26/04/07 (B392-B) LE FIGARO : Le chaos somalien se propage en Éthiopie

P.
S. -E..

Alors que son intervention en Somalie était censée l’en prémunir,
Addis-Abeba vient d’être victime sur son territoire d’une attaque.

SI LE SABLE n’a pas de mémoire, le désert en a une.


Dans les confins de l’Est africain, celle-ci – à la manière
d’un fantôme d’Hugo Pratt – se réveille. Et menace de balayer
l’apparente stabilité qui a longtemps prévalu dans la Corne
de l’Afrique. Le spectaculaire assaut réalisé mardi à
l’aube contre un site chinois d’exploration pétrolière installé
dans l’Est éthiopien, à 1 200 km d’Addis-Abeba, est un signe.
Un de plus.

Revendiquée par le Front national de libération de l’Ogaden
(ONLF), l’attaque a entraîné la mort de soixante-cinq Éthiopiens
et de neuf Chinois. Six autres ressortissants chinois, au moins, ont été
enlevés. Le Front national de libération de l’Ogaden a été
officiellement créé en 1984 au nom de la défense des
droits des habitants de l’Ogaden « opprimés » par Addis-Abeba.
En réalité, les racines du conflit sont bien plus profondes
: dès la fin du XIXe, les Ogaden – proches des Somalis – se sont violemment
opposés aux velléités expansionnistes de l’Abyssinie
d’alors.

« Groupe terroriste »

Incessants, les affrontements se sont conclus en 1977 par la victoire de l’Éthiopie
sur une Somalie qui, jusque-là, contrôlait l’Ogaden. De multiples
heurts – dans cette région aux contours extrêmement mouvants
– ont marqué les années suivantes. Sans jamais ébranler
Addis-Abeba qui, pour désigner les activistes de l’Ogaden, a toujours
usé du vocable « groupe terroriste ». Une formulation reprise
hier par le premier ministre d’Addis-Abeba, Mélès Zénawi,
lui-même ancien rebelle : « Il y a des groupes et des forces,
a-t-il lancé, qui souhaitent nuire à notre développement
économique et déstabiliser l’Éthiopie en utilisant tous
les moyens à leur disposition.

Le sous-entendu est limpide : outre les Ogaden, le premier ministre éthiopien
vise le voisin érythréen, un pays qui, depuis la guerre frontalière
de 1998-2000, entretient des relations tendues avec Addis-Abeba. Des relations
d’autant plus tendues qu’elles ont encore été récemment
exacerbées par l’engagement éthiopien en Somalie. Répondant
à l’appel de Washington et donc volontaire pour porter à bout
de bras le faible gouvernement somalien, constitué en exil et longtemps
soutenu par la communauté internationale, Addis-Abeba se trouve aujourd’hui
engagé en première ligne dans la véritable guerre civile
qui déchire la capitale, Mogadiscio.

Entrée dans sa deuxième semaine, cette guerre est un affrontement
à grande échelle entre, d’un côté, soldats éthiopiens
et somaliens et, de l’autre, les rebelles des Tribunaux islamiques. Depuis
le début de février, un million d’habitants ont fui Mogadiscio
en « un flot continu », selon les organisations humanitaires sur
place. En quelques jours, 323 personnes ont été tuées
dans la capitale somalienne.

L’Érythrée, accusée

Pour justifier aux yeux de sa propre opinion son engagement somalien, Addis-Abeba
n’a pas hésité à multiplier les accusations contre ses
voisins. Selon l’Éthiopie, de nombreux groupes militants de la région
– dont plusieurs soutenus par l’adversaire érythréen – participeraient
aux combats de Mogadiscio aux côtés des Tribunaux islamiques.
Dont, bien sûr, le Front national de libération de l’Ogaden.

Accusés, les Érythréens se sont défendus.
En retournant le fer contre leur voisin supposé chercher, selon Asmara,
« un prétexte pour prendre des mesures belliqueuses contre l’Érythrée
».

Le conflit en est là.

En tout cas, pour l’instant. Mais ses prolongements prévisibles sont
inquiétants. Sans faire de parallèle, il est possible de constater
que s’amorce dans la Corne un processus similaire à celui en cours
au Soudan, pays-continent de l’Est africain. Confronté à ses
irrédentismes sur fond d’implications de ses voisins et de sourde lutte
d’influence entre « Grands » (Chine, États-Unis, NDLR),
Khartoum est aujourd’hui pris au piège. Tout comme pourrait l’être
bientôt, en reflet inversé, Addis-Abeba.