15/11/06 (B369) RSF / Erythrée ERYTHRÉE. Trois journalistes seraient morts de façon inhumaine, en détention dans les prisons erythréennes et dans le silence le plus absolu.

Trois
journalistes seraient morts en détention dans le bagne d’Eiraeiro

Reporters
sans frontières exige du gouvernement érythréen qu’il
fournisse de manière urgente des preuves de vie de trois journalistes
détenus arbitrairement depuis septembre 2001, après que des
informations provenant de sources crédibles ont fait état de
leur décès, entre 2005 et 2006, au centre de détention
d’Eiraeiro, situé dans une zone désertique du nord-est du pays.

Le 9 octobre
2006, l’organisation a adressé un courrier à l’ambassade de
la République d’Erythrée en France pour demander à Asmara
de fournir des explications « dans un délai raisonnable » sur
ces « informations très inquiétantes ». « Sans réponse
de votre part dans un avenir proche, notre organisation rendra publiques ces
informations », prévenait ce courrier, qui est resté lettre
morte.

« Le
silence inhumain des autorités érythréennes est intolérable.
Des dizaines de prisonniers politiques ont disparu dans des bagnes gérés
par les forces armées. Parmi eux, figurent au moins treize journalistes
dont on est sans nouvelles depuis bientôt cinq années irrespirables.
Aujourd’hui, les informations révélées par le rapport
sur le pénitentier d’Eiraeiro sont extrêmement dérangeantes.
Aucun gouvernement ne doit plus traiter avec le président Issaias Afeworki
et son gouvernement sans exiger des explications sérieuses et documentées »,
a déclaré Reporters sans frontières.

En août
2006, un rapport détaillé sur le centre de détention
d’Eiraeiro, situé dans le désert de la sous-zone de Sheib, dans
la zone administrative de la mer Rouge septentrionale (Nord-Est), a été
publié sur Internet. Ce texte apporte des informations précises
et vérifiables sur la localisation exacte de cette prison, où
seraient détenus au moins 62 prisonniers politiques, dont des anciens
ministres, des hauts fonctionnaires, des militaires de haut rang, des opposants
et huit des treize journalistes détenus depuis la rafle de septembre
2001. D’abord publié en langue tigrinya, le 17 août, sur le site
éthiopien aigaforum.com, il a ensuite été traduit et
publié en anglais, le 31 août, par le site érythréen
d’opposition awate.com, animé depuis les Etats-Unis. Selon les informations
recueillies par Reporters sans frontières, les sources des informations
contenues dans ce rapport, connues de l’organisation mais gardées secrètes
pour des raisons de sécurité, sont crédibles et sérieuses.

Eiraeiro
serait un centre de détention construit en 2003 dans une zone désertique
du nord-est du pays, « l’une des zones les plus chaudes du pays »,
selon un journaliste érythréen en exil consulté par Reporters
sans frontières. L’accès à ce complexe pénitentiaire
ne pourrait se faire qu’à pied, à deux heures de marche de la
route la plus proche, reliant Serjeka et Gahtelay, au nord-ouest de la localité
de Filfil Selomuna. La prison comprendrait 62 cellules de 3 mètres
sur 3, dans lesquelles seraient incarcérés des prisonniers politiques
qui étaient auparavant détenus à Embatkala (Est).

Parmi
les prisonniers mentionnés dans le rapport figurent Seyoum Tsehaye
(ou Fsehaye), journaliste freelance (cellule n°10), Dawit Habtemichael,
rédacteur en chef adjoint et co-fondateur de Meqaleh (cellule n°12),
un journaliste identifié par le prénom « Yosief » ou
« Yusuf », sans doute Yusuf Mohamed Ali, rédacteur en chef
de Tsigenay (cellule n°9), Medhane Tewelde (sans doute Medhane Haile),
rédacteur en chef adjoint et cofondateur de Keste Debena (cellule n°8),
Temesghen Gebreyesus, journaliste et membre du conseil d’administration de
Keste Debena (cellule n°23), Said Abdulkader, rédacteur en chef
et fondateur d’Admas (cellule n°24), Emanuel Asrat, rédacteur en
chef de Zemen (cellule n°25).

Un ancien
prisonnier politique érythréen, aujourd’hui en exil et ayant
souhaité garder l’anonymat, a affirmé à Reporters sans
frontières que le dramaturge et journaliste de Setit Fessehaye Yohannes,
dit « Joshua », serait aujourd’hui détenu dans la cellule n°18
de la prison d’Eiraeiro. Il aurait auparavant été détenu
au pénitentier de Dongolo (Sud), dans une cellule souterraine de 1,5
mètre de côté sur 2,50 mètres de haut, éclairée
par une ampoule allumée 24 heures sur 24. L’un de ses amis, qui dit
avoir été détenu en même temps que lui et qui vit
aujourd’hui en exil, a affirmé à Reporters sans frontières
que Joshua avait été torturé et que, notamment, ses ongles
avaient été arrachés.

Tous ces
journalistes font partie des treize professionnels raflés dans la semaine
du 18 au 25 septembre 2001 par la police érythréenne, après
que le gouvernement avait décidé de « suspendre » l’ensemble
des médias privés du pays et ordonné l’arrestation de
tous ceux qu’il considérait comme des opposants.

Le rapport
évoque au moins neuf décès en détention dus à
« diverses maladies, la pression psychologique ou le suicide ». Parmi
ces neuf prisonniers figurent Yusuf Mohamed Ali, qui serait décédé
le 13 juin 2006, Medhane Haile, qui serait décédé en
février 2006 et Said Abdulkader, qui serait décédé
en mars 2005. Tous les Erythréens consultés par Reporters sans
frontières sur la fiabilité de ces informations ont confirmé
que, bien qu’invérifiables en l’état, elles étaient au
minimum « tout à fait plausibles ». Un journaliste érythréen
en exil a ainsi raconté qu’en 2000, alors qu’il était détenu
dans un centre de détention comparable à celui d’Eiraeiro, « de
nombreux prisonniers détenus en même temps que moi sont morts
suite à des crises de paludisme ou d’autres maladies. Leurs corps ont
été jetés dans des fosses communes, sans indication de
leur identité. Quelquefois, les autorités ont fait croire aux
familles des défunts que leurs proches s’étaient évadés
ou qu’ils avaient été tués par les Ethiopiens ».

Les conditions
de détention détaillées par le rapport sont très
pénibles. La plupart des prisonniers auraient leurs mains enchaînées.
Ils dormiraient à même le sol et ne disposeraient que de deux
draps pour leur literie. Leur barbe et leurs cheveux seraient rasés
une fois par mois. Depuis février 2006, ils seraient autorisés
à sortir de leur cellule une heure par jour, mais jamais en contact
avec d’autres prisonniers. Toute conversation avec les gardes du camp serait
prohibée, sous peine de punition immédiate.

Depuis
2001, Reporters sans frontières et l’ensemble des organisations de
défense des droits de l’homme et de liberté de la presse demandent
la libération des prisonniers politiques érythréens,
et notamment les treize journalistes arrêtés à la suite
de la rafle de septembre 2001. Le gouvernement érythréen rétorque
qu’ils sont détenus dans le cadre d’une enquête parlementaire
sur de prétendues activités d' »espionnage » et de « trahison ».


En 2001, alors que la deuxième guerre avec l’Ethiopie arrivait à
son terme, la presse indépendante avait relayé les appels à
la démocratisation du pays de quinze hauts responsables du parti au
pouvoir, connus sous le nom de « groupe des 15 » ou « G 15 ».
En guise de réponse, le 18 septembre 2001, le gouvernement érythréen
avait décidé de rafler le « G 15 » et de « suspendre »
tous les médias privés du pays. En avril 2002, après
avoir entamé une grève de la faim pour réclamer un procès
juste, dix journalistes détenus avaient été transférés
dans des lieux de détention inconnus.


Leonard
VINCENT
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