11/09/03 (B211) A découvrir sur Jeune Afrique sous la signature de Chérif Ouazani, un excellent article fort bien documenté sur ‘le nettoyage ethnique’, dont nous reprenons l’essentiel. (Information d’un lecteur)

LIEN :

Opération anticlandestins

Sommés de quitter
le pays avant le 15 septembre, officiellement pour raison économique,
100 000 sans-papiers africains ont pris le chemin de l’exode.

Au-delà des problèmes
humanitaires qu’elle provoque, la décision d’expulser les étrangers
en situation irrégulière, prise par le gouvernement djiboutien
le 26 juillet, n’est pas sans soulever des difficultés pratiques. Fixée
au 31 août, la date d’expiration de l’ultimatum lancé aux sans-papiers
par Abdoulkader Doualeh Waïs, ministre de l’Intérieur, a dû
être repoussée au 15 septembre. Voici quelques clés pour
mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ce drame.

Pourquoi les étrangers
sont-ils devenus indésirables ?

En janvier 2003, le président
Ismaïl Omar Guelleh est reçu en grande pompe à la Maison
Blanche. Son pays est appelé à abriter le quartier général
de la coalition internationale, sous commandement américain, chargée
de lutter contre le terrorisme. Sa mission : surveiller les espaces terrestre,
aérien et maritime de six pays de la Corne de l’Afrique : Djibouti,
Érythrée, Éthiopie, Kenya, Somalie et Soudan. Objectif
: prévenir tout mouvement suspect lié à el-Qaïda.

En recevant Guelleh, George
W. Bush explique le choix de Djibouti par sa situation géographique,
mais aussi par sa stabilité politique et sa maîtrise des questions
sécuritaires. Quelques mois plus tard, le département d’État
émet un bulletin d’alerte concernant certains pays d’Afrique de l’Est,
dont Djibouti, qui n’est plus aussi sûr que l’on pensait. Une simple
statistique suffit à expliquer la décision du gouvernement d’Ahmed
Dileita : 80 % de la population carcérale est d’origine étrangère.
Le 26 juillet, la décision tombe : les illégaux ont trente-cinq
jours pour quitter le territoire djiboutien.

Y a-t-il eu des pressions
extérieures ?

« Aucune ! assurent
les officiels djiboutiens, cette décision est motivée par des
considérations de sécurité intérieure et ne nous
a été dictée par aucun partenaire. » Ce démenti
est intervenu après que des médias, notamment arabes, et des
opposants en exil eurent fait état de pressions américaines
pour que le gouvernement maîtrise mieux le flux et la circulation des
personnes sur le territoire qui abrite les forces coalisées contre
le terrorisme. Ces rumeurs ont été si insistantes qu’elles ont
provoqué un communiqué de l’ambassade américaine à
Djibouti. Signé par James Beamer, attaché culturel, le texte
assure que les États-Unis n’ont joué aucun rôle dans la
décision souveraine d’un pays ami. Il déplore toutefois les
violations des droits de l’homme commises lors de certaines reconduites à
la frontière.
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Qui sont les illégaux ?

Faute d’un recensement
précis, on estime le nombre de personnes concernées par cette
mesure à près de 100 000, pour une population djiboutienne de
souche de moins de 250 000. Avec 60 000 ressortissants en situation irrégulière,
l’Éthiopie arrive en tête des pays d’origine des clandestins.
Elle est suivie par la Somalie, l’Érythrée et le Yémen.
Selon le ministère de l’Intérieur, les ressortissants d’une
vingtaine de pays africains sont concernés par la mesure. La majorité
des illégaux proviennent des trois États limitrophes de Djibouti
: l’Éthiopie, l’Érythrée, toutes deux minées par
des conflits, et la Somalie, où il n’existe pas d’État. Le nombre
de clandestins « économiques » n’est cependant pas négligeable.
Pays relativement prospère, grâce notamment à la présence
de bases militaires américaine et française, Djibouti constitue
un véritable eldorado pour tous les déshérités
de la région.

Comment s’opèrent
les reconduites à la frontière ?

Jusqu’à la fin
de l’ultimatum, le 15 septembre, les départs sont volontaires. Au-delà,
les reconduites promettent d’être musclées. Mais les organisations
de défense des droits de l’homme dénoncent d’ores et déjà
les abus lors des contrôles d’identité et les traitement inhumains
subis par les clandestins. Autant de violations relevées par le communiqué
de l’ambassade des États-Unis à Djibouti. Même la presse
gouvernementale, à l’instar du bi-hebdomadaire La Nation, s’en est
prise aux « brebis galeuses » des Forces nationales de police
(FNP).
Les autorités nient en bloc et répondent que les
départs se font dans la sérénité. Voire. Comment
expulser en trente-cinq jours 100 000 personnes avec des capacités
de transport aussi réduites ?

Il y a trois moyens de
quitter Djibouti : l’avion, la route et le train. Le premier, trop onéreux,
est inaccessible à cette catégorie de personnes. La route reliant
Djibouti aux postes frontières avec l’Éthiopie, l’Érythrée
et la Somalie est dans un piteux état et ne permet l’évacuation
que de deux cents personnes par jour. On est loin du compte. Reste le train.
La voie ferrée qui relie Djibouti à Addis-Abeba est empruntée
par deux types de trains : l’autorail, avec ses trois classes, et l’Assajog,
une locomotive tractant huit wagons de troisième classe. Selon une
enquête publiée par La Nation, le premier assure une navette
trois fois par semaine, avec une capacité de 432 passagers par voyage,
soit un total de 5 184 personnes. Le second, d’une capacité de 512
places, effectue deux dessertes par semaine. Bien sûr, les frais
de transport sont à la charge de la personne expulsée. Seul
pays à couvrir les frais de ses ressortissants refoulés : l’Érythrée.
Asmara a affrété deux bateaux pour évacuer plus de mille
Érythréens en deux dessertes.

Quelles conséquences
sur l’économie ?

Il n’y a pas eu d’évaluation
précise, mais les séquelles seront profondes. Les étrangers
assuraient plus de 80 % des activités agropastorales et tenaient un
commerce sur deux. Nul doute que les chiffres du chômage baisseront
sensiblement. À condition que les Djiboutiens acceptent de remplacer
les clandestins qui assuraient les tâches les plus ingrates. Ce qui
est loin d’être acquis.

Cherif
Ouazani
dans Jeune Afrique