22/06/06 (B355_B) Djibouti – A tous les niveaux de la société, hommes et femmes commencent à exprimer ouvertement une « faim de démocratie », une nécessité à court terme et non plus un rêve impossible qu’entretiennent la tyrannie et ses suppôts. (Africanman)

Les faits sont là pour le démontrer et ce malgré ce que pourraient en penser les plus sceptiques ; au fur et à mesure que la démocratie gagne du terrain dans le monde, il devient de plus en plus clair que l’avenir politique d’un pays, sa force économique, sa vitalité nationale et son identité ne peuvent être façonnés que par l’avènement d’un gouvernement responsable de ses actes et transparent. Un gouvernement pluraliste dans ses représentativités tribales, une équipe d’hommes et de femmes véritable partenaire d’une société civile dynamique et certes pas fondé sur une tyrannie déguisée grossièrement en supposée démocratie.


Roger Picon

Dans la capitale, dans les villes et villages de l’arrière pays à Djibouti comme ailleurs en Afrique de l’Est et dans le monde, nous assistons aux mêmes phénomènes qui sont les indéniables et inévitables prémices à de profonds changements dans les mentalités.

C’est ainsi que fonctionnaires, militaires, gendarmes, policiers ou simples citoyens, hommes et femmes se situant à tous les niveaux de la société djiboutienne commencent à exprimer de diverses manières une « faim de démocratie » comme un droit, une absolue nécessité à court terme et non plus comme un luxe ou un rêve impossible.

Certes, la démocratie est partout un exercice compliqué, un challenge à relever avec courage et c’est pour cela que l’erreur fondamentale d’Ismaïl Omar fut et reste de ne pas avoir tenté de s’y essayer. L’histoire aurait alors gardé de lui l’image d’un Chef d’État alors qu’elle n’en conservera que l’allégorie d’un tyran devenu sanguinaire avec le temps.

A l’inverse de ce que nous attendions de lui en mai 1999, il s’est refusé à toute élection digne de ce nom. Apeuré qu’il fut à l’idée de doter le pays d’une opposition politique représentative des populations et constructive, présente au parlement djiboutien. Plutôt que de laisser à la liberté faire le choix de Députés dignes ce nom et de leur fonction, en nommant arbitrairement des « pleure-misères guignolesques » – car n’étant représentatifs que d’eux-mêmes et de leurs seuls cupides intérêts – voilà le genre d’attitude traumatique et irresponsable qui marque une population et qui contribue depuis des années à l’émergence des manifestations de plus en plus importantes dans le pays.

Pourtant, l’évolution des pensées que nous constatons – mais aussi la prise de conscience des risques imminents d’explosion populaire par ceux qui gravitent en périphérie du pouvoir d’IOG -, la perception de ce qu’il se passe ailleurs par comparaison avec la situation de catastrophe dans laquelle se débattent les populations force – plus que jamais – chacun et chacune à comprendre qu’il n’y a rien d’aberrant à vouloir être gouverné dans les règles de l’art dans une démocratie en devenir et que les appels au « faux patriotisme » d’IOG et de sa propagande ne sauraient se substituer à la « Participation » et à l’émancipation. Émancipation ne signifiant nullement faire tout ce que l’on veut et sans limites dans une société déterminée mais savoir ce que l’on fait.

Le 27 juin 1977, aux considérations de quelques-uns, l’instauration d’une amorce à la démocratie à Djibouti semblait être un rêve impossible. Les ambitions des uns et des autres hommes politiques s’affrontaient presque ouvertement au sein du Rassemblement Pour le Progrès (RPP) alors que la porte du bureau politique était verrouillée solidement pour empêcher que quelques démocrates prônant le changement et le véritable progrès n’accèdent un jour aux plus hautes instances de l’État.

Des hommes politiques connaissant le fonctionnement de l’État et pourtant soutenus par les Djiboutiens/Djiboutiennes – tels Mohamed Djama Elabeh et bien d’autres – se sont opposés au régime de « Gouled – Guelleh » et en ont payé le prix fort.

En Afrique, les dictateurs et leurs généraux étaient largement plus nombreux à cette époque que les présidents et les premiers ministres élus démocratiquement ou pour le moins soutenus par les populations. La post colonisation de l’après « De gaulle » faisait pleinement son « œuvre » car voulant y gagner en tranquillité du moment. France des incohérences de l’époque, repoussa sans vouloir voir tous les mouvements africains en faveur de l’instauration d’une ouverture à la démocratie et du respect de l’humain qui émergeaient – ça et là – dans ses ex territoires et colonies ; mouvements spontanés et qui furent souvent réprimés dans le sang.

En enterrant le général en 1970, on enterra bien vite le « gaullisme » avec sa vision d’une Coopération française évolutive en Afrique et ailleurs dans le monde. Mais l’on ira rechercher son nom – de temps à autre et suivant les convenances du moment de quelques uns et de quelques autres – comme faire valoir pour tenter de laisser croire que l’on s’inspirerait de sa pensée ce qui est – là encore – une indigne manipulation politique et surtout une insulte à sa mémoire.

Presque 30 ans plus tard, la transformation qui s’est opérée en Afrique est encourageante, dépassant parfois les espérances, même les plus optimistes pour autant que l’UE et les USA imposent de véritables règles et ne se cantonnent pas au « diplomatiquement correct » au nom de quoi on laisse faire n’importe quoi. Assurément transformations…oui mais ailleurs qu’à Djibouti car la dictature y est devenue bien plus sournoise et avide depuis l’autoproclamation d’IOG à la tête de l’État.

En quelques 7 années, Ismaïl Omar Guelleh n’a pas changé ses stratégies, tactiques manipulatoires et certes pas ses principes de tyran inspirés de chez « monsieur Staline » où il fut formé en un temps.

La peur de l’autre n’est pas le pire pour lui. L’atroce c’est la honte lorsqu’il se regarde succomber à cette peur chaque soir avant de s’endormir – d’après ce qui nous en est dit par des membres de sa garde – alors qu’il verrait certaines nuits…le fantôme du Juge Bernard Borrel qui hanterait les couloirs du Palais d’Haramous.

Le drame réel d’IOG est devenu aujourd’hui insoutenable, il s’est accaparé par la mystification tous les pouvoirs à Djibouti en espérant que les populations ne changeraient pas et n’évolueraient pas, or bien des choses changent y compris au sein des institutions ; chez les fonctionnaires, gendarmes et policiers. Et contre cela Ismaïl Omar n’y peut rien, malgré les « bastonnades », les tirs sur les manifestants, les incarcérations arbitraires et les tortures, tout comme les exécutions sommaires qu’il ordonne.

Au sein de toutes les couches sociales djiboutiennes, les individus (pris au sens étymologique et respectable du terme) sont de plus en plus nombreux à prendre conscience du fait que l’avènement d’un gouvernement véritablement responsable de ses actes et transparent – oeuvrant dans un esprit de partenariat avec une société civile dynamique – déterminera l’avenir politique du pays, sa force économique, son énergie nationale et jusqu’à la diversité de ses identités, cultures et traditions qui en font sa force.

Quiconque s’emploie à faire rayonner la démocratie a pu observer des moments de turbulence – à certains moments plus fréquemment qu’à d’autres. Mais même dans l’adversité, même dans nos différences au sein de l’opposition, nous avons toujours ressenti les liens étroits qui unissent les individus déterminés à promouvoir la démocratie et le respect des droits de l’humain. De toute évidence, le rôle de la société civile et de l’opposition politique dans l’encouragement des réformes et dans la modernisation des régimes politiques et économiques revêt un caractère essentiel. Encore faudrait-il que l’opposition politique ait un droit de parole et celui de penser autrement.

A Djibouti sous IOG, il n’y a point de droit du plus sage mais le droit du plus fort ;

Pourtant, le rôle que les acteurs extérieurs au gouvernement devraient jouer dans le renforcement de la démocratie fait l’objet de débats non seulement en Afrique, mais aussi dans le reste du monde, qu’il s’agisse des démocraties bien enracinées d’Europe occidentale ou partout dans le monde. Partout ? certes mais pas à Djibouti.

La voie est tracée, il convient de la suivre en considérant ensemble l’exemple des pays africains qui découvrent actuellement la démocratie après des années de drames. Des pays où chaque jour est un combat qu’il faut livrer pour forger l’identité de la collectivité vis-à-vis de la démocratie, établir la transparence des institutions essentielles et définir le rôle de l’individu face à celui de l’État.

Une chose est en tout cas certaine, c’est que le futur gouvernement djiboutien et les acteurs non gouvernementaux devront trouver un juste équilibre émanant d’un respect mutuel. Le gouvernement devra respecter le droit qu’ont ses citoyens/citoyennes de s’organiser, et ces derniers (es) devront donner à leurs institutions les moyens de gouverner convenablement.

Ce n’est qu’au prix d’une action concertée – nonobstant d’occasionnelles tensions qu’il conviendra de régler par le dialogue – que la volonté des populations djiboutiennes sera faite et pas autrement.

La société civile devra jouer un rôle clé dans la défense des intérêts du public, l’analyse de l’action des pouvoirs publics, la mobilisation des partisans de la réforme d’ensemble et le maintien de la transparence.

Les associations que forment des citoyens désireux d’améliorer leur société et son fonctionnement auront en charge d’éduquer l’opinion publique sur des dossiers fondamentaux, de mobiliser les esprits, de plaider les causes d’intérêt général et de suivre le comportement et les réalisations des élus.

Manifestement, ce sont là des fonctions qui ne gagnent pas toujours les faveurs de la presse ni celles des personnalités publiques, mais cette caractéristique ne les rend que plus précieuses. Dans tous les cas, les citoyens/citoyennes doivent garder à l’esprit que l’objectif doit être d’améliorer la gestion des affaires publiques, et non pas de démolir les institutions de l’État.

Une société civile robuste et dynamique encourage trois éléments essentiels à la démocratie :

 

– la transparence de l’État et de ses institutions.

De par sa nature même, le concept du gouvernement dans les règles de l’art suppose la transparence des institutions politiques et bureaucratiques. La société civile doit exercer une pression sans relâche et responsable si elle veut sortir gagnante du combat livré à la corruption dans les institutions publiques. Faute de quoi, sa croisade se trouverait ravalée au rang de la démagogie pure et simple.

– la participation prise au sens large tout comme dans l’entreprise du secteur privé ;

Une société civile bien organisée donne des moyens d’action aux démunis et elle décuple leur voix collective dans la vie politique. Les organisations sur lesquelles elle repose servent à éduquer les citoyens sur leurs droits et leurs devoirs. Elles incitent les citoyens à se battre pour les droits dont la jouissance est indispensable à l’amélioration de l’existence.

– la dynamique de la réforme politique.

On est bien obligé d’admettre que les alliés les plus fidèles de la réforme durable du régime politique se situent généralement en marge du gouvernement. Il n’empêche que les pouvoirs publics et la société civile ont besoin d’agir d’un commun accord pour parvenir à imposer des réformes véritables.

Qu’on ne s’y trompe pas : la société civile ne saurait être un ersatz des partis politiques ni d’un encadrement politique. Bien au contraire. L’idée n’est pas de substituer la société civile aux partis politiques, mais plutôt de faire en sorte que celle-là complète ceux-ci. De même, il serait erroné de croire que la société civile est par nature hostile au gouvernement. Nous avons vu de nombreux exemples de partenariats entre les autorités et le secteur privé, qui ont pour triple effet de renforcer l’action des pouvoirs publics, de cimenter les organisations civiques et de permettre aux entreprises de prospérer en créant l’emploi.

Au Népal, par exemple, la campagne d’alphabétisation des femmes menée par des ONG a été l’étincelle qui a amené la Cour suprême du pays à abroger les lois relatives à la succession. En Namibie, le dialogue informel noué entre les ONG et le corps législatif a permis aux premières de mieux défendre les intérêts du public et au second de prendre des décisions dans un plus grand souci de transparence.

Dans une démocratie, la majorité doit pouvoir s’exprimer.

Cette majorité, qu’elle soit éparpillée dans les bidonvilles à la périphérie de la capitale ou dans les campagnes, peut avoir une perspective différente de celle des professionnels et des universitaires de la classe moyenne.

Ce qui compte pour les membres de cette majorité, c’est le quotidien. D’évidence, le terme de « société civile » les laisse complètement indifférents. Interroger une famille djiboutienne qui souffre de malnutrition, de la faim, d’un manque de soins médicaux sur le sens qu’elle donne à la société civile, c’est feindre d’ignorer que son plus gros souci est de pourvoir à ses besoins les plus élémentaires ; c’est se moquer ouvertement de ses droits fondamentaux.

Les principes de la théorie de la démocratie doivent donc être traduits dans le langage du quotidien, et il faut que le futur gouvernement ne fasse pas de « nombrilisme » et démonstration d’autosatisfaction déplacée mais soit capable d’établir un lien indiscutable entre la démocratie et le relèvement du niveau de vie des populations.

Les faits le démontrent, dans pratiquement tous les pays de la planète, ce sont les problèmes locaux qui accaparent l’attention de la majorité des citoyens. Les individus sont acquis à l’objectif de la participation, mais c’est à la solution de problèmes affectant directement leur collectivité auxquels ils/elles veulent participer. Une multitude de préoccupations viennent à l’esprit dont la nécessité de se doter d’écoles et de centres médicaux de qualité, d’améliorer les services de voirie urbaine et les transports, d’élaborer des plans cohérents pour l’approvisionnement des ménages en électricité et en eau, de mettre au point des programmes qui leur permettront d’acheminer plus facilement leurs produits vers le marché.

Hommes et femmes veulent avoir leur mot à dire dans la gestion des affaires qui leur tiennent à cœur. Ce n’est qu’en participant effectivement aux décisions prises à l’échelon local qu’ils peuvent avoir gain de cause, ce qui loin d’en être le cas à Djibouti actuellement avec un subterfuge de « régionalisation » dont de but est – une fois encore – de servir d’artificielle façade au pouvoir d’Ismaïl Omar Guelleh.

La participation des citoyens/citoyennes.

Le défi qui se posera à la démocratie djiboutienne nouvellement établie (souhaitons-le fortement) consistera à véritablement décentraliser le pouvoir politique.

Il ne s’agira pas de remplacer « le tyran Ismaïl Omar Guelleh » du pays par des centaines « d’hommes avides et dotés d’un bâton » à l’échelon local, mais bien au contraire de faire participer l’ensemble des citoyens dans toutes les municipalités du pays.

Les graines de la démocratie ainsi plantées ne tarderont pas à porter des fruits

Beaucoup d’associations de l’UE qui militent en faveur de la société civile à travers le monde s’emploient principalement à financer, ne serait-ce qu’en partie, les activités susceptibles de promouvoir la réelle participation des citoyens à la vie politique locale et régionale.

Les caractéristiques qui font de notre lutte – pour l’émergence d’une amorce de démocratie à Djibouti et pour le respect de l’humain – une affaire parfois bruyante, critique et sarcastique sont précisément celles qui lui donnent son dynamisme et sa souplesse. Si le pouvoir d’Ismaïl Omar Guelleh nous donnait le droit de parole, alors nous discuterions ouvertement de nos différences, de nos propositions et nous arriverions peut-être à des décisions qui pourraient permettre de parler de progrès et non point de « bastonnades politiques » et de tyrannie.


Roger Picon

C’est indéniablement par l’entremise de l’acceptation de l’existence d’une opposition politique librement élue au sein du Parlement – elle aussi responsable de ses actes – et en considérant conjointement chaque adversaire politique comme un concurrent – et non comme un ennemi à incarcérer voire à abattre – que chacun/chacune pourra envisager de participer à l’émergence d’une amorce d’ouverture à la démocratie à Djibouti.

Faute de quoi, le pays pourrait s’embraser demain, après demain.