10/05/07 (B394) LIBERATION (2 articles) Ravagée par dix ans de guerre civile, la Somalie tente d’établir des forces régulières. (Info lectrice)

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– Mogadiscio reconstitue une police de bric et de broc

Par Stéphanie BRAQUEHAIS

Ils sont environ 300, au milieu d’une cour cernée de bâtiments
militaires délabrés. Hommes et femmes arborent des uniformes
kaki, beiges, ou des vêtements civils, la tête parfois recouverte
d’un képi.

Sous un soleil de plomb, ils se tiennent au garde-à-vous, devant le
commandement de la nouvelle police de Mogadiscio. A côté du drapeau
somalien, étoile blanche sur fond bleu, flotte celui de la police,
une antilope entourée d’une couronne de laurier. Une fanfare entame
un refrain militaire, légèrement cacophonique. Ce jour-là,
les autorités inaugurent un des camps d’entraînement de la police,
à une vingtaine de kilomètres de Mogadiscio.

Mémoires.

La cérémonie est censée marquer le premier pas dans l’établissement
de forces régulières et d’un Etat de droit en Somalie, ravagé
par la guerre civile depuis seize ans. Après avoir vaincu les Tribunaux
islamiques en décembre dernier, avec le soutien décisif de l’armée
éthiopienne, le gouvernement de transition somalien (TFG), formé
en 2004, ambitionne d’effacer des mémoires les terribles combats qui
ont dévasté la capitale en avril et cessé il y a dix
jours, lorsque les troupes éthiopiennes ont défait les «insurgés».
Environ 2 000 civils ont été tués dans des affrontements,
les plus violents depuis quinze ans, poussant la moitié de la population
à fuir Mogadiscio.

«Votre tâche est immense», déclare le nouveau
chef de la police devant ses nouvelles recrues, pour la plupart d’anciens
policiers sous Siad Barré (président de 1969 à 1991),
aux visages fatigués.

«Nous devons faire oublier le visage indigne de la Somalie, qui n’a
connu depuis 1991 que des guerres claniques et le règne des chefs de
guerre.» Un discours lyrique rapidement émaillé de considérations
pragmatiques : «Nous sommes un pays pauvre, sans sécurité,
et le gouvernement n’a pas les moyens de vous former longtemps. Chaque session
de 500 policiers sera entraînée pendant deux semaines.»

Enfants.

Une tâche «immense», et risquée.

Ces derniers jours, les policiers ont été visés
par plusieurs attentats. Lundi, une bombe placée sous un véhicule
de police a explosé dans Mogadiscio, peu après une opération
des forces éthiopiennes sur un marché aux armes. Deux enfants
qui jouaient à proximité du véhicule ont été
tués et sept personnes blessées.

En revanche, aucun policier n’a été touché.

Furieux d’avoir été attaqués à plusieurs reprises,
soldats et policiers s’en prennent désormais aux femmes voilées
à Mogadiscio, n’hésitant pas à arracher leur voile et
à le brûler. Selon eux, des membres des Tribunaux islamiques
se seraient déguisés en femmes pour mener leurs opérations.

Le nouveau commandant de la police à Mogadiscio, le colonel Ali Saïd,
ne dispose d’aucun chiffre sur l’effectif total prévu et le nombre
de recrues. Quant au budget de fonctionnement, il n’en a pas la moindre idée
: la Somalie vit sans administration depuis seize ans.

Salaires.

Sans revenus, excepté quelques taxes provenant des ports et aéroports,
le gouvernement de transition n’a pas les moyens de payer des salaires. Ce
qui ne semble pas poser de problèmes à certains militaires.
Une centaine de barrages ont été édifiés à
Mogadiscio depuis une semaine. Les hommes de troupes, armés de leur
AK47, installent des «technical» (pick-up surmontés de
mitrailleuse lourde) à chaque carrefour et arrêtent les véhicules,
pour demander avec plus ou mois de rudesse «un peu d’argent pour le
thé».

«Personne ne peut dire dans quelles poches atterrit l’argent, si ce
n’est dans celles du président et des proches qu’il a nommés,
commente un ancien haut fonctionnaire.

C’est un cercle vicieux : pour créer une police, il faut de l’argent.
Alors on prend où on peut.»

L’objectif affiché des autorités est d’obtenir le désarmement
des milices pour recruter des jeunes qui n’ont guère connu d’autre
régime que celui de l’anarchie. «Chaque jour, les forces du gouvernement
fouillent les quartiers, maison par maison. Nous trouvons des bombes, des
mines. La population nous soutient et nous disposons de nombreux informateurs
dans la communauté, claironne Hussein Mohamed, le porte-parole du chef
du gouvernement.

Nous ne restons pas les bras croisés, c’est maintenant que
le travail commence.»

Les ratissages dans les quartiers ont donné lieu à plus de 200
arrestations selon les chiffres officiels.

A Mogadiscio, certains se montrent sceptiques quant à l’efficacité
de telles opérations coup de poing. «Chaque fois qu’ils ont essayé
de trouver des armes, ils ont échoué. Les gens les enterrent,
ils refuseront de les rendre. Personne ne fait confiance à ce gouvernement»,
estime un commerçant, revenu à Mogadiscio il y a deux jours,
après avoir fui les combats.

©
Libération

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2 – Seize ans de conflits

Pays le plus pauvre de la corne de l’Afrique, la Somalie est une ancienne
colonie britannique et italienne. Indépendante depuis 1960, elle est
en proie à une guerre civile qui a fait entre 300 000 et 500 000 morts
depuis la chute du dictateur Siad Barré en 1991.

En 1992, les Etats-Unis, épaulés à partir de
1993 par l’ONU, lancent une opération militaro-humanitaire, qui dérape
en un conflit contre les «seigneurs de la guerre». Ils se retirent
de Mogadiscio en 1995.

Mis en place entre 2000 et 2004 depuis le Kenya, le gouvernement
provisoire est débordé par les Tribunaux islamiques. Soutenues
par l’Ethiopie et les Etats-Unis, les forces gouvernementales les chassent
de Mogadiscio fin 2006.

Les 8,7 millions de Somaliens, pour l’immense majorité de l’ethnie
Somali, sont musulmans. Deux provinces ­ le Puntland et le Somaliland
­ vivent dans une quasi-indépendance.