03/05/07 (B393-B) Le Monde : L’affaire Borrel, onze ans de feuilleton judiciaire

1995
– 1998 : La thèse du suicide

19
octobre 1995 Le juge Borrel retrouvé mort

Le corps du juge
Borrel est retrouvé à demi-calciné, à 80 km de
Djibouti-ville. Agé de 39 ans, le magistrat était mandaté
par la France en mission de coopération.

2
novembre 1995
Conclusions de la justice djiboutienne
L’enquête djiboutienne conclut au suicide malgré des éléments
incohérents. Le juge aurait enlevé son short, se serait aspergé
d’essence, aurait jeté le jerrican, puis se serait immolé avant
de dévaler une pente à pic. Il se serait écroulé
plusieurs mètres en contrebas, après avoir marché pieds
nus sur des rochers escarpés, sans cependant s’abîmer la plante
des pieds.

Février 1996 Ouverture
d’une instruction à Toulouse

Selon l’autopsie,
le corps a été brûlé après la mort. Les
faits sont requalifiés en assassinat.

8
juillet 1997 Un rapport « truffé d’erreurs »

Une étude
médico-légale française affirme que le rapport d’autopsie
djiboutien est « truffé d’erreurs et de contradictions ». En
octobre, le dossier est transféré à Paris.

Novembre
1997 La justice française se mobilise

Le dossier est confié
à Marie Paule Moracchini, qui s’adjoindra le concours d’un autre magistrat,
Roger Le Loire. Ce dernier avait travaillé sur un autre dossier franco-djiboutien,
l’attentat du Café de Paris de 1990, dossier dans lequel il avait demandé
en 1994 la collaboration de Bernard Borrel.

1999
– 2002 : Une thèse officielle « peu plausible »

Mars
1999 L’hypothèse de l’assassinat n’est pas retenue

Premier déplacement à Djibouti des juges Moracchini et Le Loire
dans le cadre d’une commission rogatoire internationale. En septembre, remise
du rapport de la brigade criminelle qui note que « (…) l’hypothèse
de l’assassinat ne peut, à ce jour, être sérieusement
retenue ».


Décembre 1999
Le « juge fouineur est mort »
Un ex-membre de
la garde présidentielle djiboutienne réfugié à
Bruxelles, Mohamed Saleh Alhoumekani, affirme avoir entendu, le jour de la
mort du juge, cinq hommes déclarer à l’actuel président
djiboutien Ismaël Omar Guelleh, directeur de cabinet de son prédécesseur,
que le « juge fouineur est mort » et qu' »il n’y a pas de trace ».

Avril 2000
Rapport médico-légal
Le rapport médico-légal
des professeurs Dominique Lecomte et Bernard Nicolas confirme la thèse
du suicide.

Juin 2000 Les
juges dessaisis de l’affaire

Les juges refusent
d’accorder la contre-expertise demandée par le Syndicat de la magistrature,
l’Union syndicale des magistrats et Elisabeth Borrel, la femme de Bernard
Borrel. Les juges Moracchini et Le Loire sont dessaisis de l’affaire par la
chambre d’accusation de Paris. Un nouveau juge d’instruction est désigné,
Jean-Baptiste Parlos.

2002
– 2005 : l’Etat français aux côtés
des autorités djiboutiennes

Juin
2002 Le suicide est jugé « peu plausible »

De nouvelles expertises
permettent d’élaborer un autre scénario : Bernard Borrel aurait
été assommé, aspergé de liquides inflammables
puis brûlé. Il a une lésion crânienne, jamais décelée
auparavant ; il n’a pas pu s’asperger d’essence tout seul. Les deux liquides
inflammables viennent de deux bidons différents, or un seul a été
retrouvé sur place. Deux empreintes génétiques sont découvertes
sur le short du juge.

Septembre
2002 Un nouveau témoin se rallie à la thèse de l’assassinat

Ali Iftin, supérieur
hiérarchique de Mohamed Saleh Aloumekani, déclare que les services
secrets djiboutiens l’ont obligé à fournir un témoignage
hostile à Aloumekani.

Mai
2004
Borrel possédait un document secret
La juge Sophie Clément
obtient l’assurance que le juge Borrel était avant sa mort en possession
d’un document très secret portant sur d’éventuelles malversations
au sein du pouvoir djiboutien.

Janvier 2005 L’exécutif
français soutient la thèse du suicide

Le porte-parole du Quai d’Orsay, Hervé Ladsous, annonce qu’une copie
du dossier Borrel sera prochainement remise à la justice djiboutienne.
L’Elysée et le Quai d’Orsay ne croient pas à l’assassinat. « Nous
sommes persuadés qu’il s’agit d’un suicide. Quand je dis nous, je veux
dire l’exécutif », déclare un conseiller.

Juin 2005 Nouveau changement de juge
La justice française refuse de transmettre une copie de son dossier
à la justice djiboutienne, considérant que cela comporte des
risques pour son enquête.


19 octobre 2005
Un trafic de produits chimiques
Les avocats d’Elisabeth
Borrel évoquent une possible piste liée à un trafic de
produits dangereux. Une liste manuscrite de produits chimiques, notamment
de l’uranium enrichi, avait été retrouvée dans les affaires
personnelles de Bernard Borrel, quelques semaines après sa disparition.

2006
– aujourd’hui : les hautes sphères impliquées

Mars
2006 Plainte relative au rôle de l’Etat
Les juges
sont saisis sur une plainte d’Elisabeth Borrel qui reproche à l’Etat
français d’avoir communiqué des éléments du dossier
relatif à la mort de son mari, instruit par la juge Sophie Clément.

12
août 2006 Mandat d’arrêt pour « subornation de témoins »
La Cour
internationale de justice (CIJ) est déclarée compétente
dans l’affaire Borrel.

Le 1er octobre, des mandats d’arrêt sont lancés contre le procureur
de la République et le chef des services secrets de Djibouti, Djama
Souleiman et Hassan Saïd, pour « subornation de témoins ».

Octobre
2006 Le livre dérangeant de Mme Borrel
Dans Un
juge assassiné (Flammarion), la veuve du juge Borrel est convaincue
que son mari a été sacrifié au nom de la raison d’Etat.
Elle pense que son mari en savait trop sur l’attentat visant la communauté
française de Djibouti, perpétré le 27 septembre 1990,
et dont les auteurs auraient agi sur ordre d’Omar Guelleh. « Mon mari
pensait qu’il était le commanditaire », assure Mme Borrel.

Soutien
de la société civile
Près de 200 personnalités, parmi lesquelles Ségolène
Royal, estiment que « tout a été tenté pour maquiller
ce crime en suicide ». « J’ai défendu l’ancien ministre de
la justice, Moumin Bahdon, explique le député PS Arnaud Montebourg.
Il m’a toujours dit que Bernard Borrel connaissait des choses embarrassantes.
On a tout fait pour entraver l’enquête, au nom d’une vieille complaisance
pour le régime djiboutien. »

19
avril 2007 Perquisition au Quai d’Orsay
Les juges
Fabienne Pous et Michèle Ganascia perquisitionnent au Quai d’Orsay
et au ministère de la justice, faisant suite à la plainte de
Mme Borrel du 7 février 2005. Hervé Ladsous assure qu’il s’était
contenté de publier un communiqué rédigé par le
cabinet du garde des sceaux de l’époque, Dominique Perben.

Contexte électoral défavorable

20
avril 2007 Perquisition à la chancellerie.
La section
de recherches de la gendarmerie (SR) refuse de participer aux perquisitions
effectuées aux ministères des affaires étrangères
et de la justice, les 19 et 20 avril, « compte tenu du contexte politique
actuel de période électorale ». Les deux juges soulignent,
elles, dans leur commission rogatoire, « l’urgence tenant au risque de
dépérissement des preuves ». Les situations de changement
politique peuvent en effet entraîner des destructions d’archives.

2 mai 2007 Perquisition à l’Elysée refusée
Les juges
tentent une perquisition à l’Elysée mais les gendarmes leur
en interdisent l’accès.
Devant le refus de la garde républicaine
de les laisser entrer, elles requièrent l’autorité du gouverneur
militaire de Paris.