15/02/05 (B285) Les contes de mon pays. Le Roi s’ennuie ….

Las de régner sans
partage, le vieux Roi s’ennuyait mortellement. Et plus que l’ennui, c’est
sa conscience qui le rongeait. Présente le jour, la nuit, le matin,
le soir, elle ne le lachait que très rarement.

Il fallait absolument
qu’il soit occupé ou qu’on lui déplaise fortement. Son caractère
impulsif et colérique reprenait alors le dessus : il injuriait, crachait
au visage de ses subordonnées et des valets de tous bords venus pour
solliciter quelques avantages ou faveurs. Dans ces moments, les seuls, il
oubliait la voix de sa conscience et il se sentait mieux, comme soulagé.

Son épouse, une
gente dame, au corps lourd et fatigué par les années, avait
fini par percevoir son secret. Mais elle ne le comprenait pas. Bien qu’ayant
tout essayé pour établir un lien avec sa propre conscience,
elle n’avait jamais pu y parvenir. D’éminents psychologues appelés
pour diagnostiquer l’origine de cette particularité rarissime chez
les humains, avaient avoué leur impuissance et mis cette maladie sur
le compte de l’hérédité ou des gènes. Hélas
oui ! La Reine n’avait pas de conscience, ce qui ne veut pas dire qu’elle
était inconsciente.

Ca non ! Bien au contraire,
très active, dirigeant tout, faisant chaque soir le compte de la recette
du jour, elle avait très vite compris comment détourner à
son profit personnel, la déprime de son noble époux. Abusant
de son état de faiblesse, elle prenait langue directement avec les
Ministres et les Conseillers. Elle leur donnait des ordres qu’ils devaient
exécuter sur l’heure au risque d’être renvoyé dans la
Grande maison de repos du Royaume, sur la plaine de G…

Bref, géré
maintenant par cette intrigante cupide et parfois vindicative, le royaume
se désolait et s’appauvrissait chaque jour. Même les caravaniers faisaient un détour pour
ne plus le traverser afin de prévenir les mauvaises rencontres fréquentes
avec les archers de la Reine qui, à son exemple, avaient pris de mauvaises
habitudes : ils rançonnaient tout ce qui passait ! Quant au Roi, dépossédé
d’une partie de son pouvoir, il ne lui restait plus qu’à parader et
à se faire tirer le portrait dans différentes circonstances
: inaugurant les chrysanthèmes ou la nouvelle boulangerie de la Reine,
caressant la tête des orphelins en partance pour Londres ou d’autres
contrées éloignées.

Certes, il ne manquait
de rien : son coffre regorgeait d’or … et il pouvait se déplacer
dans tout son royaume dans un carrosse blindé. Mais franchir les frontières
devenait un risque pour lui. Un certain pays autrefois lié d’une grande
amitié avec lui, le chicanait à propos de l’un de ses hommes de
Loi. Pourtant, il ne lui avait pas fait de mal à ce manant. Il pouvait le jurer !

Il est vrai qu’un jour
il avait seulement dit à haute voix qu’il n’aimait pas la bonne bouille du Juge
et qu’il serait heureux de le voir disparaître de son horizon … Rien de plus !

Les grands chambellans
et les fonctionnaires, zélés et attentifs, avaient entendu le message, mais ils l’avaient mal interprété
et avaient pris les paroles royales au sens primaire, et croyant se faire
bien voir, ils avaient provoqué la mort, non sollicitée du représentant
étranger. Découvrant leur méprise et pris de panique ils avaient tenté
maladroitement de brûler le cadavre sur une rive peu fréquentée,
oubliant de le pousser jusque dans les eaux profondes, bien lesté de
bon plomb.

Pour se divertir un peu,
le Roi avait décidé de remettre sa couronne en jeu au mois d’Avril
de la cinquième année, surtout pour évaluer sa popularité
au sein du Peuple. Mais son problème, c’est qu’il n’avait pas d’adversaire
pour se comparer.

Le Roi se mit en quête
d’un adversaire digne de lui, mais tous les candidats se récusèrent
rapidement, ne voulant pas affronter en combat public, l’énorme boule
de graisse …. ni sa garde personnelle, susceptible d’intervenir à
tout moment pour protéger le Grand Roi et écraser le challenger.

Comment faire pour trouver
un homme qui accepterait de l’affronter en place publique, lui le Sanglier
de la Corne, le Génie du mal ? Un homme à la fois assez puissant
pour pouvoir relever le gant et assez faible pour perdre sans panache le combat.

Certains plaisantins raillaient en affirmant que le seul adversaire possible serait la Reine qui présentait toutes les garanties de combativité requises pour l’épreuve.

Et le Roi se répétait cette phrase : A vaincre sans péril,
on triomphe sans Gloire
. Et Dieu sait que reclus dans ses Palais fastueux de la capitale et bientôt dans celui récemment acquis sur une ile artificielle, il en
avait besoin de la Gloire. C’était vraiment ce qui lui manquait le plus…