11/01/07 (B377) Le Temps (Suisse) INTERNATIONAL : L’aviation américaine opère un retour musclé dans le chaos somalien (Info lectrice)

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Auteur:
Alain Lallemand

SOMALIE.
Des «cibles d’Al-Qaida» ont été bombardées
dans le sud du pays, où l’on dénombre des victimes civiles.

Au moins
une forteresse volante AC-130, basée à Camp Lemonier (Djibouti)
et obéissant au commandement américain des opérations
spéciales (Floride), a effectué lundi, dans le sud de la Somalie,
une voire deux frappes très dures dans des zones civiles, dont les
cibles affichées seraient trois individus liés à Al-Qaida:
le Kényan-Comoréen Fazul Abdullah Mohammed, 32-34 ans, inculpé
pour son implication dans les attentats de 1998 contre les ambassades des
Etats-Unis à Nairobi et à Dar es-Salaam; le Kényan Saleh
Ali Saleh Nabhan, 27 ans, recherché pour les attaques de novembre 2002
à Mombasa contre un hôtel et un Boeing israélien; et un
certain Abu Talha «al-Sudani».

«Nombreux
morts»

Bien que
l’objectif soit limité et que l’opération ait reçu la
bénédiction du gouvernement pro-éthiopien d’Ali Mohamed
Gedi, il ne s’agit pas ici de «frappes chirurgicales»: les témoignages
font état de «nombreux morts», confirmés par le
ministre somalien de l’Information. Et pour cause: l’AC-130, dit «Spectre»,
est un gros-porteur doté d’armes lourdes (canons de 105 et de 40, mitrailleuses,
etc.) qui tirent dans un axe perpendiculaire à l’avion et provoquent
des dégâts importants. Un officiel américain confirmait
lundi au Los Angeles Times: «Cet engin produit une certaine violence,
ce n’est pas l’opération la plus chirurgicale qui soit.»

Le porte-parole
du gouvernement, Abdirhaman Dinari, a déclaré mardi: «La
cible était un petit village où les terroristes se cachaient.
L’avion a frappé la cible exacte. Beaucoup de gens ont été
tués. Beaucoup de cadavres étaient étendus dans la zone,
mais nous ne savons pas qui. Mais le raid a été un succès.»

Les témoignages
divergent quant aux lieux exacts des opérations. Les témoins
de première main évoquent deux sites distincts éloignés
de 200 km: l’île de Badmadow, au large de Ras Kamboni, et l’agglomération
de Afmadow, près de Kismayo. Des enfants, des civils innocents sont
morts, et le résultat réel de l’opération est mis en
doute.

L’ancien
conseiller pour l’Afrique du président Bill Clinton, John Prendergast,
doute que le renseignement américain ait pu bénéficier
de la coopération des tribus pour localiser les fuyards et, qui plus
est, ajoute: «Je serais surpris que ces types ne se soient pas enfuis
depuis bien longtemps. Ils auraient été stupides de rester au
même endroit aussi longtemps.»

Hier,
alors que le Pentagone confirmait le raid par un avion AC-130, des hélicoptères
ont lancé de nouvelles attaques dans le sud sans que l’on sache s’il
s’agissait d’appareils américains ou éthiopiens.

A la Commission
européenne, on craint de voir ici le signe annonciateur d’un conflit
de longue durée, au moment où le commissaire au Développement,
Louis Michel, plaidait, dans les colonnes de The Independent, pour un «processus
de dialogue et de réconciliation nationale». Ainsi, pour la première
fois depuis mars 1994, l’armée américaine est ouvertement en
offensive sur le sol somalien, au risque d’envenimer le conflit et/ou d’y
être aspiré à son tour.

Guerre
de l’ombre

Pour rappel,
l’armée américaine avait entamé en décembre 1992
l’opération «Restore Hope», prolongée dès
mai 1993 par l’opération onusienne Onusom II. Les deux opérations
ont été des fiascos: 152 Casques bleus ont été
tués, les Américains ont perdu 30 hommes dans la traque infructueuse
du chef de guerre Mohamed Farah Aïdid. La déroute américaine
atteignait son comble le 3 octobre 1993 avec la mort de 18 Marines dont des
corps seront traînés dans les rues de Mogadiscio.

Depuis,
les Américains évitent un retour frontal en Somalie: ils ont
ouvert à Djibouti en 2002 leur unique base militaire africaine, et
mènent depuis cette base des incursions en Ethiopie, au Kenya, à
Djibouti. Ils frappent le Yémen par drone (ce fut le cas en 2002 lorsqu’ils
tuèrent «à distance» cinq opérationnels Al-Qaida),
ils nient contre toute évidence leurs incursions par forces spéciales
héliportées dans le Somaliland, et peuvent même se déployer
en civil en opération commando pour procéder à des enlèvements
ciblés au cœur de Mogadiscio. Ils ont ainsi enlevé un Yéménite
dans un hôpital en 2003.

Mais
cette guerre de l’ombre vient de connaître son terme.

L’invasion
éthiopienne déclenchée ce 24 décembre a ramené
en Somalie des «conseillers» américains dont la présence
aux côtés des Ethiopiens a été remarquée.
En mer, alors que plusieurs bâtiments américains surveillaient
déjà les côtes somaliennes, le porte-avions USS Dwight
Eisenhower, jusqu’ici affecté au soutien aérien des troupes
de l’OTAN en Afghanistan, a quitté le golfe Persique pour atteindre
ce mardi l’océan Indien. Ce bâtiment transporte quelque 60 chasseurs,
dont plusieurs ont commencé des survols de la Somalie pour récolter
du renseignement.