26/12/06 (B375) Libération : des milliers d’hommes ont quitté Mogadiscio pour rejoindre le front. (Info lectrice)

Par
Christophe AYAD

« Fini
les faux-semblants. En envoyant hier ses chasseurs Mig bombarder la ville
de Beledweyne, dans le centre-ouest de la Somalie, l’Ethiopie voisine a officiellement
reconnu son implication dans la guerre qui fait rage depuis cinq jours en
Somalie. Jusque-là, Addis-Abeba prétendait se limiter à
l’envoi de quelques centaines d’instructeurs, afin d’aider le gouvernement
fédéral de transition (GFT), le seul internationalement reconnu,
face à l’Union des tribunaux islamiques, qui contrôle la quasi-totalité
du centre et du sud de la Somalie, dont la capitale, Mogadiscio.

Pertes
lourdes.

En fait,
quelque 10 000 soldats éthiopiens sont déjà présents
en Somalie et des renforts, équipés de tanks, d’artillerie lourde
et d’hélicoptères, sont en train de franchir la frontière
en plusieurs points. Désormais, les combats se déroulent sur
trois fronts : autour de Baïdoa, dernier bastion du GFT, dans la région
frontalière de Beledweyne et près de Galkayo, dans la région
autonome du Puntland. Aucun bilan crédible n’est disponible, mais les
pertes semblent lourdes. Les communications téléphoniques sont
rompues entre Baïdoa et Mogadiscio.

Impossible
aussi d’accéder aux zones de combat.

«On
nous accuse régulièrement de terrorisme. Si jamais il vous arrivait
quoi que ce soit, nous en serions tenus pour responsables», nous expliquait,
samedi, Cheikh Yusuf Indhade, le «chef d’état-major» des
tribunaux islamiques. Pour l’instant, seule la chaîne qatarie Al-Jezira
a pu se rendre sur le front.

A Mogadiscio,
l’atmosphère s’alourdit d’heure en heure. Samedi, Indhade appelait
«tous les musulmans du monde à venir rejoindre le jihad contre
les infidèles». Plusieurs dizaines, voire des centaines de jihadistes
étrangers, présents en Somalie, auraient déjà
rejoint le front et une rumeur, invérifiable, fait état de la
présence de deux convertis, un Français et un Américain,
tous deux blessés au combat.

Nationalisme
farouche. Dans les rues, des check points, tenus par des miliciens islamistes
de plus en plus jeunes, ont fait leur apparition durant le week-end, d’abord
de nuit puis durant la journée. A l’annonce des bombardements aériens
d’hier matin sur Beledweyne, inédits depuis la guerre de l’Ogaden en
1977, des lycéens et des femmes de la capitale somalienne ont formé
des cortèges spontanés, invoquant Dieu, criant des slogans antiéthiopiens
et jetant des pierres sur les hommes pas encore partis au front. Ces trois
derniers jours, les rues de Mogadiscio se sont vidées : des milliers
d’hommes, animés par un nationalisme farouche mêlé de
ferveur religieuse, sont partis rejoindre les camps de recrutement et d’entraînement
ouverts par les islamistes.

L’heure
n’est plus aux précautions oratoires : «Le seul moyen de nous
réconcilier avec Meles Zenawi [le Premier ministre éthiopien,
ndlr], c’est qu’il se convertisse à l’islam ou que nous nous convertissions
au christianisme», déclarait Indhade, samedi, devant un auditoire
hilare. «En Somalie, le nationalisme est toujours allé de pair
avec la religion», explique, dans un anglais parfait, Omar Idris, un
membre du Comité exécutif des tribunaux islamiques rentré
de Londres il y a quelques mois seulement.

La guerre
désormais ouverte entre la Somalie et l’Ethiopie s’annonce meurtrière
et sans véritable gagnant : l’Ethiopie n’a pas les moyens d’envahir
l’ensemble de la Somalie ; les tribunaux islamiques n’ont pas la puissance
de feu nécessaire face à une armée conventionnelle. Le
premier perdant, lui, est clair : c’est le gouvernement fédéral
de transition, totalement discrédité aux yeux des Somaliens
et sur qui même ses alliés éthiopiens n’entretiennent
plus l’illusion.


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