09/12/04 (B275) SURVIE : communiqué de presse / Côte d’Ivoire.

Paris, le mercredi 8 décembre 2004

Fermer les bases militaires de la Françafrique !
Les événements d’Abidjan disqualifient un dispositif incurablement
néocolonial

Le dispositif de bases et troupes militaires françaises en Afrique
est depuis plus de 40 ans l’un des piliers de la Françafrique,
ce système néocolonial de confiscation des indépendances
africaines, de pillage des ressources, d’escroquerie financière,
de dictatures « amies de la France », de manipulations barbouzardes,
d’instrumentalisation de l’ethnisme et de fomentation de guerres
civiles.

Ces bases (quelque 6 000 hommes au total) concourent au maintien
des dictatures tchadienne, djiboutienne et gabonaise. Directement issues des
troupes coloniales, les forces françaises opérant en Afrique
n’ont jamais été incitées à se départir
de leur postulat d’origine, selon lequel la vie d’un « indigène
» n’est que quantité négligeable face aux «
intérêts de la France » (ceux, en réalité,
des lobbies coloniaux puis néocoloniaux). Ce qu’elles ont fait
exactement au Rwanda, comme principal instrument de la complicité française
avec les génocidaires, demeure toujours frappé du plus grand
secret.

La Côte d’Ivoire
d’Houphouët-Boigny a été un « modèle
» françafricain de pillage des ressources et de l’argent
public. Le protectorat français ne lui a pas permis de traiter (comme
c’est le devoir et l’honneur d’un pays indépendant)
des questions aussi cruciales que la citoyenneté, le droit foncier,
la sécurité intérieure et extérieure, la diplomatie
régionale. Houphouët, qui avait été l’un des
principaux artisans de la mise en échec des projets d’unité
africaine, puis l’un des relais des agressions françafricaines
contre les pays anglophones d’Afrique de l’Ouest (Nigeria, Liberia,
Sierra Leone), a aussi favorisé la rivalité entre les leaders
politiques susceptibles de lui succéder.

Depuis 5 ans, donc, la
Côte d’Ivoire connaît une crise grave qui peut finir par
l’embraser, ainsi que la sous-région. En 2002 ont été
déclenchés un coup d’État puis une rébellion,
correspondant certes à des problèmes réels de citoyenneté
et d’accès à la terre, mais manifestement soutenus par
les réseaux de la droite françafricaine et leur relais local,
le dictateur burkinabè Blaise Compaoré, qui élimina en
1987 Thomas Sankara avec l’aide d’Houphouët et de Jacques Foccart,
conseiller du Premier ministre français d’alors, Jacques Chirac.
Rappelons que ce dernier est depuis trente ans parrain de la Françafrique.

Devant les risques de
pogroms suscités par cette guerre civile et l’absence d’alternative
immédiate, Survie et de nombreuses associations françaises ont
appelé en 2002 à ce que les troupes françaises stationnées
sur place (le 43e BIMa) s’interposent en attendant une intervention des
Nations unies. Une force de l’ONU est arrivée (l’ONUCI),
mais les troupes françaises, considérablement augmentées
en « opération Licorne », ont conservé un statut
à part. Ces forces de tradition coloniale et néocoloniale auraient
pu montrer leur conversion aux objectifs pacifiques de la Charte des Nations
unies si, d’une part, avaient été tirées les leçons
de leurs crimes passés (au Rwanda notamment), et si d’autre part
le chef des Armées, Jacques Chirac, avait su se départir d’une
gestion françafricaine de la suite des événements.

Mais la Françafrique
n’a pas voulu savoir que la trêve était très précaire.
Forte de ses milliers d’hommes sur place, elle a cru pouvoir continuer
son business as usual, jouant sur tous les tableaux économiques, politiques
et barbouzards – sans guère réagir lorsque des civils étaient
massacrés, et notamment à Abidjan fin mars 2004. Asservie aux
évaluations fluctuantes des stratèges et entreprises françafricains,
cette politique illisible (au regard des objectifs officiels) a soufflé
successivement le chaud et le froid sur les parties en conflit, cherchant
une fois de plus à les instrumentaliser.

À ces jeux, l’Élysée
s’est fait piéger. Cible du coup d’État de 2002, le
président Laurent Gbagbo a compris le bénéfice qu’il
pouvait tirer de trop de contradictions et de la présence d’une
importante communauté française à Abidjan. S’appuyant
sur l’inavouable du passé et du présent néocoloniaux,
il a replacé le conflit intérieur dans cette seule dimension
Abidjan-Paris. Or il est devenu facile de mobiliser le sentiment anti-français
face à une Françafrique pillarde et oppressive, qui a beaucoup
trop duré.

Trop arrogant pour l’avoir
perçu et peu soucieux du mandat onusien de Licorne, Jacques Chirac
a ordonné une réplique disproportionnée à l’attaque
subie le 6 novembre à Bouaké par un campement militaire français.
Les blindés et les commandos français ont été
envoyés occuper les points névralgiques d’Abidjan, dont
l’hôtel Ivoire à proximité du palais présidentiel.
Cela signifiait affronter la foule, et lui tirer dessus, à plusieurs
reprises. Aller au massacre.

Des dizaines de civils
sont morts, plusieurs centaines au moins ont été blessés
(le décompte précis des victimes de ces tirs reste à
établir). Cette barbarie-là, longuement occultée par
les médias français, les peuples africains ne la supporte plus.
L’abîme est trop flagrant entre les moyens extrêmes mis en
œuvre pour protéger les vies et intérêts français,
et le mépris des vies africaines que Licorne est censée préserver.
Jacques Chirac doit comprendre qu’il s’agit du dernier massacre
néocolonial.

Définitivement,
la France ne peut plus exercer sa tutelle sur le continent noir. Nous sommes
aux côtés de l’Afrique qui s’en affranchit. Si l’Élysée
s’acharne à prolonger la Françafrique, ne fût-ce
que de quelques années, cela se fera de manière de plus en plus
sale. Et pas seulement pour les Africains. Il reste très peu de temps
pour annoncer et engager de manière crédible un changement radical
de la politique africaine de la France. Ce dont notre pays a à rougir,
il ne lui reste qu’à le reconnaître et le corriger pour
retrouver un peu d’honneur.

Le premier acte de ce
changement consiste à constater que la présence de troupes françaises
au nom de l’héritage colonial est indécente. Imposée
par des « accords de défense » lors des pseudo-indépendances,
elle n’a jamais été avalisée par des instances démocratiques
africaines. Seules ne doivent rester possibles que des interventions multilatérales
demandées par l’ONU. Mais il faut d’abord marquer par un
retrait la rupture avec le passé.

Dans le cas précis
de la Côte d’Ivoire, une fois admise l’incompétence
du pompier pyromane, il reste aux peuples d’Afrique et à leurs
institutions en pleine émergence, l’Union africaine et les organisations
régionales, à se montrer à la hauteur des périls
– quitte à exiger pour leur action, en partie requise par les
séquelles de la colonisation européenne, un apport matériel
et financier. Si ces instances africaines ne se montrent pas assez réactives,
c’est aux opinions publiques et aux forces citoyennes de les y pousser.

En même
temps, Survie soutient les demandes parlementaires d’une commission d’enquête
sur les faits et décisions qui ont amené l’armée
française à tirer sur la foule abidjanaise. À cette occasion,
Survie réitère son hostilité au fonctionnement monarchique
français, qui a permis tant de dégâts et de crimes en
Afrique sans que le Parlement veuille ou puisse s’y opposer. Nous demandons
à ce dernier de se ressaisir.

Association
Survie

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