04/07/06 (B357-B) Djibouti – Selon certaines considérations diplomatiques, il y aurait en Somalie des méchants , des méchants qui deviennent gentils … et des gentils qui n’ont jamais été méchants ! (Bouh Warsama)


Roger Picon
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, 30 millions de personnes sont mortes au cours de plus de 300 conflits armés. Les experts estiment que 80 à 90% de ces victimes ont été tuées par des armements légers. De plus, 90% des victimes sont des civils, dont une majorité de femmes et d’enfants.

Somalie, la grande énigme pour demain.

Pour ce qui concerne spécifiquement la guerre qui sévit en Somalie et dont on n’est pas prêt hélas de voir l’issue avec l’instauration d’une paix durable, il convient de tenter d’expliquer pourquoi nous en sommes arrivés à une telle situation avec les diverses parties prenantes, qui pourraient y trouver un intérêt à une poursuite du conflit.

Conformément aux décisions de1949, la Somalie accède à l’indépendance le 1er juillet 1960 et fusionnera progressivement avec l’ancien protectorat britannique du Somaliland, indépendant depuis le 26 juin 1960. Ce nouveau pays ainsi créé était viable et l’est encore mais pas sous sa forme actuelle alors qu’une quelconque idée de nouvelle réunification avec le Somaliland – qui a fait sécession en 1991 – paraît impossible malgré certaines volontés occidentales.

Disposant d’une large façade sur l’Océan Indien, la Somalie avait sous sa forme de 1960 (après fusion avec le Somaliland) d’indéniables atouts économiques auxquels vont venir s’ajouter la découverte – au début des années 70 et par des experts russes en région de Somaliland et du Puntland – de minerais rares, de ressources en pétrole off shore et surtout en gaz naturel dont il est dit qu’elles se situeraient parmi les plus importantes au monde. Dans le pays et avant que la guerre ne ravage des régions entières et ne projette sur les routes et les chemins des milliers de réfugiés ayant tout perdu, on y produisait à profusion du coton, de la canne à sucre, de la banane, toutes sortes de légumes et de fruits exotiques avec en prime un cheptel fort appréciable – à la fois en quantité et en qualité – au point de faire des envieux dans les autres pays de la sous région.

Le premier président du pays, Aden Abdullah Osman Daar, élu en 1960, est battu aux élections présidentielles de 1967 par son ancien premier ministre Ali Shermake, qui sera assassiné le 15 octobre 1969. Un groupe de militaires – conduit par le général Mohamed Siyad Barré, chef d’État Major des armées – prend alors le pouvoir par un coup d’État et proclame la République démocratique de Somalie en écartant le premier président de la jeune république, Aden Abdullah Osman Daar, accusé (à tort ou à raison) d’avoir fait assassiner son concurrent.

Dès lors Mohamed Siad Barré va s’instaurer en dictateur, en despote versant dans le sanguinaire. Rarement dans l’histoire qui l’aura précédée, la Somalie n’aura connue pourtant une telle prospérité et une véritable assise internationale ; mais au prix de dizaines de milliers de vies humaines sacrifiées au nom de la tyrannie que les instances internationales ne voudront pas voir. Parmi les régions victimes du pouvoir, on notera tout particulièrement celles où vivent les populations issaks des ex Somalies anglaises qui – faces à un véritable génocide lancé contre elles – vont, petit à petit, entrer en rébellion ouverte.

Presque 40 ans plus tard, les traces restent encore omniprésentes dans les esprits et sur les corps des torturés parmi ceux qui en ont échappé à la mort.

L’opposition fut matraquée, emprisonnée et réduite à sa plus simple expression ; quant à la presse – qui dérange fortement Mohamed Siad Barré et qu’il considère comme « parlant et écrivant de trop » – il va la contraindre au silence par l’entremise de sa bien tristement célèbre « police politique » formée dans les pires « Écoles » des pays du bloc soviétique d’alors.

Il est à noter que certains membres de cette police politique, coupables de nombreux actes de barbarie sous la dictature somalienne de l’époque, vont s’empresser de quitter le pays à la chute du tyran en 1991 pour se réfugier à Djibouti ou dans la région de Dire Dawa (Éthiopie) pour « se mettre aux ordres » d’Ismaïl Omar Guelleh.

Ces hommes servent depuis d’agents locaux en Éthiopie et à Djibouti, informateurs sur la situation locale mais aussi de « relais » pour le commerce des armes qu’entretient Ismaïl Omar Guelleh à Mogadiscio et dans les ex Somalies italiennes.

Ils ont obtenu la nationalité djiboutienne, furent déclarés nés à Djibouti et intégrés aux Services Djiboutiens de Sécurité ; ils servent aussi de « formateurs » dans le pays et d’agents des « basses œuvres ».

Soutenu par l’URSS, le général Mohamed Siad Barré proclame en 1970 le socialisme scientifique comme doctrine d’État. Dans les années qui vont suivre il nationalise la plupart des secteurs économiques modernes du pays. Il mène une campagne d’alphabétisation fondée sur la transcription du somali en alphabet latin ce qui va soulever de vives réactions au sein des populations concernées et créer des révoltes qui seront réprimées dans le sang. Il tentera vainement de réduire l’influence des clans.

La famine généralisée causée par la sécheresse de 1974 et de 1975 va pousser la Somalie à adhérer à la Ligue arabe puis à couper « les ponts » avec l’URSS.

Obsédé par ses capacités à mettre « le pays au pas » et par ses réussites économiques, mais surtout prétextant des revendications territoriales – selon lui justifiées – Siad Barré ne trouva pas mieux à faire que – 8 ans après sa prise de pouvoir – d’entrer en conflit armé avec son puissant voisin, l’Éthiopie, à propos de l’Ogaden. Si l’on se replace dans le contexte de l’époque, il lui faut un « ennemi », un exutoire à montrer du doigt pour tenter de mobiliser ses « troupes » vers un même but et faire taire les dissensions internes au régime tyrannique. Commencées dès 1972, les purges dans le milieu des militaires de haut rang vont s’accentuer.

Ainsi, de 1977 à 1988 et pendant plus de 11 années les armées de Somalie et d’Éthiopie vont s’affronter en Ogaden dans d’âpres batailles souvent à l’armement lourd alors que les populations locales – prises dans la tourmente – vont migrer, d’un côté puis de l’autre et faire les frais d’un conflit dont elles ne voulaient pas pour leur grande majorité.

Le résultat de ces combats ce fut un drame sans précédent pour ces deux pays sur le plan social, économique et surtout en perte de vies humaines, car il y eut des dizaines de milliers de morts de toute part, de graves mutilés de guerre, avec en prime des économies exsangues au niveau des deux pays. Ce n’est que contraints et forcés par les institutions internationales que Siad Barré et Mengistu Haïlé Mariam, alias le négus rouge, vont signer des accords de paix.

Pendant ce temps, l’ex-URSS, qui soutenait Addis Abéba, et les Américains, qui étaient derrière Mogadiscio (Siad Barré ayant éjecté les russes), riaient sous cape pour avoir fait de bonnes affaires en vendant aux belligérants des chars, lance-missiles, Mig et autres armes de destruction massive. Alors que déjà à cette époque le Port de Djibouti était une plaque tournante des trafics et transports d’armes légères, de munitions de tout calibre, de grenades et d’explosifs à destination de la Somalie et de l’Éthiopie.

Dès 1980, Ismaïl Omar Guelleh va flairer le « bon coup ».

A partir de Djibouti, il va faire de grandes et belles « affaires » mais à cette époque principalement sur le trafic d’armes légères, de munitions, de grenades et d’explosifs. Lors de leur débarquement des navires, quelques containers vont chuter accidentellement sur les quais du Port de Djibouti, dévoilant aux yeux du service des douanes une cargaison bien différente de celle « officiellement » mentionnée sur les connaissements administratifs.

Directeur des Services Djiboutiens de Sécurité (SDS), IOG va s’affronter à un haut fonctionnaire du Port et obtiendra du président Gouled que « l’affaire » soit passée sous silence. Ceci confirme l’implication du Palais de l’Escale d’alors dans ce trafic d’armes et dans bien d’autres. Entre autres, livraison discrète de paraît-il …« sucre en poudre » par le véhicule présidentiel djiboutien de Gouled à Divonne les bains….à un « correspondant » occidental vivant en Suisse et détenteur d’un passeport diplomatique…djiboutien.

D’autre part et lorsque les accords de paix entre la Somalie et l’Éthiopie sur l’Ogaden sont mises en pratique, il reste alors « sur le terrain » des masses énormes d’armes et de munitions. Utilisant ses « correspondants » en Somalie, IOG va « récupérer » à moindre coût une partie des armes qui avaient été vendues aux belligérants lors du conflit qui les opposa durant 11 années.

Transportées discrètement dans la région de Dire Dawa, ces armes, munitions, grenades et explosifs vont être stockés dans des caches surveillées par des agents locaux des SDS infiltrés dans le pays. Ces hommes qui circulent librement entre l’Éthiopie et Djibouti, parlant tout à la fois la langue somali, l’amharique, l’arabe, l’italien et l’anglais … voire le français …il va les utiliser par la suite comme agents de renseignements et vendeurs d’armes au profit des milices de Mogadiscio et comme « fomentateurs » de troubles au Somaliland.

Ces réseaux vont aussi procéder à des attentats ponctuels, éliminations physiques de personnes influentes tant en Somalie qu’au Somaliland et jusque dans Addis Abéba, capitale de l’Éthiopie, ces dernières années.

Toujours est-il qu’après le coup d’État perpétré contre Mohamed Siad Barré en 1991 qui s’enfuira pour couler de « vieux jours », sous protection et dans un autre pays d’Afrique, la Somalie va sombrer dans un désordre alimenté par une terrible guerre civile dans laquelle on ne sait plus – à cette époque – qui est pour qui ou contre qui. Ceci fera la fortune des marchands d’armes et d’évidence celle d’Ismaïl Omar Guelleh qui se frotte les mains alors que les armes crépitent de partout, l’économie de la Somalie s’essouffle ; une grave famine s’empare de l’ensemble du pays où les bandes armées règnent en maîtres, rackettent et rançonnent à tout va..

Suivant le tracé des frontières de l’ancienne colonie britannique et confronté au marasme qui règne à Mogadiscio, le Somaliland va faire sécession le 28 mai 1991 et en reprendra également le nom, avec comme capitale Hargeïsa. Dès lors divisée en deux parties, la Somalie perdra sa reconnaissance internationale en tant qu’État.

Bien que reconnu par aucun gouvernement, 15 ans plus tard la république du Somaliland reste stable politiquement, grâce à la prépondérance des règles claniques et de l’infrastructure économique laissée par les Britanniques, les Russes et les programmes d’assistance militaire et civile américains.

Face au chaos qui sévit en Somalies ex italiennes, le Somaliland a un territoire bien délimité, il dispose d’une administration, il bat sa propre monnaie, délivre visas et passeports et a un chef de l’État élu par les populations. Mieux, le pays n’a aucun endettement, les progrès sur le plan de l’économie, du social et du politique sont un défi lancé aux experts internationaux les plus optimistes.

Ceci ne va pas plaire à Gouled et à Ismaïl Omar Guelleh qui ont des visées territoriales sur une partie des Somaliland. IOG va donc activer ses réseaux de fomentateurs de troubles qui dès lors vont perpétrer des attentats afin de déstabiliser l’État dirigé par Mohamed Ibrahim Egal (en somali : Maxamed Ibraahim Cigaal), qui mourra le 3 mais 2002 dans des conditions pour le moins particulières.

A partir de Djibouti et à partir de 1991, ce sont de véritables opérations militaires qui seront organisées afin de semer des désordres au Somaliland, avec – notamment – des opérations de sabotage à l’explosif perpétrées sur des navires étrangers à quai et des installations du port de Berbera, seul débouché commercial du pays.

Le but est de créer une artificielle « situation de guerre » au Somaliland et d’interdire ainsi par la menace l’accostage des navires marchands dans le port de Berbera (Somaliland) et ce au profit du port de Djibouti….Déclaré en zone de guerre ce qui décuplera les tarifs des primes d’assurances, les navires marchands étrangers vont bouder le port de Berbera. Dès lors le Somaliland ne disposant plus d’un port opérationnel, il sera contraint de passer par celui de Djibouti comme le souhaitait IOG qui – au moins sur ce point – a atteint son but.

Selon certaines considérations diplomatiques, il y aurait les méchants, les méchants qui deviennent gentils … et les gentils qui n’ont jamais été méchants !

Les récents évènements de Somalie – avec la montée des miliciens islamistes – posent diverses interrogations sur le rôle joué par les uns et les autres des chefs de guerre, sur les revirements « diplomatiques » des grandes puissances impliquées dans le conflit somalien mais aussi sur la mascarade, bien plus guignolesque que « diplomatique », que nous joue Ismaïl Omar Guelleh.

Souvenons-nous que Mohamed Qanyaré, Moussa Sudi, Bashir Ragé, Mohamed Deere et quelques autres créèrent une forme d’alliance des chefs de guerre contre le terrorisme. Cette apparente alliance s’avéra être un syndicat du crime que combattait les USA en 1992 car considérant que ces hommes étaient ceux du chaos alors qu’aujourd’hui ce serait « des gentils chefs de guerre » – bon chic, bon genre – selon la diplomatie américaine.

Mais l’histoire a bonne mémoire. Les faits sont là pour démontrer que ces hommes symbolisent quinze années de chaos, de criminalité et de violence, de kidnappings et de rackets (encore récemment avec prises d’otages sur un navire affrété par l’ONU au sud de Mogadiscio) et sembleraient en rien avoir contribué à l’union des factions en faveur de l’instauration d’une paix durable en Somalie.

La vérité est que ces chefs de guerre somaliens étaient et sont encore hélas bien plus préoccupés à maintenir coûte que coûte leur prédominance sur leur propre région plutôt qu’accepter des concessions et une solution au problème somalien par le dialogue. Alors que – face à eux – la facilité avec laquelle les milices islamistes les ont chassés de leurs positions confirme bien qu’elles sont plus déterminées, mieux organisées bien que moins bien armés. Les islamistes ont joué sur du velours et réussi à se rendre populaires en promettant aux populations de les débarrasser de ces hommes peu crédibles. L’avenir nous dira ce qu’il en adviendra des promesses et engagements pris !!!

Quant à Ismaïl Omar Guelleh, ses trafics d’armes lourdes et de munitions à destination de la Somalie et de certaines régions d’Ethiopie sont plus que jamais rentables, financièrement parlant ce qui ne l’empêche pas – par ailleurs – de déclarer avec sa langue de bois habituelle et dans les interviews que « la paix en Somalie viendra de la négociation et par la concertation … ».

Il dispose d’une zone franche située dans le Port Autonome et International de Djibouti devenue incontrôlable et surveillée par les SDS pour protéger des « regards fouineurs » ce qu’il s’y fait. Zone de tous les droits les plus pervers et à partir de laquelle il peut faire ventiler tous les containers d’armes, de munitions et d’explosifs (parfois sous le sigle de matériels à vocation agricole) à destination de la Somalie et de l’Éthiopie par l’emploi de sociétés transitaires qui lui appartiennent indirectement ce qui lui permet de protéger on ne peut mieux ses trafics d’armes.

Djibouti. État de non droit qui impose son chantage !

Contrairement à Djibouti sous Ismaïl Omar, les pays de tradition démocratique ont au moins un acquis qui est que l’alternance est rentrée dans les mœurs, la démocratie, même s’il y a à redire, n’est pas un vain mot et cela constitue une garantie contre le mensonge d’État même lorsqu’il se drape de la raison d’État, comme dans l’affaire de l’assassinat du Juge Bernard Borrel.

« L’affaire » fait des vagues non seulement en Europe mais plus généralement dans le monde car politique et mensonge ont toujours cheminé ensemble, souvent au grand désespoir des citoyens.

Si un cas de « mensonge d’État » devait faire un jour jurisprudence, alors peu de dirigeants du monde conserveraient leurs postes. Si on en vient maintenant à l’environnement politique immédiat en Afrique et tout particulièrement à Djibouti, alors ce serait l’hécatombe puisque les mensonges d’État y ont d’autant plus de force que les structures de contre-pouvoirs sont inexistantes. Et que l’opinion publique – bien qu’informée discrètement – est totalement muselée, désarmée pour sanctionner ces mensonges d’État et les falsificateurs.

Comment inverser la tendance ? Travailler pour mettre en place des institutions qui répondent le plus au modèle démocratique classique, qui assurent non seulement la séparation des pouvoirs mais qui valorisent aussi le jeu des contre-pouvoirs qui obligent à la transparence.

C’est ce que des pays comme l’Espagne ont réussi à faire au point de pouvoir aujourd’hui bénéficier d’une opinion éclairée et consciente de ses responsabilités qui est en mesure de faire prévaloir à chaque fois l’expression de la volonté populaire et de sanctionner, par le vote, qui doit l’être.