18/11/04 (B272) Survie : communiqué sur les événements de Côte d’Ivoire.

SURVIE : communiqué
de presse,
Paris, le 15 novembre 2004

Côte d’ivoire
: conjurer le pire est encore possible !

Après cinq journées
de violences d’une intensité inédite dans l’histoire récente
du pays, du 6 au 10 novembre, la tension semble baisser en Côte d’Ivoire,
même si pour l’instant de nombreux signes indiquent que la situation
est loin d’être apaisée et pourrait s’embraser à nouveau.
À ce jour, il est encore difficile d’établir un bilan exhaustif
des conséquences humaines et matérielles. Il est à espérer
que les enquêtes en cours pourront cerner l’ampleur de cette flambée
de violences et révéler ses causes immédiates.

Au moment où les
esprits retrouvent une sérénité propice à la réflexion,
l’heure n’est-elle pas venue d’analyser sans passion ce qui se passe sous
nos yeux pour déterminer si vraiment le pire est irréversible
dans ce pays, comme certains nous le prédisent ?

Sans négliger le
besoin impérieux de compter les morts et d’estimer les dégâts
matériels causés, Survie voudrait inviter les Ivoiriens, les
Africains, les Français, toutes les personnes éprises de justice
et de paix à concentrer leur attention et se mobiliser désormais
vers la tâche la plus urgente de l’heure, au delà des vérités
et des mensonges des uns et des autres : le devoir de sauver les vivants !

Aucun Ivoirien, aucun
Français ne doit limiter sa vigilance citoyenne à la seule préoccupation
(légitime) de savoir le tort subi par ses compatriotes. Après
le récent drame qui frappe nos peuples, il faut s’obliger mutuellement
à identifier le bon itinéraire pouvant conduire à la
paix. Tel est le défi que nous lance l’histoire, le seul combat qui
mérite aujourd’hui d’être mené par qui veut rendre à
la Côte d’Ivoire et tous ses habitants, qui tiennent une place centrale
dans la région et le continent, toute son intégrité physique
et morale. Ce combat exige de dépasser les vérités partielles,
les positions partisanes. Il exige que l’on puisse situer l’ensemble des responsabilités,
compter et pleurer ensemble tous les morts (africaines et européennes),
rendre justice de façon équitable à toutes les victimes
, secourir et protéger toutes les personnes que ce conflit continue
de menacer, de fragiliser et d’exposer à la mort.

Une analyse attentive
de la situation montre clairement que toutes les parties au conflit (le régime
de Laurent Gbagbo, les ex-rebelles et leurs soutiens, les autres forces politiques
ivoiriennes, la France) fondent chacune leurs actions sur des aspirations
et des principes légitimes, mais toutes usent et abusent de mensonges
et de demi-vérités, sans hésiter à recourir à
des moyens peu recommandables quand leurs intérêts sont menacés.
Nous ne devons pas être dupes de ces manipulations.

Alors que toutes les parties
ont admis les accords de Marcoussis et Accra III, on constate que chaque protagoniste
s’en sert , non pas pour aller vers la paix, mais pour préparer et
faire la guerre.

Nous devons refuser ces
calculs politiciens et affirmer des exigences claires qui favorisent l’ancrage
réel d’un processus de paix en Côte d’Ivoire :

La France et l’ONU, doivent
reconnaître clairement et publiquement (mieux vaut tard que jamais)
que le régime de Laurent Gbabgo, légalement institué
et reconnu tel par la Communauté internationale, a été
victime d’un coup d’État doublé d’une agression soutenue par
des États étrangers dont le Burkina Faso de Blaise Compaoré.
Cette reconnaissance doit être assortie de sanctions claires contre
tous les soutiens des rebelles de septembre 2002.

Le régime de Laurent
Gbagbo et les Forces Nouvelles devront répondre des violations massives
des droits de l’homme. À ce propos, le récent rapport de l’ONU
ayant établi ces violations doit être publié in extenso
et sans édulcoration dans les plus brefs délais. Une Mission
analogue devra enquêter sur les récentes barbaries commises depuis
la reprise des hostilités le 4 novembre 2004.

Nous suggérons
la création d’une Commission d’enquête parlementaire franco-africaine
par le prochain Sommet de la Francophonie à Ouagadougou pour faire
le bilan de l’opération Licorne, examiner si elle a encore sa place
dans ce pays et pour quoi faire.

Cette Commission devrait
aussi lister l’ensemble des intérêts économiques français
en Côte d’Ivoire, puis indiquer si et comment ils peuvent être
défendus dans l’intérêt commun des deux peuples.

Plus généralement,
la situation présente montre qu’il est plus que temps de rompre avec
les pratiques parallèles, politiques, militaires et économiques
de la Françafrique.

Plus la France tarde à
tourner la page néocoloniale, plus les réactions de désespoir
seront brutales. La fin des ingérences doit s’accompagner d’une montée
rapide de la prise des responsabilités africaines, régionales
(CEDEAO) et continentale (Union africaine). Il s’agit notamment d’éviter
que les adversaires de la paix n’attisent les leviers de la haine et n’embrasent
la région.

La Côte d’Ivoire
est aujourd’hui dans une situation socio-politique très grave qui appelle
une vigilance citoyenne en France et en Afrique, des actions claires et déterminées
de la France, de la Côte d’Ivoire, de l’Union Africaine, de l’ONU pour
conjurer le pire. Après la récente flambée de violences
et son cortège de morts, de vies brisées, meurtries, l’heure
est venue d’identifier les calculs meurtriers, s’obliger mutuellement à
les rejeter et enfin agir avec sérieux.