30/09/04 (B265) La thèse du suicide du juge Borrel balayée par l’instruction – (LE MONDE sous la signature de Gérard Davet)(Info envoyé par un lecteur)

Cette fois , la juge d’instruction
Sophie Clément ne s’embarrasse guère de précautions diplomatiques.
Dans un courrier adressé le 17 septembre à Michèle Alliot-Marie,
ministre de la défense, elle réclame à nouveau, dans
le cadre de l’affaire Borrel, la saisine de la commission consultative du
secret de la défense nationale.

Pour la première fois, elle exprime son point de vue sur la mort de
Bernard Borrel, le juge français retrouvé mort le 19 octobre
1995 à Djibouti, au pied d’une falaise, aspergé d’essence et
à moitié brûlé. « Les expertises techniques
et médico-légales réalisées dans le cadre de l’instruction
concluent à l’assassinat de Bernard Borrel », a-t-elle indiqué
dans sa lettre. Balayée la thèse du suicide, qui prévaut
toujours à Djibouti depuis le tout début de l’affaire.

La juge Sophie Clément
met également directement en cause l’actuel président de la
République de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh, qui était,
en 1995, le chef de cabinet du président Hassan Gouled Aptidon.

Elle explique ainsi que Bernard Borrel, lorsqu’il était en poste à
Djibouti, avait entretenu des relations avec le juge français Roger
Le Loire, chargé à l’époque d’enquêter sur l’attentat
du Café de Paris, commis en 1990. « Il a été retrouvé
dans les documents de M. Borrel copie d’une commission rogatoire internationale
délivrée par M. Le Loire et annotée de la main de Bernard
Borrel (…)

Or, les policiers en charge
de l’enquête sur le Café de Paris ont mis au jour l’hypothèse
d’une manipulation de l’enquête par les services spéciaux djiboutiens
dirigés par Ismaël Omar Guelleh. » La juge fait donc un
lien direct entre l’assassinat de Bernard Borrel et l’attentat du Café
de Paris. Selon elle, le juge Borrel aurait ainsi pu être tué
parce qu’il s’intéressait ! de trop près à des dossiers
compromettants pour les autorités djiboutiennes.
Dans son courrier,
la magistrate rappelle par ailleurs que plusieurs témoins sont venus,
lors de l’instruction, mettre en cause directement M. Guelleh.

NOTE SANS EN-TÊTE

Elle explique en outre
qu’un document de la DGSE, déclassifié, daté du 21 janvier
2000, faisait état des déclarations de deux témoins djiboutiens
ayant révélé « que le clan de l’actuel président
de la République de Djibouti aurait commandité l’assassinat
du juge Borrel ». Mais une autre note, dont l’origine demeure inconnue,
figure aussi dans le dossier d’instruction. Dépourvue du moindre en-tête,
elle rappelle les « affaires dans lesquelles M. Guelleh est impliqué ».
Et se conclut ainsi : « Septembre 1990 : Ismaël Omar Guelleh pourrait
être le commanditaire de l’attentat du Café de Paris. Le dossier
présenté par les autorités locales sur cet attentat serait
en fait une manoeuvre d’intoxication. »

La juge Clément
avait jusqu’à présent du mal à établir l’authenticité
de cette note. Elle ne proviendrait pas de la DGSE, dont les rapports sont
toujours sourcés. Mais le 7 septembre, un témoignage est venu
éclairer la magistrate. André Minana, commissaire divisionnaire,
en poste à Djibouti en 1995 au sein du service technique de coopération
internationale (STIP), a reconnu cette note. « Ces notes ne m’étonnent
pas, a-t-il déclaré à la juge. J’en ai d’ailleurs eu
connaissance. A les voir, je pense que ce sont des notes militaires. Nous
nous échangions ce genre de fiches de renseignements entre services. »

Ces déclarations
ont donc conduit la magistrate à réclamer une deuxième
fois la levée du secret-défense sur des  » documents relatifs
à la disparition du juge Borrel et à l’éventuel rôle
des autorités djiboutiennes ». Elle a saisi d’une même demande
le ministère de l’intérieur. « C’est la première
fois qu’est évoquée de manière aussi directe la participation
de l’entourage d’Ismaël Omar Guelleh dans la disparition du juge Borrel,
a déclaré Me Olivier Morice, le conseil, avec Me Laurent de
Caunes, de la famille Borrel. Tous les documents militaires n’ont pas été
déclassifiés. L’enjeu est désormais politique L’Etat
français va-t-il tenter d’étouffer la recherche de la vérité
? »

Djama Souleiman, le procureur
de la République de Djibouti, était convoqué, le 1er
octobre, au tribunal de Versailles, dans le cadre d’un dossier de subornation
de témoins, lié à l’affaire Borrel. « Il n’y déférera
pas, a indiqué au Monde Me Francis Szpiner, l’avocat de Djibouti. La
convocation ne lui a pas été adressée dans les formes.
Quant à mettre en cause M. Guelleh dans l’attentat du Café de
Paris, c’est grotesque et scandaleux. »

Gérard Davet

. ARTICLE PARU DANS
L’EDITION DU 01.10.04