20/10/06 (B365) Libération : Onze ans après le meurtre à Djibouti, la juge d’instruction va à l’encontre du parquet.

Affaire
Borrel : mandats d’arrêt contre deux présumés assassins


Par Brigitte VITAL-DURAND

QUOTIDIEN : Vendredi 20 octobre 2006 – 06:00

Deux mandats pour un anniversaire. Voilà comment la courageuse et obstinée
juge d’instruction Sophie Clément, vice-présidente au tribunal
de grande instance de Paris, a commémoré hier le onzième
anniversaire de la mort du juge Bernard Borrel, dont le corps a été
retrouvé en partie carbonisé au matin du 19 octobre 1995, à
Djibouti. La juge a signé deux mandats d’arrêt internationaux
visant les présumés assassins de celui qui fut son collègue.
Et ce, contre l’avis du parquet de Paris, qui souhaitait encore prolonger
l’enquête.

«Désaveu».

«Comme
si onze ans ne suffisaient pas pour apporter les preuves», a commenté
hier Olivier Morice, avocat de la famille du magistrat, aux côtés
de Laurent de Caunes. «C’est un signal très fort de la volonté
d’un juge indépendant de mettre en cause les assassins de Bernard Borrel,
s’est-il réjoui. Et c’est un désaveu cinglant pour le parquet
de Paris.» Les deux mandats d’arrêt visent des terroristes en
fuite, exécutant pour le compte de hautes autorités de Djibouti.

Le
premier, Hamouda Hassan Adouani,
Tunisien de 46 ans, avait été
condamné à mort à Djibouti, pour l’attentat de l’Historil,
en 1987, et gracié en 2000.

Le
second, Awalleh Guelleh Assoweh
, dit «Mireh», Djiboutien
de 54 ans, a été condamné à la prison à
vie à la suite de l’attentat du Café de Paris, en 1990, à
Djibouti. Il s’est évadé en 1997.

La juge
souhaite confronter ces deux hommes à un témoin qui affirme
les avoir entendus se vanter de l’élimination du «juge fouineur»,
le 19 octobre 1995. Elle a aussi l’intention de comparer l’ADN d’Adouani et
de Mireh, aux traces génétiques tout récemment retrouvées
sur le short de Bernard Borrel.

Le parquet
de Paris, en motivant son opposition à la délivrance des mandats,
voulait d’abord ­ dit-il ­ s’assurer que ces traces n’appartenaient
pas aux enquêteurs français qui avaient participé aux
opérations de mise en bière du corps. Pour la juge, ce n’est
que du temps perdu. Et elle le signifie au parquet dans son ordonnance de
refus d’instruction complémentaire. En effet, le corps du magistrat
avait été retrouvé dévêtu, en contrebas
d’un ravin, son short posé non loin sur les rochers.

Il n’avait
pas été habillé pour le transport à la morgue.
Conclusion de la juge Clément : il n’est pas besoin de tergiverser
encore avant de se lancer à la recherche des deux suspects, «enquêteurs
et militaires n’ayant pas eu de contact avec le short». A l’inverse
des assassins, veut prouver la juge. Car, rappelle-t-elle, les traces d’ADN
retrouvées sur le vêtement résultent, selon les experts
d’un «contact long et/ou d’un maintien avec force». Et ces experts
retiennent l’hypothèse d’un «transport du corps». CQFD
: les traces d’ADN seraient celles des assassins.

Deux liquides.
Il n’empêche.

Comme
vient de le rappeler le journal Jeune Afrique, «ni l’Elysée,
ni le Quai d’Orsay, ni la police, ne croient dans la thèse de l’assassinat
du juge sur ordre des autorités djiboutiennes». Ou ne veulent
croire.

La juge d’instruction leur a signifié à nouveau hier que l’assassinat
est une certitude. Deux phrases dans les mandats d’arrêt : «L’enquête
menée établissait qu’il s’agissait d’un assassinat. Les expertises
montraient en effet que Bernard Borrel avait été frappé
notamment sur le crâne et que son corps avait été aspergé
de deux liquides inflammables distincts avant d’être brûlé.»

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