12/09/03 (B212) Lettre ouverte de SURVIE à Dominique de Villepin, Ministre français des Affaires étrangères à propos de ses déclarations dans le cadre des terribles événements survenus au Rwanda.

SURVIE “ Donner
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Paris, le 12 septembre
2003

Lettre ouverte
de l’association Survie

à
Monsieur Dominique de Villepin

Ministre
des Affaires étrangères

Monsieur le Ministre,

Nous avons été
extrêmement choqués par une expression que vous avez utilisée
lors de votre interview sur RFI le 1e septembre 2003 : « dix ans après
les terribles génocides qui ont frappé le Rwanda ».

Etant à l’époque
directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères M.
Alain Juppé, vous n’avez pu oublier la polémique qui a
marqué le Sommet franco-africain de Biarritz en novembre 1994, après
que le Président François Mitterrand ait employé le pluriel
« génocides » pour désigner ce qui venait de se
passer au Rwanda. L’auditoire a compris que ce pluriel mani­festait
l’adhésion publique du Président de la République
à la théorie révisionniste dite du « double génocide
», selon laquelle le génocide des Tutsi du Rwanda serait le pendant
d’un « génocide des Hutu » par la rébellion
du Front patriotique rwandais qui allait conquérir le pouvoir. Cette
position n’étonne guère de la part d’un Président
qui n’a cessé de soutenir au Rwanda un régime raciste puis,
durant tout le génocide des Tutsi, d’ordonner ou cautionner un
soutien diplomatique, militaire et financier au Gouvernement intérimaire
rwandais – organisateur de ce génocide, ainsi qu’en a jugé
le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Le Président
Mitterrand confiait d’ailleurs : « Dans ces pays-là, un
génocide, ce n’est pas trop important » (propos relaté
par Patrick de Saint-Exupéry dans Le Figaro du 12 janvier 1998).

Vous qui êtes écrivain,
expert dans le choix des mots, ne pouvez pas ne pas savoir qu’au sens
historique, « un génocide » signifie l’organisation
de l’extermination de toute une population. Si vous conservez quelque
doute au sujet des événements de 1994, le récent livre
de Jean Hatzfeld, Une saison de machettes, achèvera de vous convaincre
qu’il y avait des employés de l’extermination, se rendant
quotidiennement à leur « travail », donc des employeurs,
des entrepreneurs. Les massacres, voire les crimes contre l’humanité,
qui ont eu lieu durant la guerre concomitante, ne relèvent en aucun
cas de cette définition historique (explicitée par exemple dans
l’ouvrage de référence d’Yves Ternon, L’Etat
criminel).

La reprise de ce pluriel
implique une adhésion aux thèses révisionnistes, ce qui
serait inacceptable de la part d’une personnalité s’exprimant
au nom de la France. À moins qu’il ne s’agisse d’un
lapsus, auquel cas un rectificatif s’impose.

Dans cette attente, nous
vous prions d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression
de notre haute considération.