21/02/05 (B286) LDDH : note d’information sur l’hypothèse d’un report des élections présidentielles – Rappel historique des scrutins et présentation du contexte social et politique actuel.

LDDH
– Djibouti


Le Président
NOTE D’INFORMATION
DU 20 FEVRIER 2005
SUR LE REPORT DES ELECTIONS PRESIDENTIELLES

I) Présentation
de Djibouti

1) Histoire coloniale
L’actuelle République de Djibouti est devenue une colonie française
avec le traité de 1862.

Après qu’un contentieux
avec les autorités indigènes ait conduit la France à
quitter la rade d’Obock, c’est autour de la nouvelle ville de Djibouti, créée
pour les besoins du chemin de fer à destination de l’Ethiopie, que
des populations en quête de travail se sont rassemblées, devenant
ainsi des citoyens français.

Aux fins de pérenniser
sa présence, face aux résistances de toutes origines, la puissance
coloniale a mis en place une politique de balance entre les différentes
composantes, au gré des rapports de force. Politique de division qui
se retrouve dans les différentes dénominations du territoire
: Territoire d’Obock et Dépendances, Côte Française des
Somalis et Territoire Français des Afars et des Issas. Changements
de dénomination qui allaient déterminer tout le processus de
décolonisation.

2) processus de
décolonisation
Bien malgré elle, la présence coloniale allait provoquer
une remarquable élévation de la conscience de classe, à
travers la naissance des premiers syndicats de travailleurs dès 1948,
plaidant pour une égalité de traitement avec les travailleurs
métropolitains.

Après des révoltes
sporadiques et circonscrites dans l’arrière-pays contre la puissance
coloniale, les premiers mouvements massifs de décolonisation apparaissent
à partir de 1958 dans la Capitale.

Au référendum
sur l’autodétermination de cette année-là, Mahmoud Harbi
avait appelé à voter Non contre la présence française.
Après cet échec, Mahmoud Harbi décide de s’exiler.

Le référendum
de 1967 donnera officiellement le même résultat en faveur du
maintien de la présence française, grossissant un peu plus les
rangs du FLCS (Front de Libération de la Côte des Somalis) créé
dès 1963.

3) Indépendance
Après ces deux échecs, la lutte pour l’indépendance
allait connaître un renouveau décisif avec la création
de la LPAI (Ligue Populaire Africaine pour l’Indépendance).

Toutefois, derrière
sa façade unitaire, la suite des événements allaient
rapidement démontré que tous ne combattaient pas exactement
pour la même cause : celle de l’unité nationale.

4) Instauration
du parti unique
Les divergences au sein de la LPAI ont éclaté au grand
jour dès les premiers mois de l’Indépendance. A la suite d’un
attentat contre le Palmier en Zinc, le nouveau régime procède
à une vaste répression dans la communauté afar. Ce qui
conduit le Premier ministre Ahmed Dini à présenter sa démission.
Tandis qu’une partie de la jeunesse de cette communauté choisit l’exil
et la lutte armée. Tous les attentats déstabilisateurs restent
évidemment encore dans l’impunité la plus absolue car profitable
pour un groupe.

Au congrès du 4
mars 1979, la LPAI se transforme en RPP (Rassemblement Populaire pour le Progrès).
En vertu d’un multipartisme hérité des textes juridiques de
la période coloniale, certains hommes politiques tentent de mettre
sur pied un parti politique dénommé PPD (Parti Populaire Djiboutien)
en septembre 1981. Ils seront emprisonnés dans différentes casernes
de l’Armée dans le Nord et le Sud du pays. En corollaire, tous les
partis politiques autres que le RPP sont interdits par une loi de mobilisation
générale en octobre 1981.

II) Historique des
conflits armés

1) Premier conflit
dès 1977

Une partie de la jeunesse du MPL (Mouvement Populaire de Libération)
et de l’UNI (Union Nationale pour l’Indépendance) choisit de combattre
le nouveau régime par les armes. Ainsi est née le FDLD (Front
Démocratique de Libération de Djibouti), basé en Ethiopie.
Mais devenu un petit pion sur le grand échiquier régional, et
malgré quelques actions militaires plus symboliques qu’efficaces, ce
mouvement se désagrège dès 1983 et l’essentiel de ses
membres regagne le pays. Pour la plupart, ils y seront sauvagement torturés,
puisque aucune loi d’amnistie les concernant n’avait été votée,
ni même envisagée.

2) Du FRUD aux FRUD
Malgré cela, la situation intérieure n’évolue
pas dans le sens d’une pacification. Le parti unique, caractérisé
par une politique de ségrégation tribale et un étouffement
des libertés, provoque à nouveau une résistance armée.
Un coup d’Etat est avorté en janvier 1991. Suite à la fusion
de trois mouvements, le FRUD (Front pour la Restauration de l’Unité
et de la Démocratie) naît en août 1991 et déclenche
des opérations militaires de grande envergure dès novembre de
la même année. Son programme est relayé par une opposition
pacifique connue sous le nom de FUOD (Front Uni de l’Opposition Djiboutienne),
donnant une dimension nationale à ce qui est présenté
comme un combat contre la dictature du parti unique.

Des exactions perpétrées
contre les civils par les troupes régulières un peu partout
dans le pays accompagnent chaque succès militaire du FRUD. Après
avoir rapidement conquis les ¾ du pays, le FRUD voit son offensive
bloquée par une médiation française qui n’aboutira pas.
Chassé des zones qu’il contrôlait à la suite d’une offensive
générale des troupes gouvernementales, le FRUD connaît
de profondes dissensions internes. Une partie importante de ce mouvement signera
avec le gouvernement un accord de paix en décembre 1994.

Lequel accord prévoyait,
entre autres, un rééquilibrage ethnique et une décentralisation
territoriale. Des responsables de cette faction entrent d’abord au gouvernement,
puis à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une alliance avec
le RPP. Aucune réforme démocratique n’est initiée dans
le cadre de cet accord qui n’a même pas été dûment
soumis à l’Assemblé nationale pour ratification, contrairement
au suivant. L’autre faction continue sa lutte armée jusqu’à
ce qu’un accord-cadre soit signé entre elle et le gouvernement le 7
février 2000 à Paris. Une troisième faction verra alors
le jour, contestant le bien-fondé de cette initiative de paix et lui
préférant l’exil, en attendant la reprise de la lutte armée.

3) L’Accord de paix
du 12 mai 2001
Ce premier pas initié à Paris conduit à des négociations
à Djibouti entre le gouvernement et la faction désormais dénommée
FRUD-armé. Au bout d’un an, elles aboutissent à la signature
d’un accord de paix définitive le 12 mai 2001. Outre la réhabilitation
des zones affectées par le conflit et l’indemnisation des biens civils
détruits ou pillés par les troupes gouvernementales, les deux
volets les plus importants de cet accord prévoient

a) une réelle décentralisation territoriale,

b) d’importantes réformes démocratiques, à travers l’accès
à la citoyenneté pour tous les citoyens privés de pièces
d’identité et la transparence électorale qui a toujours fait
défaut à grâce au multipartisme intégral, la mise
en place d’une Commission Electorale Nationale Indépendante et la réforme
d’un Conseil constitutionnel uniquement et directement intégré
au pouvoir en place dans le contexte actuel.

III) Les élections
depuis le référendum
sur la Constitution de septembre 1992

1) Tenue du référendum
dans un contexte de partition du pays

Sommé par la communauté internationale de procéder à
une ouverture démocratique, le régime met en place une Constitution
qui sera adoptée par référendum en septembre 1992. Mais,
à cette époque, l’essentiel du pays était sous contrôle
du FRUD qui avait d’ailleurs appelé au boycott à travers le
FUOD

2) Législatives
du 18 décembre 1992
Profitant de la relative ouverture politique, deux nouveaux partis
ont vu le jour : le PRD (Parti pour le Renouveau Démocratique) et le
PND ( Parti National Djiboutien). Seul le PRD a participé avec le RPP
aux législatives du 18 décembre 1992. Ce parti d’opposition
en a par la suite contesté les résultats, dénonçant
des fraudes massives.

3) Présidentielle
de 1993

Outre trois autres outsiders, deux concurrents s’affrontent : le Président
sortant Hassan Gouled, dont c’était là le troisième mandat
anticonstitutionnel, et celui du PRD, M. Mohamed Djama Elabé. Là
encore, le représentant de l’opposition a contesté le résultat.

4) Présidentielle
de 1999
Toute l’opposition, y compris le FUOD qui avait jusqu’à présent
boycotté chaque consultation électorale, se range derrière
son candidat unique, M. Moussa Ahmed Idriss, face à celui du régime,
neveu de Hassan Gouled et son chef de cabinet depuis 1977 : M. Ismael Omar.
Aux fraudes aussitôt dénoncées, succède un assaut
de la Police contre le domicile du candidat malheureux, au cours duquel son
fils adoptif tombe sous les balles des policiers et lui-même arrêté
et jeté en prison.

5) Législatives
de janvier 2003

Avec l’instauration du multipartisme intégral à partir de septembre
2002, cinq nouvelles formations politiques voient le jour, dont deux rejoindront
le camp du régime : il s’agit du PSD (Parti Social Démocrate)
et du PND (Parti National Djiboutien). Les quatre autres, l’ARD (Alliance
Républicaine pour le Développement), l’UDJ (Union pour la Démocratie
et la Justice) le MRD (Mouvement pour le Renouveau Djiboutien) et le PDD (Parti
pour la Démocratie et le Développement) concluront une alliance
de l’opposition dans le cadre de l’UAD (Union pour l’Alternance Démocratique)
lors des législatives de janvier 2003.

De multiples fraudes ont,
encore une fois, été constatées et dénoncées
: 52% du corps électoral ne s’étant même pas rendu aux
urnes, soit faute de carte d’électeur, soit pour la majorité
des cas n’ayant plus du tout confiance dans la sincérité, à
la transparence du processus électoral. L’ensemble de ces fraudes a
été consigné dans un dossier de recours en annulation
déposé par l’UAD auprès du Conseil Constitutionnel.

Une fin de non-recevoir
lui a été opposée, malgré les preuves flagrantes,
dont les moindres ne sont pas les brutalités contre les délégués
de l’opposition, les détournements des urnes par l’Armée ou
encore un représentant de la CENI pris en flagrant délit de
bourrage d’urne à Tadjourah. Sans oublier le fait que les membres de
ladite CENI n’ont jamais rédigé un rapport final : celui officiellement
remis au chef de l’Etat par son président est donc manifestement un
faux établi en dehors de toute légalité.

IV) Faut-il cautionner

la prochaine élection présidentielle ?

1) Les réformes
démocratiques prévues par l’Accord sont-elles effectives ?

Pour le gouvernement, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, fier
d’une paix des armes somme toute bien précaire. Il affirme avoir respecté
tous ses engagements afin de consolider la paix

2) Le point de vue
de l’opposition

Pour sa part, l’autre partie signataire de l’accord de paix du 12 mai 2001
dénonce inlassablement les multiples violations perpétrées
par le gouvernement et l’ayant vidé de toute réalité.
De fait, deux points méritent d’être soulignés.

D’une part, la décentralisation,
même sous sa forme amendée par l’Assemblée nationale,
n’a toujours pas été mise en place, malgré les promesses
gouvernementales. Les actuels conseils régionaux désignés
par la Présidence de la République sont loin de satisfaire les
profondes aspirations des populations, surtout que la population de la Capitale
en est pour le moment exclue.

D’autre part, les réformes
démocratiques prévues n’ont pas connu non plus l’application
attendue : la mise en place de la CENI a été menée unilatéralement
par le régime, la distribution des pièces d’identité
nationale reste marginale et discrétionnaire, le Conseil constitutionnel
n’a pas été réformé et la transparence électorale
est loin d’être garantie, d’autant plus, que depuis sa timide mais courageuse
décision d’annuler en 1993 quelques Bureaux de vote, le Conseil Constitutionnel
s’est depuis lors fait valoir d’inefficacité face aux fraudes et aussi,
et surtout, les risques de répressions restent très menaçants.

3) Le point de vue
de la population
Si l’on considère les seuls chiffres officiels, pourtant contestés
par l’opposition, 45% du corps électoral auraient désavoué
le régime lors des législatives de janvier 2003. Le boycott
prôné par l’UAD (Union pour l’Alternance Démocratique)
rencontre un écho favorable au sein de tous ceux qui avaient estimé
que leur alliance avait été spoliée de sa victoire à
l’époque et qui ne désirent pas renouveler cette douloureuse
expérience de frustration prévisible.

V) Que faire face à
un régime qui affecte (tous trésors confondus)
47% du Budget national à ses forces de défense et de sécurité
?
Force est de
regretter que le régime djiboutien n’accorde ni crédits ni importance
à la consolidation de la démocratie et d’une culture de paix,
comme ce devrait être le cas pour tout pays sortant d’un conflit civil.
Plus grave, l’impunité la plus totale est accordée aux soldats
qui s’étaient rendus coupables d’exactions contre les civils.

L’ouverture démocratique
reste donc introuvable, même au niveau de la liberté syndicale
autant bafouée que par le passé : la notion de société
civile, dont la vitalité conditionne la valeur démocratique
d’un système politique, n’a aucune réalité palpable à
Djibouti

A côté de
cela, la plus grande opacité demeure dans la gestion des deniers publics.

D’ailleurs,
– où passe le budget du Port, celui de l’Aéroport, et autres
dons extérieurs ?
– à combien s’élève la contribution des forces militaires
amies et présentes en République de Djibouti ?
– combien y a-t-il exactement de Trésors publics, dès lors qu’existent
différentes comptabilités opaques pour ne pas dire occultes
?

VI) Recommandations
Face à
ces conditions, la Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) reste réservée
et inquiète quant au bon déroulement de la prochaine présidentielle
d’avril 2005, que l’opposition s’est engagée d’empêcher tant
que le régime continuera à ignorer ses exigences en matière
de transparence électorale.

C’est pourquoi, craignant
plus que jamais pour une paix civile menacée, la LDDH aurait souhaité
le report pur et simple de la prochaine présidentielle.

Si le régime persiste
à ignorer le profond malaise et si l’opposition notamment l’ARD, (Alliance
Républicaine pour le Développement, continuité historique
du FRUD-armé partie signataire de l’Accord de Paix du 12 mai 2001),
maintient son mot d’ordre de boycott actif, il est clair que l’on s’achemine
vers une période d’incertitude qui risque de gravement remettre en
cause la fragile paix civile.

Dès lors,
1) face à la permanence des fraudes électorales depuis le référendum
de septembre 1992 ;
2) face à la persistance d’un régime quasiment despotique violant
sans vergogne et constamment les droits fondamentaux, les droits économiques,
politiques, sociaux et culturels ;
3) face à la régression juridico sociale imposée par
un système fondé sur le mensonge et l’inexistence du principe
de la Séparation des Pouvoirs ;
4) face au refus méprisant d’accorder une quelconque considération
à tout dialogue avec l’opposition nationale et les forces vives du
pays ;
5) face à l’inexistence d’une Commission Electorale Nationale Indépendante
(CENI) véritablement indépendante et d’une Chambre des Comptes
et de Discipline Budgétaire véritablement opérationnelle
;
6) conformément à la mission, de tout défenseur des Droits
de l’Homme, consistant à la prévention des conflits ;
7) Tenant compte des récentes déclarations radiotélévisées
et aux aspects belliqueux du ministre de l’Intérieur  » escortées
 » par la visite du chef de l’Etat dans un camp militaire avec  »
un bâton de maréchal  » rappelant tristement Mobuto et les
dérives impardonnables à l’encontre du peuple Zaïrois ;
8) constatant que toute velléité d’indépendance en matière
syndicale est étouffée par ce régime qui ne conçoit
de société civile qu’à son service ;

la Ligue Djiboutienne
des Droits Humains (LDDH) considère qu’il est de son devoir le plus
urgent d’attirer l’attention de la communauté nationale et internationale
sur la situation potentiellement et réellement explosive qui prévaut
aujourd’hui en République de Djibouti ;

La Ligue Djiboutienne
des Droits Humains (LDDH) ne peut qu’exiger le report d’un an de cette élection
présidentielle, afin :

1) d’instaurer des conditions
favorables à des processus électoraux réellement transparents
;
2) de procéder à la refonte effective des listes électorales
avec la participation de tous les partis politiques et la présence
des Observateurs internationaux notamment ceux des Défenseurs des Droits
de l’Homme ;
3) d’instaurer un gouvernement de transition chargé de la mise en place
de tous les processus électoraux et du bon déroulement des élections
indépendantes pour la Magistrature suprême (élection présidentielle)
;
4) d’organiser rapidement les élections des Assemblées Régionales
promises par l’actuel chef d’Etat pour la fin de l’année 2004 ;
5) d’éviter toutes les interférences illégales des Forces
armées et des instances juridico-administratives en faveur flagrante
à l’équipe au pouvoir ;
6) de rendre rapidement opérationnel le Tribunal du Contentieux administratif
afin que tout recours contre les abus de pouvoir soient pris en considération.

Sans l’instauration des
conditions favorables à une concurrence électorale loyale, juste
et équitable ;

Sans l’éradication
des fléaux des fraudes électorales, alors les dangers des dérapages
sanglants et les risques de conflit armé sont plus que jamais omniprésents.

NOEL
ABDI Jean-Paul