23/10/05 (B321-A) Libération : Dix ans de procédure et d’enquête.

____________________________ Note de l’ARDHD
Libération publie une rétrospective remarquable de l’affaire Borrel, année par année. Il nous a semblé qu’elle pouvait aider certains des lecteurs, qui auraient pris le train en marche, à s’y retrouver et à mieux comprendre les épisodes importants qui se jouent actuellement.
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Une chronologie détaillée de l’affaire Borrel, réalisée par les soutiens d’Elisabeth Borrel, veuve du juge assassiné.

LIBERATION.FR : 16 octobre 2005 – 07:33

Chronologie de l’affaire Borrel

1995
• 19 octobre: découverte du corps en partie carbonisé de Bernard Borrel, en contrebas d’un ravin, à 80 km de Djibouti. Ce magistrat français était placé au titre de la coopération auprès du ministre de la Justice de Djibouti depuis avril 1994. Un conseiller vient au domicile de l’épouse de Bernard Borrel afin d’y chercher (en vain) un document qui serait compromettant notamment pour les autorités djiboutiennes.
L’ambassade de France diffuse immédiatement l’information qui devient la thèse officielle: suicide par immolation.
• Novembre: de retour à Toulouse et sans nouvelles de la procédure, Elisabeth Borrel demande une autopsie; elle apprendra peu après qu’aucune autopsie n’a eu lieu à Djibouti et que les radiographies faites lors du premier examen du corps ont disparu.
Le parquet de Toulouse ouvre une information pour recherche des causes de la mort.

1996
• Octobre: Elisabeth Borrel rencontre Olivier Echappé, collègue de sa promotion, et …conseiller de Jacques Chirac à l’Elysée: Olivier Echappé lui confirme la version officielle du suicide en insistant sur «le malaise des hommes de 40 ans»; si ce n’était pas un suicide, ajoute-t-il, tu ne sauras jamais rien.

1997
• Février: les légistes toulousains indiquent qu’aucune trace de suie n’a été décelée dans les poumons mais que les brûlures peuvent représenter la cause de la mort; ils notent toutefois que l’écoulement important du liquide inflammable sur les membres supérieurs paraît «difficilement réalisable lors d’une auto- aspersion»; aucune lésion traumatique n’est indiquée dans le rapport.
• Mars: Elisabeth Borrel dépose plainte pour assassinat dans le cadre d’une constitution de partie civile.
• Avril: les gendarmes du Muret, chargés par la juge Myriam Viargues d’analyser les procédures établies par la gendarmerie française de Djibouti (la prévoté) et la gendarmerie djiboutienne, estiment que «si la thèse du suicide est avancée, rien ne vient la conforter objectivement au niveau des investigations réalisées».
• Juillet: selon l’étude médico-légale qu’Elisabeth Borrel demande au professeur Lazarini, l’absence de suie retrouvée dans les voies aériennes supérieures montrerait que la combustion ne s’est pas produite du vivant de Bernard Borrel.
• Octobre: le dossier est dépaysé à Paris par la chambre criminelle de la cour de cassation.
• Novembre: ce dossier est d’abord confié à Marie Paule Moracchini qui s’adjoindra le concours d’un autre magistrat, Roger Le Loire, qui a eu à connaître d’un autre dossier franco-djiboutien, «l’attentat du café de Paris» de 1990, dossier dans lequel il avait demandé en 1994 la collaboration de Bernard Borrel.

1998
• Janvier: la section antiterroriste de la brigade criminelle est saisie d’une commission rogatoire.

1999
• Mars: premier déplacement à Djibouti des juges Moracchini et le Loire dans le cadre d’une commission rogatoire internationale.
• Avril: élections présidentielles à Djibouti: Ismael Omar Guelleh succède au président Gouled Aptidon.
• Septembre: remise du rapport de la brigade criminelle qui note en conclusion: «sauf à envisager l’existence d’un vaste complot politico-judiciaire, impliquant dissimulation d’enquête par les premiers intervenants, procès verbaux volontairement erronés, examens médicaux orientés et conspiration générale du silence, l’hypothèse de l’assassinat ne peut, à ce jour, être sérieusement retenue».
Le scénario retenu balaie la première hypothèse, à savoir le fait que Bernard Borrel se soit jeté en flammes sur la plate forme en contrebas pour finir sa chute dans le dénivelé des rochers; la thèse de la brigade criminelle est celle d’un homme qui se déshabille et s’asperge d’essence au premier niveau avant de descendre en contrebas de la pointe rocheuse; de cet endroit, il s’accroupit ou se met en position agenouillée «en position expiatoire» avant de se mettre le feu; sous l’effet de la douleur, il s’effondre quelques mètres plus loin.

2000
• Janvier: un ancien officier de la garde présidentielle, Mohammed Saleh Aloumekani, met en cause dans les médias l’actuel président de la République djiboutien, Omar Guelleh, comme étant le possible commanditaire du meurtre; Aloumekhani aurait assisté à une conversation le 19 octobre après-midi avec Ismael Omar Guelleh alors chef des services de sécurité; 5 hommes lui auraient rendu compte de «l’élimination du juge fouineur». Aloumekani confirme ses déclarations aux juges d’instruction parisiens venus l’entendre à deux reprises à Bruxelles où il s’est réfugié. Il se plaint d’avoir subi des pressions de la part de la magistrate Marie Paule Moracchini. La presse fait état de ce témoignage; les relations franco-djiboutiennes sont altérées, comme en atteste un rapport parlementaire.
• Mars: les juges le Loire et Moracchini se rendent une seconde fois à Djibouti, accompagnés du procureur adjoint Dauvel et du médecin légiste Dominique Lecomte. Les parties civiles ne sont ni informées de ce déplacement ni conviées à participer à ce transport. Les avocats d’Elisabeth Borrel apprenant ce déplacement sollicitent un visa pour se rendre à Djibouti; un refus leur est opposé au motif que les juges n’ont pas invité la partie civile à ce transport
• Mai: dépôt du rapport médico-légal des professeurs Lecomte et Nicolas qui confirment la thèse du suicide.
Refus des juges d’instruction d’ordonner les 14 mesures sollicitées par les avocats d’Elisabeth Borrel.
• Juin: refus des juges d’accorder la contre expertise demandée par E. Borrel, le SM et l’USM.
Dessaisissement des juges Moracchini et Le Loire par la chambre d’accusation de Paris et désignation d’un nouveau juge d’instruction, Jean Baptiste Parlos.

2001
• Janvier: la cour d’appel de Paris infirme l’ordonnance des juges Moracchini et Le Loire du 14 juin 2000 par laquelle ces magistrats s’opposaient à la demande de contre-expertise demandée par les parties civiles; les conseillers de la chambre d’instruction estiment eux qu’en effet «malgré une regrettable absence d’autopsie, en l’état de la question posée, à savoir s’il y a eu ou non carbonisation vitale, de nouvelles investigations s’imposent».
• Avril: après avoir réclamé pendant plusieurs mois le dossier de l’attentat du café de Paris, les avocats d’Elisabeth Borrel n’obtiennent que la possibilité de le consulter au parquet; il faudra une nouvelle demande du juge pour que ce dossier soit joint en copie à la procédure.
Certains des auteurs présumés de l’attentat du café de Paris sont jugés à Djibouti et condamnés, pour les accusés présents, à des peines allant de 6 à 8 ans de prison, période couvrant la détention provisoire; l’opposant politique Aden Robleh, accusé par la justice djiboutienne de complicité, est condamné à 6 ans de prison avec sursis.
En cours d’année, le juge Parlos mène de nombreuses auditions et confrontations de militaires, de médecins présents à Djibouti au moment des faits.

2002
• Février: déplacement du juge Parlos à Djibouti en présence d’Elisabeth Borrel, de ses avocats et d’un représentant du SM; sont également présents de nouveaux experts légistes; le parquet de Paris, cette fois, n’est pas représenté. Un transport sur les lieux permet de mettre sérieusement en doute la version du suicide.
• Juin : exhumation aux fins d’autopsie du corps de Bernard Borrel.
Une autre juge d’instruction, Sophie Clément, succède au juge Parlos, nommé à la Cour de cassation.
• Septembre: un nouveau témoin, Ali Iftin, supérieur hiérarchique d’Aloumekani, déclare que son premier témoignage, hostile à Aloumekani, lui a été dicté par le chef des services secrets, Hassan Said.

2003
• Juin: les 3 experts légistes rendent leur rapport qui privilégie une mort violente liée à une intervention extérieure.
• Décembre: la juge demande la transmission de documents détenus par le ministère de la défense nationale.

2004
• Mars: déclassification d’une dizaine de documents du ministère de la Défense après les remontrances du président de la commission nationale du secret de la défense nationale à la ministre de la défense qui avait tardé à publier au JO l’avis favorable de la commission.
• Avril : la présidence djiboutienne met en cause la passivité du gouvernement français; le quai d’Orsay loue «l’excellente coopération dont ont fait preuve dans cette affaire les autorités djiboutiennes».
• Juin: le procureur de Djibouti demande au parquet de Paris la communication du dossier d’instruction au motif que «la partie civile et certains médias français essaient d’orienter l’information judiciaire actuellement en cours à Paris».
• Novembre: le président de la commission consultative secret défense se plaint auprès du ministre de l’Intérieur du non respect de la loi du 8 juillet 1998, le ministre n’ayant pas saisi la CCSDN et préféré répondre directement par la négative à la juge.
• Décembre: déclassification de documents de la DPSD (ancienne sécurité militaire).

2005
• Janvier: dans le dossier satellite de subornation de témoins, la cour d’appel de Versailles ordonne l’audition du chef des services secrets Hassan Said; les magistrats estiment également qu’il n’est pas impossible au président djiboutien de déférer spontanément à une demande d’audition comme témoin.
L’ émetteur de Radio France internationale est fermé sur ordre des autorités djiboutiennes.
Expulsion de 6 coopérants par les autorités djiboutiennes.
Le porte parole du quai d’Orsay affirme que «rien ne permet de conclure à la mise en cause des autorités djiboutiennes dans les documents déclassifiés». Il annonce qu’une copie de dossier Borrel sera prochainement transmise à la justice djiboutienne.
• Février: déclassification très partielle de documents détenus par la DST. La juge Sophie Clément fait connaître son refus de transmettre le dossier Borrel estimant que cette demande est un détournement de procédure eu égard à l’implication de personnalités djiboutiennes et met un avant le risque d’atteinte aux intérets fondamentaux de la France compte tenu de l’existence de documents déclassifiés des services français.
La chancellerie fait savoir que l’Etat français n’est pas tenu de se conformer à l’avis de la juge d’instruction et envisage une transmission partielle du dossier Borrel à Djibouti.
• Mars: le Syndicat de la magistrature rencontre sur ce point le directeur des affaires criminelles et lui fait part de son indignation face aux récentes déclarations du quai d’Orsay et de la chancellerie.
Déprogrammation d’une émission consacrée à l’affaire Borrel sur Radio France international; l’émission ne sera reprogrammée que quelques semaines après les élections présidentielles djiboutiennes.
• Avril: retrait d’un article consacré à l’affaire Borrel sur le site de RFI, ce qui suscite la réprobation des syndicats de journalistes.
• Mai: le président djiboutien est reçu chaleureusement par Jacques Chirac mais reçoit le même jour une convocation pour audition comme témoin par la juge d’instruction Sophie Clément; le quai d’Orsay fait savoir qu’il est normal que le président Omar Guelleh ne réponde pas à cette convocation tandis que Jacques Chirac déplore la durée excessive de cette procédure.
• Juin: le garde des sceaux Pascal Clément s’engage à ne pas transmettre le dossier d’instruction aux autorités djiboutiennes sans l’aval de la juge d’instruction.