemps ….

Le P.A. :
Certainement, mais à Djibouti nous avons deux siècles de retard
et cela ne fait que commencer. Nous sommes à l’an zéro de la
terreur. Chaque Djiboutien doit le comprendre et le savoir. Zéro impunité, 100 % de la peine applicable pour chaque Djiboutien ! Sauf pour les dirigeants actuels et leurs équipes tant qu’ils bénéficieront de l’immunité traditionnelle !

Tout homme commet un jour
ou l’autre, ce que Guelleh considère comme un délit, même
mineur, et il doit payer son geste à la société. Et c’est
à moi qu’il revient de faire appliquer la Loi et d’exiger que le Tribunal,
avec lequel j’entretiens généralement les meilleures relations,
prononce des jugements conformes à mes réquisitoires. C’est
comme cela que l’on créé des réflexes d’obéissance
et de civisme au sein d’une population livrée à elle-même depuis des années.

Nous :
C’est inquiétant ! Mais en fait ce n’était pas la raison
principale de notre interview …

Le P.A. :
Ah bon ? Et quel était le sujet ?

Nous :
La nouvelle incarcération de DAF, après sa mise en liberté
provisoire deux jours avant …

Le P.A. :
Eh bien, parlons-en. Qu’est ce qu’une liberté provisoire ? Il faut
savoir et c’est important que c’est une mise en liberté d’un détenu
pendant un temps donné, dont la durée n’est pas précisée
au départ. Cela peut varier entre une minute et plusieurs années. Et l’expérience montre que plus c’est court, moins on est embêté par les multi-rédicivistes, comme DAF.

Dans l’affaire DAF, un
juge totalement irresponsable(*) avait signé sans réflechir une ordonnance
de mise en liberté provisoire.

C’était son droit
le plus strict et je respecte scrupuleusement l’indépendance de tous
les magistrats, mais il(elle) devra me rendre des comptes précis et surtout
être capable de justifier sa décision, sinon, je le(la) ferai inculper
.. lui(elle) aussi pour non assistance à criminel en liberté !

Ce juge n’a pas réfléchi
aux conséquences de son acte … Donner au monde entier l’impression
que Guelleh pouvait reculer face à la pression internationale ! En
passant je dois dire que cette pression est relativement forte et que je la
dénonce, car ce n’est qu’une grande manipulation organisée par
les ennemis du régime pour fragiliser Guelleh, notre leader incontesté,
notre maître à penser, notre guide !

Je reviens à l’affaire
DAF. Je m’appuie sur les deux autres procès en appel qui sont à
venir. Je vous rappelle que DAF a été condamné, en première instance, à
trois reprises par des juges dont je garantis
personnellement l’indépendance absolue. Les sanctions prises à son encontre sont donc incontestables.

Donc m’appuyant sur le
fait que les appels ne sont pas encore passés en jugement, j’ai simplement
demandé la remise en prison de DAF, ce qui n’est que l’application des décisions de la justice de notre pays, qui est, je le rappelle pour me faire bien entendre, indépendante et souveraine.

Mon rôle est de
protéger la société civile contre tous les criminels
en liberté, même provisoire et DAF est autrement plus dangereux
avec sa plume qu’un forcené armé.

C’est un terroriste intellectuel
et il pourrait causer beaucoup de dommage à la bonne réputation
de l’équipe de Guelleh. C’est l’application du simple principe de précaution car il représente un danger réel pour le moral de nos militaires et pour la tranquilité de Guelleh. Ce sont les seules
raisons pour lesquelles, j’ai demandé à nos vaillants policiers de le reconduire ‘sans aucune brutalité’, notez-le bien, à
Gabode. Les généraux Zakaria et Fathi m’ont d’ailleurs téléphoné personnellement
pour me féliciter et pour me remercier. Je suis assuré d’avoir le soutien total de notre glorieuse Armée.

Nous :
C’est clair, limpide même. Nous vous remercions de vos explications

Le P.A. :
En partant, passez donc par le Greffe …. On va vous signifier votre inculpation
pour complicité de diffamation, pour diffusion de fausses nouvelles,
pour injures au Chef de l’Etat et pour rebellion à l’encontre d’un
haut Magistrat. Rien qu’avec ce que vous avez dit lors de cet entretien (et
que j’ai enregistré soigneusement), j’ai de quoi vous envoyer à
Gabode pour cinq années.

Et ne comptez pas trop sur
votre avocat que je choisirai personnellement. Depuis le ralliement de Me Aref, nous maitrisons parfaitement
l’ensemble du barreau, qui suit tous mes avis et toutes mes recommandations.
Bien sur, les avocats continuent à faire quelques effets de manche devant la Cour, pour donner le
change, mais c’est pure comédie en accord avec moi, comme vous le constaterez durant l’instruction
de votre procés.

A bientôt, Messieurs,
on se retrouvera au Tribunal pour votre jugement où je vous promet de requérir le maximum de la peine à votre encontre … Vous m’en remercierez plus tard, car cela vous aura évité d’écrire n’importe quoi dans votre feuille de choux, qui est lu par les ânes sans cervelle.

Nous :
Méfiez-vous, car vos modèles : Robespierre, Saint-Just, Fouquier-Tinville
ont terminé leur carrière sur l’échafaud. Craignez que
cela ne vous arrive un jour !

Le P.A. :
Ne vous inquiétez pas pour moi. Je sais où me cacher. Les coups
de pied au derrière, j’en ai tellement pris de tous les côtés que j’ai l’habitude maintenant ! Et puis n’oubliez pas que Fouquier-Tinville
a requis la peine de mort contre la famille régnante. Pour moi, ce
serait ma plus belle plaidoirie, mon bâton de maréchal : imaginez Guelleh
et sa famille inculpés devant mon Tribunal pour crimes contre l’humanité, pour corruption, pour racket ou … je me pourlèche les babines, pour meurtre !

Et en plus cela me donnera du crédit auprès des nouveaux dirigeants, qui seront contraints de me faire confiance. Je les servirai ensuite avec autant de zèle que je sers Guelleh aujourd’hui … au moins jusqu’à leur chute.

(*) Aurait-il
voulu parler de la juge Mme Habicha Hachem ? Nous ne le savons pas à l’heure actuelle.