29/04/07 (B393) Interview de Jean-Paul Noël ABDI. Propos recueillis par l’ARD.

Interview
du président de la Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH)

Libéré voilà une semaine sous les pressions nationale
et internationale, Jean-Paul Abdi Noël, Président de la Ligue
djiboutienne des droits humains (LDDH), nous a accordé une interview
exclusive le jeudi 25 avril 2007. M. Abdi Noël propose une vision globale
et engagée sur la situation des droits et des libertés à
Djibouti. Propos recueillis par la Rédaction du journal en ligne de
l’ARD.

*
Bonjour M. le président de la Ligue djiboutienne
des droits de l’homme, la LDDH. Comment vous sentez-vous après ces
premiers jours de liberté retrouvée ?

M. Abdi Noël : Renforcé à tous points
de vue ! Je suis de ceux que l’adversité et l’injustice
poussent à la résistance légitime ! Il ne faut pas oublier,
qu’un homme respectueux de ses convictions continue son combat et ce
quelques soient les pressions et les répressions. Lorsque votre conviction
consiste à défendre les droits fondamentaux, à défendre
les droits de l’homme, alors votre combat est noble et légitime.
Comme on dit chez nous « le sang ne se cache pas et le mensonge ne tient
que sur un seul pied. »

Pouvez-vous nous parler des conditions de détention
à Gabode actuellement ?
M. Abdi Noël : Elles sont inhumaines, pour
bon nombre de prisonniers surtout ceux détenus au dépôt
où la surpopulation carcérale est insupportable ! D’autre
part, certains bâtiments ont été rénovés
suite au rapport de la mission d’enquête de la F.I.D.H.[Fédération
internationale des ligues des droits de l’homme] en 2005. Beaucoup reste
encore à faire notamment pour les mineurs et les jeunes délinquants.

Les prisonniers sont-ils régulièrement
autorisés à recevoir la visite de leurs proches ?
M. Abdi Noël : Oui et non ! Cela dépend
des motifs d’incarcération des détenus, de leurs couches
sociales et de leur origine ethnique…

Avez-vous constaté une différence
de traitement entre les prisonniers djiboutiens et les autres ?
Jean-Paul Abdi Noël : Oui ! Les étrangers
et singulièrement les Ethiopiens d’origine Oromo sont maltraités
et pour la plupart sans défense.

Revenons sur votre condition de détention.
Qu’avez-vous ressenti au cours de votre détention à Gabode ?
Autrement dit pouvez-vous décrire le sentiment d’injustice ou de dégoût
qui peut s’emparer d’un citoyen djiboutien qui ne faisait que son devoir de
démocrate et se retrouve retiré du monde ?
M. Abdi Noël : Mon arrestation était
effectivement injuste, mais je n’ai ressenti aucun dégoût
ni rancœur, sauf le sentiment d’un devoir accompli à tous
prix…

Pouvez-vous décrire comment vous avez vécu
la progression du premier procès en tribunal puis en appel depuis la
prison ?
M. Abdi Noël :
Avec sérénité ! Je savais que je défendais une
juste cause et les témoignages de solidarité des plaignants
et de leur défenseurs (ils sont bien plus nombreux et déterminés
que certains le croient), m’ont rendu optimiste sur l’issue du
« procès »…

S’agissant de l’objet de votre arrestation, que
savez-vous aujourd’hui sur la réalité du génocide qui
a lieu au Day en 1994 ?
M. Abdi Noël :
Il n’y a pas eu au Day le 1 /1/94 un génocide mais un crime de
guerre. Sept civils ont été arrêtés après
avoir été triés par « les forces armées
nationales », puis sommairement exécutés. Cela s’est
passé suite à une embuscade tendue l’avant-veille par
le Frud-Armé. Tout comme les victimes d’Arhiba en décembre
1991, ce sont des victimes expiatoires pour terroriser la population civile
et tarir la supposée source de soutien aux résistants.

Je rappelle qu’étant à l’époque député
et président d’une commission d’enquête parlementaire
chargée d’instruire les plaintes des notables du Day, j’ai
publié à ce titre le procès-verbal de cette commission
en présence de trois ministres dont celui de la défense. Je
suis donc le mieux placé pour témoigner de la véracité
des faits. Mais vous n’avez pas tort de parler de génocide car
la constance de ces crimes durant huit ans (et même après), sur
l’ensemble du territoire du Sud-Ouest au Nord accrédite cette
thèse. Nous n’avons pas manqué lors du conflit armé
de dénoncer les exécutions extrajudiciaires ainsi que les blocus
alimentaire et sanitaire notamment à Obock. Génocide ou pas
? L’intention en tous cas y était….

Avez-vous quelques informations sur l’existence
de charniers semblables dans le pays ?
M. Abdi Noël :
Il se murmure que d’autres charniers auraient été découverts
notamment au Lac Assal mais ce n’est pas mon rôle de me faire
l’écho ici ou ailleurs de murmures ou rumeurs. Je ne témoigne
que de faits irréfutables !

Comment, en tant que défenseur
des droits de l’homme représentant la FIDH à Djibouti, pouvez-vous
expliquer l’alignement sinon la discrétion de la coopération
française à l’endroit de la politique du gouvernement d’Ismaël
Omar Guelleh ?

M. Abdi Noël :
Comme vous, je le constate ! Mais son attitude n’est pas difficile à
décrypter : la France et toute autre coopération bilatérale
ne peuvent avoir de relations qu’avec un autre Etat. Elles n’ont
en général ni gêne ni alignement ni discrétion,
elles prennent acte des rapports de forces, c’est tout. Nous aussi !
Rapports qui par définition sont contingents…

Quels échanges avez-vous au sein des instances
internationales de défense des droits de l’homme tels que la FIDH,
RSF ou l’UIDH sur les pratiques de gouvernements tels que celui de Djibouti
?
M. Abdi Noël :
Mon rôle se limite à les tenir informés sur tout ce qui
se fait et le plus souvent se défait à Djibouti sur le plan
des droits humains, et parfois de tirer la sonnette d’alarme dans le
cadre de la prévision des conflits !

Quelles relations entretenez-vous avec les autres
mouvements citoyens djiboutiens et singulièrement avec les formations
politiques de l’opposition s’agissant de la lutte pour l’avènement
de la démocratie à Djibouti ?
M. Abdi Noël :
De courtoisie ! Tout comme avec le gouvernement et ses membres dirigeants
! Je considère mon rôle ici au sens religieux du terme comme
une mission, un sacerdoce. D’où mon rapport à l’autre
quel qu’il soit ! Il est tout naturellement fait de courtoisie, de prévention
des conflits et de leur résolution le cas échéant !

Ceci dit, et cela fait partie de nôtre rôle, la L.D.D.H. se bat
pour la traduction dans la réalité de la naturelle pluralité
d’expression ! Notre rôle consiste aussi régulièrement
à soutenir les droits de l’Opposition, qui sont régulièrement
bafoués surtout en période électorale où la sourde
oreille est de mise !

Percevez-vous un élan dans la société
djiboutienne à vouloir se libérer du joug dictatorial ou diriez-vous
que les citoyens sont encore aujourd’hui tétanisés par l’idée
de se retrouver à Gabode ?
M. Abdi Noël :
Cet élan, comme vous dites, n’est pas seulement perceptible,
il est palpable ! Je m’égosille depuis un certain nombre d’années
à l’encourager autant que faire se peut ! Le gouvernement, non
seulement ne m’y aide pas mais s’acharne manifestement à
le briser par son comportement. Il me donne l’impression de quelqu’un
qui dialogue tout seul et ce n’est pas qu’une impression. Quant
aux citoyens, croyez-moi, ils sont loin d’être tétanisés
et les risques d’explosions sont patents.

Il y a- t-il dans la société djiboutienne
quelques poches de résistances civiques qui pourraient relayer la lutte
pour la démocratie dans le pays ?
M. Abdi Noël :
Oui, et je l’affirme avec certitude ! Huit années de guerre civile
ont apporté la preuve si besoin était que l’actuelle opposition,
à l’époque armée, disposait et dispose encore de
profondeurs stratégiques. Il serait non seulement insensé mais
dramatique pour toute une région en perpétuelle recomposition
politique de la pousser, la repousser dans ses derniers retranchements !

Songeons à la position stratégique qu’occupe ce petit
bout de désert et la perturbation du trafic maritime qui découlerait
des moindres troubles que tout laisse à craindre dans le port de Djibouti.
Le risque d’un effet domino dans la sous-région est réel
avec tout le parti que pourraient en tirer de malveillants esprits…

Que pensez-vous de la relative discrétion
reprochée aux mouvements d’oppositions djiboutiens ?
M. Abdi Noël :
Ils ont été réduits à la discrétion ! Cela
ne les empêche pas de combattre pacifiquement et efficacement ce gouvernement
au regard de leur auditoire : le peuple, la coopération…

Les organisations des droits de l’homme auxquelles participe la LDDH comprennent-elles
la position des opposants djiboutiens ?

M. Abdi Noël : Oui ! C’est une sage posture,
même si la sagesse n’est pas réciproque…
Quelles seront les suites de ce fameux procès ?

M. Abdi Noël :
Mes avocats ont déposé un pourvoi en cassation, ce qui signifie
que cette affaire sera probablement jugé sur le fond. La cour sera
fatalement amenée à se prononcer non pas sur les faits que même
le ministère public ne conteste pas, mais sur la procédure de
flagrant délit qui constituait un vice de forme flagrant et que Maître
Tubiana a démonté et démontré, mais surtout sur
la qualification des faits ! S’agissait-il oui non de crime de guerre
?

Quelque soit la décision de la cour, ma démarche consiste encore
à éviter un procès international qui ternirait l’image
de mon pays, mais la LDDH continuera à demander une juste indemnisation
de toutes les victimes civiles de ce conflit comme cela a d’ailleurs
été prévu par l’Accord de Paix signé le
12 mai 2001 par l’actuel gouvernement et dont nous étions témoins
!

Que serait-il arrivé si vous l’on vous reconduisait
à Gabode depuis votre lit d’hôpital à Peltier ?
M. Abdi Noël :
Seul Dieu le sait ! J’ai personnellement insisté auprès
de l’association des victimes qui était à bout de nerfs
et des innombrables amis qui tenaient le jour du procès à manifester
leur indignation ! Connaissant la gâchette facile des forces de l’ordre
et la détermination des ayant droits, j’ai craint le pire et
insisté auprès de tout le monde pour qu’il n’y ait
aucun débordement, et si possible pas de manifestions violentes !

Une réaction plus forte que la simple condamnation
de principe serait-elle en préparation par les organisations de défense
des droits de l’homme contre de tels actes ?
M. Abdi Noël :
Oui ! Selon les informations dont je dispose, il se prépare une réaction
commune de ces organisations qui ne se limiterait pas à une simple
dénonciation ! Mais je suis comme vous à l’écoute
des différentes évolutions, d’autant plus que la situation
sociale actuelle est explosive !

Des limites vous ont-elles été clairement
ou implicitement fixées s’agissant de la dénonciation que vous
continuerez de faire des violations des droits de l’homme en cours à
Djibouti ?
M. Abdi Noël :
Implicitement oui ! Comme en témoignent les onze mois d’emprisonnement
avec sursis uniquement destinés à me faire taire, mais nous
ne sommes pas « muselables » !

Permettez-moi de profiter de votre journal pour
remercier tous mes amis et tous mes proches ainsi que ma famille. Votre coup
de téléphone le jour de ma libération et surtout les
actions constantes de votre équipe et de vous-même alors que
j’étais dans le plus profond de la prison ne pouvaient que me
réconforter.

C’est dans le cadre de simples remerciements qui ne
peuvent qu’exprimer mon sentiment de profonde satisfaction gravé
à jamais dans mon cœur que je tiens à vous rappeler que
nombreux étaient ceux qui se sont mobilisés pour me faire sortir
de prison, un merci pour toujours.

La liste des intervenants est longue pour être tous cités, je
me contenterais de quelques amis et Organisations des Défenseurs des
Droits de l’Homme qui se sont personnellement investis comme :
– la FIDH avec l’envoi de son Vice-Président
et Président de la Ligue Française des Droits Maître Michel
Tubiana, qui a assuré avec brio ma défense en compagnie et avec
mes avocats djiboutiens Maîtres Zakaria Abdillahi et Luc Aden ;
– L’Observatoire des Droits de l’Homme qui, immédiatement
après mon arrestation, s’est mobilisé en lançant
des Alertes et en saisissant Genève et New-York ;

– Je me sens encore réconforté par l’énergique
intervention de mon amis et frère Florent Geel à la BBC, d’autant
plus que les officiers de police judiciaires ont été abasourdis
par cette rapide dénonciation sur les antennes internationales. Grâce
aux Officiers de la Police Judiciaire, j’ai été fortement
réconforté par cette information alors que j’étais
isolé dans les bureaux de la Police Criminelle ;

– l’UIDH [L’Union Interafricaine des Droits de l’Homme],
qui dés le début a saisi le Ministre de la Justice pour éviter
toutes interférence du politique, et le témoignage d’encouragement
par téléphone du Président Koné de l’UIDH,
durant la semaine de liberté provisoire, ainsi que des décisions
prises lors du Congrès de l’UIDH. Cette organisation a rapidement
saisi la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples,
qui devra se prononcer bientôt sur la suite à réserver
pour éviter à l’avenir les harcèlements, les arrestations
abusives et les emprisonnements en catimini pour témoignage courageux
ou délits d’opinion ;

– L’organisation internationale Survie, qui, dès
ma liberté provisoire, a su alerter Reporter Sans Frontières
et mobiliser un bon nombre de radios internationales telels que Radio Vatican
ou Deusche Welle, ainsi que le précieux communiqué conjoint
du 12 mars avec l’ARDHD [Association pour le respect des droits de l’homme
à Djibouti]– un merci spécial à Olivier THIMONIER
et à l’infatigable Jean-Loup SCHAAL, président de l’ARDHD
;

– Des vifs remerciements aux Porte paroles du comité de soutien pour
ma libération : Simone Bernier, Aïcha Dabale, Said Mohamed, ainsi
qu’à mon frangin et compagnon de lutte contre la dictature sournoise,
le dynamique Mahdi Ibrahim God A., et tous les autres signataires des nombreuses
pétitions en ma faveur.

– Mes remerciements au Gouvernement en Exil (GED) ;

– Une pensée particulière à Roger Picon ;

– Merci aussi à ma famille et à tous mes proches tant présents
à Djibouti ou à travers le monde, qui n’ont pas cessé
de me témoigner la solidarité, leurs prières avec celles
des religieuses et des religieux à Djibouti ne pouvaient que m’encourager
à garder le cap de mon juste et légitime combat contre l’impunité
et pour la paix sociale. La visite et les prières de l’Evêque
Giorgio Bertini ont raffermi largement mon moral :

– Merci aussi, à mon médecin de famille Docteur Alain David,
qui dès mon arrestation en garde à vue, s’est rapidement
investi à suivre l’évolution de ma santé avec les
risques de stress;

– Merci aussi au médecin de la prison Docteur Osman Ali Ahmed qui sur
l’alerte de mon médecin de famille, a rapidement pris, après
une longue consultation, la décision de m’hospitaliser dans les
plus brefs délais pour des raisons d’un profond malaise cardiaque,
et probablement m’a sauvé la vie ;

– Un merci à l’infirmier M. Mohamed Djama Guirreh qui ne m’a
pas quitté une minute durant la prise de décision du Directeur
de la prison de Gabode M. Moktar Abdillahi Osman ainsi que celui de l’ancien
très discret substitut M. Salah actuellement Chef du Service pénitencier,
je tiens à les remercier pour avoir rapidement répondu favorablement
à mon hospitalisation.

– Je tiens aussi à remercier les deux cardiologues de l’Hôpital
Peltier, Docteur Saïd Abdillahi et Docteur Georges Cloatre pour tous
les précieux soins qu’ils m’ont apportés ;

– Mes remerciements s’adressent aussi à tous les infirmiers,
au personnel du Pavillon Martial, sans oublier les différents policiers
de garde 24h/24, car tous ont été courtois avec moi et serviables.

Notre combat constant continuera pour l’effectivité de l’État
de droit, contre les détournements des deniers publics et des biens
sociaux, contre la politique de l’impunité, pour la transparence
des processus électoraux qui devrait mettre fin aux vols et/ou détournements
des différentes élections, pour une réelle paix sociale
tant désirée.

Merci Monsieur le président et bon rétablissement.