01/01/07 (B376) Le Temps (Suisse) / ECLAIRAGES : Apprendre à se défendre collectivement.

Auteur:
Beat Kappeler

La chute
de Mogadiscio inaugure bien la nouvelle année. Elle donne une des deux
réponses possibles à la question lancinante de savoir comment
un peuple peut se délester d’oppresseurs cyniques, en petit nombre.
Cette fois, c’était la force, et même la force venant de l’extérieur,
d’Ethiopie en l’occurrence. En Irak, l’oppresseur avait déchanté
aussi rapidement devant la force extérieure.

L’autre
réponse, celle du peuple lui-même, a été administrée
en Europe de l’Est il y a quinze ans, et ces manifestations pacifiques du
grand nombre contre le petit nombre des profiteurs de la dictature avaient
réussi tout comme la force brute. Le cri «nous sommes le peuple»
avait usé les nerfs des dirigeants.

C’est
pourquoi je pense que l’éducation de bons démocrates ne devrait
pas se limiter à l’instruction civique traditionnelle. On devrait apprendre
aux gens comment on peut se défendre collectivement contre l’oppression,
celle des putschistes éventuels, mais aussi contre celle des preneurs
d’otages, des bandits, des pirates d’avion.

L’idée
sommeille dans ma tête depuis ma lointaine école de recrues.
Le premier lieutenant, chef de la compagnie, la faisait remonter six, sept
fois dans le cantonnement pour des inanités, une brosse à dents
mal placée, des souliers sortant sous le matelas. La huitième
fois, à 23 heures du soir, toute la compagnie lui riait au visage,
spontanément, sans l’avoir prémédité. L’officier
instructeur, ayant été témoin de cette petite révolte
par le rire, renvoya le commandant le soir même – pour perte d’autorité.

De telles
réactions collectives pourraient dépasser l’élan spontané
si on les inculquait aux démocrates de tous les pays. Si toutes les
victimes présumées d’une prise d’otages s’asseyaient tout simplement,
s’ils fredonnaient tous et inlassablement sans ouvrir la bouche, s’ils s’en
allaient au même moment dans toutes les directions, un bandit ou un
preneur d’otages abandonnerait – peut-être.

Je suis
bien conscient que des types déterminés à utiliser la
force en feraient la preuve contre une, deux des victimes récalcitrantes,
et il faudrait des héros pour résister ensuite encore. Mais
certains preneurs d’otages ont tiré bien avant et la résistance
passive n’augmenterait pas le danger pour les particuliers. Et dans l’immense
majorité des cas, les menaces tomberaient sans coup férir.

La réponse
du premier type, par la force, reste souvent une alternative valable. Cette
année, à Zurich, on a recensé plusieurs cas de voleurs
arrêtés par des passants, quelquefois après des courses-poursuites
prolongées. Si l’instruction civique montrait comment asséner
des coups à un ravisseur ou à un bandit agissant seul, on résoudrait
bien des cas et, surtout, on découragerait dix autres cas.

Il est
évident que des cliques qui jugulent un pays entier présentent
un cas différent des individus ou des petits groupes de bandits ou
des ravisseurs agissant sur un plus grand nombre, mais limité quand
même. Mais la chute de Mogadiscio montre qu’un coup de pouce de l’extérieur
peut servir la bonne cause quelquefois. La nouvelle doctrine d’une intervention
extérieure bien ciblée, en rupture avec la souveraineté
nationale, ne devrait pas être noircie comme le font certains.

Cependant,
en Somalie comme en Irak, la société civile n’est pas reconstituée
pour autant. Là encore, des apprentissages restent à faire.

Je suis
bien conscient que ces propos sont encore peu élaborés, mais
dans un monde qui trop souvent succombe à la violence d’un petit nombre,
comme les Somaliens, comme les peuples de l’Est, comme les victimes de prises
d’otages, il faut apprendre à réagir sur-le-champ. Avec des
moyens policiers, avec des contrôles et des règlements de plus
en plus serrés, on risque d’étouffer la société
libre de manière préventive, un résultat plutôt
paradoxal!

C’est
là un des défis de la nouvelle année, de la nouvelle
ère dans laquelle nous sommes entrés.

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