01/08/03 (B207) Human Right Watch (HRW) écrit une lettre ouverte à IOG pour lui demander la libération de DAF. (Version en Français)

Lien
avec l’article : http://hrw.org/french/press/2003/djibouti073003ltr.htm

Lettre
au Président Guelleh

Son
Excellence Ismaël Omar Guelleh

Président de Djibouti
c/o Embassy of Djibouti
1156 15th St., NW, Suite 515
Washington DC 20005

30 juillet
2003

Monsieur le Président
Guelleh:

Human Right Watch vous
demande de libérer de la détention, et sans condition, le journaliste
Daher Ahmed Farah, un leader de l’opposition politique qui a été
condamné pour le crime de diffamation pour avoir critiqué le
chef d’Etat-major de l’armée dans un article publié dans son
journal, Le Renouveau. Nous demandons également que le gouvernement
lève l’interdiction de publication de trois mois dont Le Renouveau
s’est vu frappé et l’énorme amende imposée à Farah.

En plus, Human Rights
Watch recommande vivement l’abrogation de la loi faisant des déclarations
diffamatoires une infraction criminelle.

Farah a été
arrêté le 17 avril pour un article alléguant que le chef
d’Etat-major de l’armée se servait de façon abusive d’une troupe
d’artistes de l’armée et utilisait sa position à des fins politiques.
Ceci est une affaire de réputation personnelle pour laquelle une peine
criminelle ne devrait pas être appliquée.

En plus de la peine d’emprisonnement,
la cour d’appel a ordonné à Farah de payer des dommages et intérêts
de 13 millions de francs djiboutiens (autour de 74.000 dollars américains)
et lui a imposé une amende criminelle de 1 million de francs djiboutiens
(autour de 5.500 dollars américains). Ces sommes sont énormes
dans un pays où le revenu moyen par individu est moins de 800 dollars
américains. La cour a également interdit la publication de Le
Renouveau pour trois mois.

La condamnation de Farah
est en violation de la loi internationale de protection de la liberté
d’expression. L’article 19 de l’Accord International sur les Droits Civils
et Politiques (International Covenant on Civil and Political Rights, ICCPR)
stipule : " Tout le monde aura le droit à la liberté d’expression
; ce droit comprendra la liberté de . . . diffuser . . . l’information
et les idées de toutes sortes . . . par écrit ou dans la presse.
" Djibouti a adhéré au ICCPR le 3 février, 2003.

La presse doit bénéficier
de la plus grande protection quand elle couvre des sujets d’intérêt
public. Les Principes de Syracuse sur les Limitations et Dérogation
aux Dispositions du ICCPR, qui prévoient un guide autorisé de
l’accord, précisent que même en période d’état
d’urgence national, la clause dans l’article 19 qui permet la restriction
de la liberté d’expression en vue de protéger la réputation
des autres " ne sera pas utilisée pour protéger l’Etat
et ses représentants, de l’opinion publique ou de la critique "
(Principe 37).

De même, les Principes
de Johannesburg sur la Sécurité Nationale, la Liberté
d’Expression et l’Accès à l’Information prévoient que
" Personne ne peut être punie pour avoir critiqué ou offensé
. . . les autorités publiques . . . sauf si la critique ou l’offense
était intentionnelle et de nature à inciter à une haine
imminente " (Principe 7).

Les lois sur la diffamation
criminelle ont un profond et néfaste impact sur la liberté des
média et le débat démocratique. Les peines criminelles
sont disproportionnées et non nécessaires, surtout quand elles
sont utilisées pour défendre la réputation des grandes
autorités du gouvernement. Pour que le système démocratique
puisse fonctionner, les critiques à l’endroit des figures publiques
doivent être solides et libérées des entraves que sont
les menaces d’emprisonnement. Si protection il doit y avoir – dans des circonstances
extrêmes – elle doit être assurée par des moyens beaucoup
moins répressifs que des sanctions criminelles.

Dans le cas de Farah,
il s’avère que la loi sur la diffamation est en train d’être
appliquée principalement pour réduire au silence le dissident
politique. Farah n’est pas seulement l’éditeur de Le Renouveau, il
est aussi un rival politique, en sa qualité de chef du Mouvement Pour
le Renouveau Démocratique. Le Renouveau est une des rares publications
en dehors du monopole que le gouvernement et ses alliés exercent sur
la presse écrite et radiodiffusée au Djibouti.

L’usage abusif de la loi
sur la diffamation pour punir les opposants politiques se reflète dans
les conditions punitives et vindicatives de détention auxquelles les
autorités ont soumis Farah depuis le début du mois d’avril.

Il paraît que Farah
est détenu dans une toute petite cellule de 2,5 sur 1,5 mètres
(numéro 13) dans la prison de Gabode. Une toilette occupe la moitié
de cet espace. Quand un prisonnier est assis contre un mur, ses pieds touchent
l’autre mur. La cellule grille tout le temps à cause du soleil réfléchi
par un mur à côté. La ration d’eau est inadéquate,
et la cellule est infestée de mouches le jour, de moustiques la nuit.
Il paraît que Daher Ahmed Farah est coupé de tout contact humain
; la cellule habitée la plus proche se situe à 500 mètres
et la présence humaine la plus rapprochée est un garde sur le
toit de la prison, à 20 mètres.

Daher Ahmed Farah a été
maintenu en détention préventive dans ces conditions abominables
pendant les six semaines qu’a durées l’attente du procès, jusqu’à
ce qu’un magistrat a ordonné sa libération le 3 juin, 2003.
Trois jours après, il a été arrêté de nouveau
et remis dans la cellule 13.

Le 23 juin, Farah a été
acquitté par la cour pénale de Djibouti et relâché
encore. En appel par le gouvernement, la cour d’appel l’a condamné
le 9 juillet à six autres mois de prison, dont trois avec sursis. Les
autorités carcérales ont immédiatement enfermé
Farah dans la cellule 13 encore.

Juillet et août
sont les mois les plus chauds à Djibouti et les températures
diurnes dans la cellule monteront jusqu’à plus de 40 degrés
Celsius.

Les conditions de détention
de Farah sont on ne peut plus inhumaines, et violent le ICCPR, article 7,
qui stipule : " Personne ne sera soumise aux . . . traitement ou peine
cruels, inhumains ou dégradants. " Elles ne se conforment pas
non plus aux Règlements de l’ONU sur le Standard Minimal pour le Traitement
des Prisonniers.

L’usage du système
judiciaire pénal pour emprisonner un journaliste de l’opposition et
leader politique pour l’expression pacifique de ses opinions ainsi que l’interdiction
de son journal, non seulement violent la loi internationale, mais aussi ne
servent qu’à détruire les idéaux démocratiques
repris dans la Constitution de Djibouti et à menacer la légitimité
des institutions de l’Etat.

Monsieur le Président,
vous avez le pouvoir de réparer les dommages causés par l’usage
injustifié de la procédure pénale et par l’imposition
cruelle, et sans nécessité, d’un jugement. Nous vous demandons
d’user, sans tarder, de ce pouvoir pour libérer Daher Ahmed Farah,
annuler l’amende encourue, et rapidement rétablir, pour Le Renouveau,
le droit de publication.

Nous vous prions d’agréer
l’expression de nos sentiments respectueux.

Peter
Takirambudde
Directeur exécutif, Division Afrique