22/04/07 (B392-A) LIBERATION / Affaire Borrel : Le Quai d’Orsay et la chancellerie ont été perquisitionnés par deux juges d’instruction. (Info lectrice)

L’affaire
Borrel remonte jusque dans les ministères

Après le Quai d’Orsay, la chancellerie. Les deux juges d’instructions
chargées de découvrir si des pressions politiques ont effectivement
été exercées dans le dossier Borrel ont perquisitionné,
jeudi et vendredi, les bureaux des directeurs de cabinet des deux ministères.
Fabienne Pous et Michèle Ganascia, assistées d’enquêteurs,
et notamment d’experts en informatique, ont embarqué divers documents
et fichiers. L’exploitation de ces pièces permettra peut-être
de savoir si les autorités françaises ont essayé d’étouffer
l’affaire qui envenime les relations entre Paris et Djibouti depuis des années.

Copie.

L’assassinat du juge Borrel, longtemps considéré comme un suicide,
donne lieu à trois instructions séparées : l’une sur
la recherche des coupables (sous la houlette de la juge parisienne Sophie
Clément) ; une autre pour subornation de témoin instruite à
Versailles et qui vise les procureur de la République et chef des services
secrets de Djibouti ; et celle pour «pression sur la justice»
qui évolue très vite ces derniers temps.

C’est l’annonce par le ministère des Affaires étrangères,
en janvier 2005, qu’il allait répondre favorablement à une demande
des autorités djiboutiennes et leur transmettre une copie du dossier
d’instruction, qui avait déclenché cette troisième procédure.
Elisabeth Borrel, la veuve du magistrat, avait immédiatement déposé
plainte à l’encontre de l’auteur de cette annonce officielle : le porte-parole
du Quai d’Orsay, Hervé Ladsous, qui a été nommé
ambassadeur de France à Pékin dans l’intervalle.

«Boulette».

La juge Sophie Clément avait refusé de transmettre son dossier
et rendu un avis motivé où elle expliquait notamment que la
demande de la justice djiboutienne avait «pour unique but de prendre
connaissance […] de pièces mettant en cause le procureur de la République
de Djibouti». Au cours de l’enquête, plusieurs témoins
ont mis en cause le président djiboutien et des membres de son entourage
; et, désormais, le procureur et le chef des services secrets sont
sous le coup de mandats d’arrêts internationaux. A l’époque,
Olivier Morice et Laurent de Caunes, les avocats d’Elisabeth Borrel, mais
aussi le syndicat de la magistrature, s’étaient indignés qu’on
puisse envisager de livrer ainsi les pièces du dossier (éléments
à charge, témoignages…) à des personnes susceptibles
d’être impliquées dans l’affaire.

La plainte a abouti, en mars 2006, à l’ouverture d’une instruction
contre Hervé Ladsous. Entendu le 21 mars dernier par les juges Pous
et Ganascia, ce diplomate a expliqué qu’il s’était contenté
de mettre en forme un communiqué préparé par le cabinet
du ministre de la Justice, Dominique Perben, dirigé à l’époque
par l’actuel procureur général de Paris, Laurent Le Mesle. Le
Canard enchaîné rapportait récemment l’explication qu’aurait
fournie Ladsous : «Il y a visiblement quelqu’un qui a fait une grosse
boulette à la chancellerie, […] quelqu’un qui aurait dû connaître
la bonne procédure. Ce n’était pas notre métier. C’était
celui du ministère de la Justice.»

Trace.

D’où les perquisitions de la semaine.

Les juges aimeraient sans doute trouver trace des échanges Djibouti-chancellerie-Affaires
étrangères, pour savoir dans quelles conditions est née
cette décision de transmettre le dossier d’instruction. Mais si elles
devaient entendre Laurent Le Mesle, les deux juges se placeraient dans une
situation délicate : être obligées de réclamer
la délocalisation de l’affaire, donc leur dessaisissement. Car en tant
que procureur général de Paris, Laurent Le Mesle se trouve être
le pilote des procédures parisiennes.