26/04/07 (B392-B) RFI : L’Éthiopie empêtrée dans ses filets. (Un excellent article à lire – Info lectrice)

L’attaque
surprise du Front national de libération de l’Ogaden contre un site
d’exploitation pétrolière chinois ravive les tensions entre
les pays de la Corne de l’Afrique. L’Éthiopie accuse l’Érythrée
d’avoir aidé les indépendantistes de l’Ogaden. Accusation réfutée
par Asmara. Pendant ce temps, l’armée éthiopienne poursuit son
offensive contre les miliciens à Mogadiscio.

Addis Abeba accuse l’Érythrée d’avoir aidé
les «forces terroristes» du Front national de libération
de l’Ogaden (FNLO) dans l’attaque du site pétrolier chinois.
Asmara a aussitôt répliqué : «Les Éthiopiens
veulent créer un prétexte pour prendre des mesures belliqueuses
contre l’Érythrée», en pointant du doigt «l’échec
de la politique raciale fondée sur les divisions ethniques» de
Addis Abeba.

L’échange d’accusations entre les deux capitales
est à prendre au sérieux dans le contexte explosif de la Corne
de l’Afrique.

L’attaque contre le site de la compagnie chinoise, situé à Obala,
dans le nord-est éthiopien, a été menée vers 6
heures du matin, mardi 24 avril, par plus de 200 hommes armés. 68 Éthiopiens
et 9 employés chinois ont été tués. 7 ouvriers
chinois auraient été pris en otage.

Le Zhongyuan Petrolum Exploitation Bureau, installé en Ogaden depuis
2006, travaille dans d’autres régions éthiopiennes ainsi qu’au
Soudan.

Qui étaient les attaquants du site d’exploitation pétrolière
?

Créé en 1984, le FNLO, mouvement pour l’indépendance
de l’Ogaden, est à l’origine de différents incidents
dans la région, (attaques contre l’armée éthiopienne,
prises d’otages) avant d’attirer l’attention en août 2006.

L’armée éthiopienne vient de se déployer à
la frontière avec la Somalie. Il s’agit, dans un premier temps,
de dissuader les miliciens du Conseil des tribunaux islamiques, venus de Mogadiscio,
de s’emparer de Baidoa, la ville siège du gouvernement de transition
somalien. Addis Abeba annonce avoir tué lors d’un affrontement
13 rebelles du FNLO, «des terroristes soutenus par les Tribunaux islamiques
somaliens» et justifie aux yeux du monde le renforcement de sa position
dans la région.

Quelques semaines auparavant, le FNLO a rencontré des représentants
de plusieurs fronts d’opposition éthiopiens dont les plus actifs,
le Front de libération oromo (FLO) et la Coalition pour l’unité
et la démocratie (CUD), afin d’envisager une stratégie
commune.

Depuis les élections parlementaires de mai 2005 qui ont vu
la victoire très contestée du Front démocratique révolutionnaire
du peuple éthiopien (FDRPE), coalition gouvernementale menée
par le Premier ministre Ato Meles Zenawi, une vague de répression s’est
abattue sur le pays. Les manifestations et appels à la désobéissance
civile ont donné lieu à des affrontements, causant la mort de
plusieurs centaines de personnes dans la capitale mais aussi dans les provinces.

Les organisations des droits de l’homme parlent de 12 000 arrestations.
À cette occasion, les mouvements d’opposition comme le CUD et
les groupes nationalistes dont le FNLO ont été particulièrement
ciblés.

Le FNLO est l’un des premiers groupes à protester quand
les troupes éthiopiennes pénètrent en Somalie, en novembre
2006, en dénonçant «l’entreprise colonialiste»
d’Addis Abeba. Il a revendiqué plusieurs attaques contre des
soldats éthiopiens depuis cette date.

L’aventure somalienne

Lorsque les Éthiopiens arrivent à Mogadiscio le 26
décembre dernier, sans vraiment rencontrer de résistance de
la part des miliciens «islamiques», le Premier ministre Meles
Zenawi est persuadé que l’aventure somalienne ne durera pas et
que la communauté internationale, plus précisément les
États-Unis qui appuient financièrement et techniquement l’opération,
lui sera reconnaissante de son intervention.

Quatre mois plus tard, ce qui devait être une promenade de
santé est devenu un cauchemar.

La présence des soldats éthiopiens
à Mogadiscio a déchaîné la hargne des miliciens,
qu’ils soient des Tribunaux islamiques comme les présente le
gouvernement transitoire somalien, ou qu’ils soient plus prosaïquement
attachés à différents clans ou intérêts
d’affaires dans la capitale.

Les violences qui ont débuté fin mars, sous les yeux des 1 500
casques verts ougandais tout juste arrivés, n’ont connu qu’une
courte période d’accalmie. Selon la fondation Elman, une organisation
somalienne qui œuvre pour la paix et la réconciliation, 329 personnes,
dont une majorité de non-combattants, ont été tuées
dans la dernière semaine. Près d’un tiers des habitants
ont fui la capitale et campent dans les environs, hors de portée de
l’aide humanitaire, elle-même bloquée par les combats.

Pour le Premier ministre éthiopien, l’offensive menée
par son armée à Mogadiscio est un «succès».
Il suffira «d’une ou deux semaines de plus pour nettoyer complètement
Mogadiscio des Shebab» (milices islamistes).

Même s’il n’existe aucun lien officiel entre les
attaquants du site de la société chinoise et les miliciens somaliens
de quelque bord qu’ils soient, l’Ogaden étant une région
habitée par des Somali, une collaboration inter-frontalière
paraît plus que probable.

En 1977, la Somalie du dictateur Siad Barré s’était lancée,
avec l’aide de l’Union soviétique, dans la reconquête
de ce territoire, considéré comme une partie intégrante
de la «Grande Somalie». Après un revirement d’alliance
spectaculaire (l’URSS accorde son soutien à Addis Abeba), les
Éthiopiens mettent fin à la guerre en mars 1978.

De façon récurrente, des mouvements somaliens revendiquent la
possession de ce territoire. Les fondamentalistes somaliens, quant à
eux, appuient la demande d’indépendance de l’Ogaden.

Le faux-frère

Depuis la fin des années 1990, Asmara est la capitale des
groupes d’opposants éthiopiens et soudanais. Le régime
mis en place par le président Issaias Afeworki a besoin de ce combustible
pour se donner une aura de médiateur régional et conserver une
certaine légitimité.

En effet, au nom de l’unité nationale (contre l’ennemi
éthiopien), Issaias Afeworki se refuse à appliquer la Constitution
nationale votée en 1997 qui prévoit l’organisation d’élections
multipartites.

Depuis 7 ans, les deux armées, éthiopienne et érythréenne,
campent l’une en face de l’autre, à la frontière,
prêtes à l’offensive. Dans les capitales, c’est la
course aux soutiens internationaux pour faire valoir leurs droits et revendications.
Sans succès jusqu’à présent.

Les relations de l’Érythrée avec
les États-Unis, qui possèdent la plus grande représentation
diplomatique à Asmara, se sont nettement dégradées ces
derniers temps. Washington accuse le gouvernement érythréen
de fournir armes et entraînement aux miliciens des Tribunaux islamiques.

Parallèlement, l’Éthiopie a bénéficié
de livraisons d’armes américaines (19 millions de dollars en
2005 et 2006). La CIA vient de décider d’ouvrir un bureau régional
de lutte contre le terrorisme à Addis Abeba.

Après avoir combattu côte à côte le Négus
rouge, Mengistu Hailé Mariam, au début des années 80,
les «cousins» Issaias Afeworki et Meles Zenawi * se déchirent
après l’indépendance de l’Érythrée
en 1993. L’Éthiopie prend conscience de ce que représente
une négociation avec un État souverain lorsqu’il s’agit d’obtenir
un accès à la mer Rouge.

Les Éthiopiens attaquent l’Érythrée en 1998 suite
à un différend frontalier. La guerre dure 2 ans et s’achève
sur le bilan effroyable de 70 000 morts. Un arbitrage international redessine
la frontière mais l’Éthiopie, qui s’était
pourtant engagée à accepter la décision, refuse le nouveau
tracé.

par
Marion Urban

*
la mère de Meles Zenawi est érythréenne. On a même
prétendu que les deux hommes partageaient la même grand-mère.
C’était avant 1998.