12/04/05 (B293B) LE MONDE : chronique du 11 avril (Info lecteur)

Autant le dire tout net
: on ressort quelque peu commotionné par cet opium du peuple qu’est
devenue l’information dès lors qu’elle s’empare d’un événement
planétaire ou jugé comme tel. Le tsunami et sa vague si meurtrière
de décembre avaient déclenché une autre vague, médiatique
cette fois, qui ne tua personne mais finit par abrutir tout un chacun. Et
on a ressenti quelque peu monter cette nausée du trop et du trop long,
ces derniers jours, en visionnant en boucle les mêmes images ou presque
d’un Jean Paul II superstar dont la foule réclamait dans un hallucinant
happening rien de moins que la canonisation immédiate.

Certains se sont penchés
sur les choux gras prévisibles de la presse dite « pipol »,
qui ne savait plus où donner de la tête couronnée ou consacrée.
Un pape, et quel pape, rappelé à Dieu. Un prince, bien nommé
Rainier, emboîtant son pas céleste. Et un autre prince bravant
les foudres maternelles pour convoler en noces tardives avec Camilla Parker
Bowles. C’était davantage qu’il n’en fallait pour assurer tirages et
mirages sur papier glacé. Mais il serait plus honnête de dire
que la plupart des médias, ces temps-ci, ont été pris
de cette frénésie pipolesque au nom de l’information.

Dans ces grands moments
changés au propre comme au figuré en grand-messes, on se demande
si soudain la Terre s’est arrêtée de tourner pour que tous les
points de vue deviennent cardinaux (et on ne parle pas seulement de ces petits
hommes en noir à coiffure violette qui éliront bientôt
le nouveau chef de l’Eglise).

Le regard se polarise.
Les esprits se paralysent. Vous vouliez du pape ? En voilà, distribution
générale. Et, puisque enterrer un pape, c’est presque raconter
la vie des saints, il n’est guère question d’ajouter une ombre au tableau.
Donc la messe est dite. Ce pape lutta contre le communisme, contre le matérialisme
ambiant, contre les hommes de peu de foi, contre la maladie. Admirable Jean
Paul II, évidemment. Ceux qui voudraient faire remarquer les silences
du souverain pontife sur les ravages du sida n’ont qu’à repasser.

Il est pourtant arrivé
quelque chose d’important, le 8 avril, tandis que Jean Paul II gagnait sa
dernière demeure. Une élection présidentielle à
Djibouti, un pays très chaud où l’Afrique pousse sa corne.

On y trouve une base militaire française et une autre américaine.
On y trouve aussi un président seul candidat à sa succession,
qui a remporté vendredi un semblant d’élection. C’est l’écrivain
djiboutien Abdourahman Waberi qui nous a interpellé avec un texte annoncé
ainsi : « Cher LE MONDE, j’espère que cet article retiendra
votre attention. »

De Normandie, où
il vit depuis quinze ans, Waberi écrit : « Depuis des mois,
le président sortant – Ismaël Omar Guelleh – multipliait les sorties
dans les quartiers de la capitale Djibouti et dans les cinq districts de l’intérieur,
distribuant des subsides, des aides en nature et du khat, la drogue euphorisante
que les gens mâchent dans toute la corne de l’Afrique et au Yémen. »

En se targuant d’un taux de participation de près de 79 %, l’élu
s’enorgueillit d’un scrutin démocratique. L’opposition conteste.

On aurait aimé
en savoir un peu moins sur le pape, et beaucoup plus sur ce qui s’est vraiment
passé à Djibouti, le 8 avril, devant les urnes.

Eric
Fottorino