19/12/04 (B277) Un Djiboutien, ancien enseignant et syndicaliste, témoigne à visage découvert, des persécutions qu’il a subies de la part du régime et de son départ de Djibouti, seule solution, pour y échapper.

___________________________
Note de l’ARDHD

Avec l’accord d’Abdoulkader Mohamed Guidar, nous publions son récit,
car il est édifiant et il montre les bassesses, les violences et les
humiliations dont est capable le régime de Guelleh. Ce fut une décision
difficile à prendre

Comme vous le comprendrez, Abdoulkader a choisi volontairement de rester le
plus discret possible, en ce qui concerne ses passages dans les geôles
de Guelleh. Le régime a sélectionné les méthodes
les plus humiliantes et dégradantes pour briser les femmes et les hommes
qui s’expriment.

Pour lui six années
se sont écoulées et il souffre toujours de l’enfer qu’on lui
a fait subir. Il devra être accompagné psychologiquement pour
se remettre…

Pour quelles raisons
publier ce témoignage ?

Parce qu’il illustre la cruauté et la vraie nature du régime
de Guelleh, qui essaie, en pré-période électorale de
faire croire que tout va bien … que les impôts vont baisser, etc…

N’EN CROYEZ RIEN !

Il est temps que les
victimes se lèvent et qu’elles témoignent des violences qu’elles
ont subies, afin d’obtenir une mise en cause pénale des tortionnaires,
des bourreaux et des assassins. Nous savons que l’épreuve est dure,
même très dure pour les victimes, mais en le faisant, elles feront
savoir au monde entier la vérité, qui est occultée depuis
tant d’années et elles participeront à l’élimination
des monstres qui asservissent le Peuple djiboutien. En le faisant, elles protègeront
les jeunes générations.

Nous tenons à
féliciter Abdoulkader pour son courage et nous l’assurons de tout notre
soutien, y compris si les agents de Guelleh avaient la curiosité d’aller
le menacer dans la ville où il s’est réfugié en attendant
la décision que nous espérons positive concernant son droit
d’asile.

Peu de Djiboutiennes
ou de Djiboutiens avaient témoigné publiquement avant lui :
citons Ali Coubba qui a fait le récit de la torture (texte sur notre
site) et des prisonniers politiques maltraités à Gabode (textes
aussi sur notre site).

Mais cela devrait changer rapidement…

_________________________________________________

 

Je me nomme M. Abdoulkader
Mohamed Guidar, de nationalité djiboutienne, marié et père
de cinq enfants. Nous résidons à xxxxx.

J’ai quitté mon
pays en raison de menaces et persécutions perpétrées
par les autorités djiboutiennes, du fait de mes opinions opposées
à celles du régime.

J’exerçais la profession
d’instituteur dans une école de la capitale (AI Hourya). J’ai quitté
cette fonction dans te courant novembre 1997 à la suite des menaces
et harcèlements par le service des renseignements généraux
pour avoir oeuvré au sein d’un syndicat des enseignants primaires.
J’ai été délégué de ce syndicat dans mon
école. Ayant été désigné perturbateur d’ordre
public, j’étais la cible de détentions et d’interrogations comme
beaucoup de mes collègues qui vivent en Europe depuis déjà
longtemps.

Lassé du harcèlement
des enquêteurs, je me suis réfugié à Bankouaté
auprès de mes parents à une trentaine de kilomètres de
la ville de Tadjoura, zone rurale cruellement dévastée par les
conflits entre les résistants et les troupes gouvernementales.

La population y vivait
dans un abandon. Plusieurs projets de réhabilitation financés
par les bailleurs de fond ne se sont pas réalisés à cause
de la mauvaise volonté de l’autorité.

Au vue de cette situation
dramatique, j’ai été complètement bouleversé,
j’ai rédigé une pétition comportant deux recommandations
: la réhabilitation d’une école et d’un dispensaire.La pétition
signée par les notables de la région a été transmise
au commissaire de la république, chef de district de Tadjoura par le
biais du chef de village M. Ahmed Daoud.

Quelques semaines plus
tard, le 12 juin 1998, le chef de la brigade de la gendarmerie n’interpella
et me mit en détention me qualifiant d’espion fournissant des informations
aux individus de la résistance du Front armé (la partie de la
résistance afar qui n’avait pas encore négociée avec
l’Etat). En ce qui me concerne je faisais partie de l’anonymat qui condamnait
la guerre. En ce sens j’avais même essayé discrètement
de convaincre la population de Bankoualé de ne pas soutenir les résistants.

Parce qu’a chaque fois
qu’un résistant passe dans le campement, le lendemain les militaires
effectuaient des harcèlements sur la population. Et c’était
quotidien.
J’ai été incarcéré une vingtaine de jours subissant
toutes sortes de persécutions(*) parce que j’avais touché à
leurs sensibilités : demander les droits les plus élémentaires
pour les citoyens est une provocation à nos autorités.

J’ai été
libéré le 2 juillet 1998 par l’intervention du Sultan de Tadjoura
M. Abdoulkader Houmed. Vu les risques que j’encourais mes proches et les amis
m’ont conseillé de quitter le pays.

Vers la fin du mois de
juillet, je suis parti en famille pour Diré Dawa en Ethiopie auprès
de mes beaux parents qui vivent jusqu’à l’heure actuelle dans cette
ville.
Au terme de la période chaude, fin septembre 1998, mon épouse
retourna à Djibouti avec nos enfants.

Elle faisait du commerce
pour subvenir aux besoins de nos enfants. Elle venait de temps en temps me
voir en faisant la navette entre la navette entre ces deux villes.

C’était une
vraie torture morale pour nous tous.

Je n’ai même pas
pu assister aux naissances de mes trois derniers fils. Cinq années
se sont écoulées ainsi. En 2002, c’est au tour de mon épouse
d’avoir des ennuis avec le service des renseignements généraux.
Elle est accusée de mener une activité au sein d’une association
illégale, à Djibouti pour qu’une association soit reconnue par
l’état, il faut qu’elle soit constituée par ce dernier. Si l’association
a l’aval des autorités, elle a accès aux médias, aux
actions tout en contribuant aux intentions politiques du régime.

Si une association veut
sont indépendance, dans ses actions, la légitimité ne
lui est pas reconnue. En conséquence, tout rassemblement, rencontre
ou colloque suscitent la colère de l’état.

Mon épouse,
avec des compatriotes ont connu des exactions à plusieurs reprises
et même des viols par les policiers, bourreaux de dictature qui ignorent
la dignité des femmes.

Mon épouse, humiliée
à la suite de ces violences, finit par quitter le pays en quête
de sécurité et pour sa stabilité morale.

Elle a surtout voulu
retrouver sa dignité et sa liberté.

En ce qui me concerne,
en décembre 2002, au moment de la préparation des élections
législatives, je suis retourné à Djibouti. Je suis resté
très discret, en ne prenant pas part à aucune action politique
en vue de réaliser mon voyage pour rejoindre ma famille.

La torture la plus
atroce pour l’Homme dans la vie c’est de ne pas pouvoir vivre en famille en
sécurité.
Tout le reste est secondaire. Le plus cher et
le plus précieux dans la vie humaine, c’est le foyer et la sécurité.
Mais la dictature cette noblesse au détriment des intentions politiques.

Enfin mon épouse
et moi même avec nos enfants avons retrouvé cette dignité
de vivre sous le même toit en toute liberté et sécurité
en France depuis le 23/08/2003

Nous espérons continuer à y vivre le plus longtemps possible.

(*) Par discrétion,
Abdoulkader a volontairement minimisé les faits. Il sera certainement
plus précis dans l’avenir, à la demande de son avocat.