29/12/06 (B375) La Croix – Y a-t-il un risque d’extension de la crise entre la Somalie et l’Ethiopie ? Question à Roland Marchal.

Le
gouvernement de transition somalien, appuyé par l’armée éthiopienne,
a pris le dessus sur les milices islamiques après une semaine de combats
et a promis l’amnistie à ceux qui déposeraient les armes. Roland
Marchal, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales,
redoute un embrasement de toute la Corne de l’Afrique avec une radicalisation
des islamistes

"Il
existe en effet un risque sérieux de propagation de cette crise dans
toute la région. D’abord, il faut rappeler que le Somaliland
et le Puntland, les deux territoires autonomes qui vivaient en paix dans le
nord de la Somalie, risquent d’être déstabilisés
gravement dans cette affaire. Plus largement, depuis cinq jours, nous sommes
vraiment dans une situation d’escalade avec, en premier lieu, une implication
de l’Érythrée.

Car il
faut bien comprendre que le bombardement de l’aéroport de Mogadiscio,
lundi 25 décembre, par l’armée éthiopienne est
destiné à empêcher les avions érythréens,
mais aussi libyens, d’atterrir pour venir en aide aux Tribunaux islamiques.
Or, l’Érythrée fait flèche de tout bois pour régler
le différend frontalier qui l’oppose à l’Éthiopie
depuis des années.

Autre
élément qui compte, l’armée éthiopienne
est composée de soldats d’origine ethnique somalienne. Ceux-ci
ont envie d’en découdre avec les Tribunaux islamiques et soutiennent
le gouvernement fédéral transitoire (GFT), formé en 2004,
qui a été renversé par ces Tribunaux islamiques en juin
dernier.

"La
population somalienne appuie l’arrivée des Tribunaux"

Aujourd’hui,
ce gouvernement transitoire ne dispose pas tout seul des moyens logistiques
pour faire face à la conquête du pouvoir des Tribunaux. Or, avec
l’intervention de l’Éthiopie, soutenue par les États-Unis,
qui voit dans ces Tribunaux islamiques une menace de prolifération
des réseaux Al-Qaida, le gouvernement transitoire ne possède
plus sa légitimité passée aux yeux de la population somalienne,
qui désormais appuie l’arrivée des Tribunaux. C’est
bien là que réside le problème.

Du point
de vue militaire, les Éthiopiens vont gagner cette bataille, mais cette
crise risque de se transformer en une véritable guerre car l’intervention
militaire d’Addis-Abeba favorise une crispation des islamistes les plus
modérés, qui jusque-là pouvaient encore accepter de discuter
avec le gouvernement transitoire.

Il ne
faut pas négliger non plus l’influence et l’importance
de la diaspora somalienne, très remontée contre l’intervention
éthiopienne, et qui va trouver des financements pour soutenir les Tribunaux
islamiques.
Risque d’"une sorte d’Irak ou d’Afghanistan à l’africaine"

On assiste
donc à une radicalisation des Somaliens dans leur ensemble. Ceux qui
ne voulaient pas accepter d’alliance opportuniste vont finalement le
faire. C’est pourquoi il est indispensable que la communauté
internationale s’implique de toute urgence dans ce qui se passe.

Car, pour
l’instant, la période des fêtes de Noël, avec la vacance
de la diplomatie occidentale, a été favorable à l’escalade
militaire. La reprise de négociations entre les deux camps qui aurait
peut-être pu avoir lieu ces derniers jours semble de moins en moins
possible.

J’ai
très peur que la situation d’aujourd’hui ne se transforme
au fil des mois en une sorte d’Irak ou d’Afghanistan à
l’africaine, avec le résultat que l’on redoutait le plus,
c’est-à-dire une multiplication des réseaux d’Al-Qaida
dans tout le pays et même dans la région, jusqu’au Kenya."

Recueilli
par Catherine REBUFFEL