06/03/05 (B288) La période est calme … trop calme ! Vers un départ possible et programmé de la présence française ? (ARDHD)

Après plusieurs
semaines durant lesquelles l’actualité djiboutienne était très
présente, y compris dans les media français et dans les déclarations
du Quai d’Orsay, le soufflé est-il retombé ?

Depuis deux semaines,
plus un mot, plus une ligne, plus une déclaration sur les convocations
d’Hassan Saïd, de Djama Souleiman, sur la mise en cause possible d’IOG
…. sur les deux instructions en cours à Versailles pour subornation
de témoins et à Paris pour le meurtre du Juge.

Le Procureur français,
les Juges Belin et Clément, très actives et bien décidées
à faire la lumière sur les auteurs du meurtre du Juge Borrel,
ne s’expriment plus (ce qui ne veut pas dire qu’elles ont cessé de
travailler ! Bien au contraire !). Le Garde des Sceaux et le Quai d’Orsay
n’évoquent plus l’envoi (ou le non envoi) du dossier d’instruction
à Djibouti – ce qui avait été probablement une faute
grave de communication, commise dans un excés de précipitation
du Quai d’Orsay, saisi par la frénésie à l’époque.

On pourrait avoir l’impression
que l’affaire est étouffée … Mais le feu n’a pas été
éteint, donc il couve … et nous ne serions pas surpris que la Justice
française reprenne l’initiative assez rapidement (deux, trois, quatre
semaines ?) en envoyant de nouvelles convocations. Il lui faut certainement
du temps pour examiner les nouveaux documents qui ont été déclassifiés,
(Cette nouvelle déclassification, annoncée en urgence un samedi est pratiquement passée inaperçue…)
Et il lui faut tenir compte du fait que Djibouti est en campagne présidentielle
et qu’une interférence judiciaire dans la campagne risquerait d’être
très mal interprétée … par l’ensemble des acteurs et observateurs.

Bref, on ne parle plus
de l’affaire Borrel en ce moment dans l’actualité française

Les autorités françaises
et djiboutiennes ont-elles décidé de faire une pause, afin de
chercher des solutions et un accord d’Etats qui permettraient à Guelleh
et/ou ses équipes de tueurs, de s’éxonérer de leurs responsabilités
et en contrepartie, à la France de conserver ses positions à Djibouti ? L’enjeu majeur
est celui-là.
Le marché offert par Guelleh à la France
ne semble pas pouvoir être différent.

On a pourtant l’impression,
même si elle n’est pas confirmée, que la France se résout
lentement à l’idée qu’elle pourrait abandonner ses bases djiboutiennes.
Son armée jouait un rôle essentiel sur place, en empêchant
les convoitises des voisins et en particulier de l’Ethiopie, qui aimerait ne voir dans
Djibouti qu’une province … : car après la séparation de l’Erythrée,
Addis Abeba n’a plus d’accès à la mer.

Les ports erythréens
d’Assab et somalilandais de Berbera (qui affiche une ambition sur ce point)
ne semblent pas avoir la capacité de remplacer celui de Djibouti pour
le commerce éthiopien : soit parce qu’ils sont handicapés par
des problèmes d’accès qui empêchent les bateaux à
fort tonnage d’accoster, soit parce que les infrastructures routières
ne facilitent pas les échanges avec l’Ethiopie, soit pour des raisons
politiques.

Donc le port de Djibouti
est un élément essentiel pour le commerce éthiopien (actuellement en plein
développement)
qui risquerait sinon l’asphyxie … Les voies vers
le Sud et en particulier le Kenya ne semblent pas offrir les mêmes possibilités
et il n’y a pas de train.

Des menaces planent et
il y a du chantage dans l’air : la récente déclaration du traficant
Borreh, homme d’affaires de Guelleh, a de quoi les inquiéter … « L’US
Navy pourrait représenter 80 % du trafic du nouveau port de Doraleh
et l’Ethiopie serait reléguée très loin … »

Donc contrainte et forcée,
l’Ethiopie a besoin du port de Djibouti et sa politique étrangère
doit en tenir compte comme une priorité régionale. Elle a trois solutions :
– ou bien elle provoque l’annexion de Djibouti, comme une province éthiopienne, (ce qui n’est même pas envisageable aujourd’hui avec les présences
militaires françaises et américaines et qui créerait un nouveau désordre dans la Corne)
,
– ou elle tente de sécuriser
la situation …. en tenant compte du contexte et des atouts sur lesquels,
elle pourrait s’appuyer,
– ou bien elle essaye d’agir en sous-main pour favoriser la prise de pouvoir à Djibouti par des hommes qui lui seraient favorables (ce qui semble difficile à jouer actuellement, parce qu’il n’y a pas de leaders capables d’empêcher Guelleh à court terme, de se réélire) .

Les relations entre les
dirigeants éthiopiens et l’équipe de Guelleh (pourtant natifs
et originaires d’Ethiopie pour la plupart !!) ne sont pas au beau fixe, surtout
parce que Guelleh a fait sans cesse monter les enchères et qu’il pratique désormais des tarifs
portuaires à la limite de l’inacceptable, en raison du service sans
concurrence qui est rendu sur place. Par mesure de rétorsion, les Ethiopiens
bloquent de temps à autre le paiement des factures … et provoquent
des négociations.

Les relations franco-éthiopiennes
ne sont pas spécialement chaleureuses. Même si
la France a essayé de maintenir une présence en Ethiopie (en
particulier avec le Lycée français d’Addis), elle ne n’exerce pas une grande influence sur place. La France n’est pas
un allié traditionnel de l’Ethiopie .

Reste les Américains
: les relations américano-djiboutiennes sont fortes. Après la
domination russe, les américains ont repris une place importante en
Ethiopie, y compris sur le plan diplomatique et si un jour Djibouti devait
choisir entre les Français et les Américains, on peut imaginer
que les Ethiopiens n’hésiteraient pas une seconde et qu’il favoriseront
une présence américaine forte à Djibouti, pour garantir
leur accès à la mer … Dans l’hypothèse d’un tel contexte, les Ethiopiens
ne soutiendraient certainement pas la présence française à
Djibouti …

Allons-nous vers un départ
programmé de la France ? C’est bien possible ! Parce que la Diplomatie
française ne pourra pas négocier avec la Justice française
qui poursuivra son travail, aboutissant comme nous le pensons, à la
mise en cause directe de Guelleh. Mais attention et Guelleh le sait bien,
le départ de la France pourrait avoir des conséquences sérieuses
:

– la France apporte beaucoup
d’argent à Djibouti, tant par le montant des subventions que par celui
des dépenses de ses ressortissants qui font vivre le commerce local,
contrairement aux américains, habitués à consommer des
produits américains importés par leur Administration et disponibles
dans leurs bases.

– la France fait partie
de l’Union européenne, grande pourvoyeuse aussi de fonds, d’aides et
de subventions. La solidarité européenne n’est pas toujours
au rendez-vous, mais Djibouti, en cas de rupture avec la France, rencontrerait
des difficultés importantes pour se faire écouter et pour quémander
des aides …

Donc Guelleh se doit d’être
prudent. En plus s’il choisissait l’exclusivité de la présence américaine,
il serait alors soumis à la domination implacable et sans concession des US qui ne lui accorderont plus aucune
autonomie de manoeuvre. Les Américains ont la capacité de lui
verser tout l’argent qu’il demandera (et même plus !)… mais dans la
limite où il se limitera à devenir l’exécuteur dévoué et
zélé au service exclusif de leurs intérêts …
Les USA seraient alors en mesure de lui imposer des décisions qui ne seraient
pas toujours de son goût !!

La France n’a pas encore
quitté ses bases de Djibouti. Cela ne se fera pas dans les prochaines
semaines, mais la question est envisagée en haut lieu et il se pourrait bien que cela
arrive dans un futur finalement plus proche qu’on ne le pensait.

La France négocie-t-elle
déjà avec le Yémen, une position de repli ? Ce n’est
pas impossible, car le Yémen ne peut accepter ouvertement une présence
américaine, dans la mesure où les USA sont très contestés
dans le monde arabe. Avec la France il pourrait trouver un terrain d’entente
en lui accordant des avantages spécifiques et une implantation militaire,
de moindre envergure que la base de Djibouti, mais suffisante pour entretenir
des troupes, des bâteaux et des avions et surtout des antennes opérationnelles
(Réseau échelon).

Cette solution présenterait aussi un
gros avantage pour la France, c’est d’alléger ses budgets militaire
et de coopération.