16/05/07 (B395) (UN IRIN) Le rôle peu médiatisé des travailleurs humanitaires (Info lectrice)

Les
acteurs locaux, héros méconnus de l’humanitaire en zone à
risque

UN
Integrated Regional Information Networks
ACTUALITÉS
14 Mai 2007
Publié sur le web le 14 Mai 2007
Nairobi

Les violences
qui déchirent la Somalie depuis plusieurs années, et en particulier
Mogadiscio, la capitale, ont fait de ce pays l’un des plus dangereux du monde
pour les travailleurs humanitaires, qui ont dû réduire leurs
activités au minimum et s’en remettre à des personnels locaux
de plus en plus souvent victimes de violences.

Les affrontements entre les factions, les barrages routiers tenus par des
bandits armés, les enlèvements et les tueries qui ont lieu aux
quatre coins du pays font que là où les opérations se
poursuivent, le fonctionnement de l’aide dépend de plus en plus du
personnel somalien, ont dit des travailleurs humanitaires.

Or selon un dossier d’information publié en 2006 par l’Overseas Development
Institute, 78 pour cent des travailleurs humanitaires qui ont été
victimes de ces violences en raison de leur travail sont des ressortissants
des pays d’accueil – un nombre qui a plus que doublé entre 1997 et
2005.

« Le taux [de victimisation] chez les ressortissants internationaux
est stable ou en déclin, tandis qu’il augmente chez les ressortissants
nationaux, surtout dans les contextes les plus dangereux », peut-on
lire dans le rapport.

La Somalie présente la pire des situations de
ce type, selon le rapport. « En termes à la fois relatifs et
absolus [et à l’exception de l’Irak en 2003-2004], la Somalie demeure
le plus violent lieu d’opérations [pour les organismes] d’aide humanitaire
», révèle le rapport.

L’ampleur des besoins et la gravité de la situation
en matière de sécurité ont conduit à l’élaboration
de différentes méthodes opérationnelles. Certains organismes
privilégient par exemple une méthode parfois qualifiée
d’approche « à distance ».

Ces organismes implantent leur personnel expatrié à l’extérieur
du territoire somalien et leur personnel local est chargé, à
lui seul, de mener les opérations sur le terrain lorsque la situation
d’insécurité est grave. Malgré tout, certaines organisations
ne prévoient pas de renforts de sécurité adéquats,
selon certains travailleurs humanitaires locaux exerçant en Somalie.

De nombreuses organisations ont recruté des émigrants somaliens
appartenant à la diaspora ou ont promu des ressortissants somaliens
aux postes de cadres supérieurs.

Le personnel national met en oeuvre les opérations

D’autres privilégient ce qu’on appelle le « partenariat ».
Ces organisations n’ont pas de personnel, ni national ni international, dans
le pays. Elles mènent leurs opérations par l’intermédiaire
d’organisations non gouvernementales locales, en majeure partie des groupes
de la société civile.

« Dans la plupart des cas, nous opérons seuls, sans aucun renfort
», a expliqué un Somalien, travaillant pour une organisation
internationale. « De nombreux Somaliens travaillant auprès
d’organisations internationales n’ont pas le droit d’être évacués
; le mieux que [ces organisations] puissent faire, c’est vous dire de vous
rendre dans une autre ville et de vous faire discret en attendant que ça
passe ».

Selon plusieurs analystes, les ressortissants nationaux sont les héros
méconnus de la communauté humanitaire, et les dirigeants des
organisations disent n’avoir aucun problème à leur confier davantage
de responsabilités en période d’insécurité.

Pourtant, certains ont davantage l’impression d’être des «
employés jetables ».

« Certains d’entre nous ont été tués ou enlevés
et ça ne compte pas parce que nous ne sommes pas des expatriés
», a révélé un travailleur humanitaire national,
sous couvert de l’anonymat. « Je ne pense pas être un héros.
J’ai plutôt l’impression d’être un « objet jetable » ».

A en croire certains travailleurs humanitaires, il est souvent demandé
aux employés nationaux de se rendre dans des zones où les employés
internationaux ne peuvent pas aller. Et s’ils contestent les instructions
qui leur sont données, ils risquent leur poste.

« On ne peut même pas dire « c’est trop dangereux ». On
devient tout simplement les nouvelles cibles », a ajouté le travailleur
local.

Un ressortissant national, travaillant pour une organisation d’aide humanitaire
multilatérale, a relaté qu’un de ses collègues avait
été enlevé et pris en otage pendant plus d’un mois.
A sa libération, son employeur l’a licencié car il n’était
plus en mesure de travailler à Mogadiscio. « Ils n’ont même
pas pu lui proposer un autre poste », s’est-il indigné.

« La Somalie grossit les imperfections, les défauts d’opérationnalité
qui apparaissent dans ce type de situations », a expliqué à
IRIN un analyste somalien, installé à Nairobi.

Sur le terrain ou à distance ?

La situation varie d’une organisation à l’autre. Abdirashid Haji Nur,
directeur de pays pour Concern Worldwide, une organisation qui opère
en Somalie depuis 1992, a admis que les employés nationaux étaient
souvent confrontés à de nombreuses difficultés. Il a
néanmoins ajouté que toutes les organisations ne traitaient
pas leur personnel de la même manière.

« C’est vrai, certaines organisations ne sont pas aussi attentives au
sort de leurs employés locaux qu’elles le devraient, mais tout n’est
pas noir », a-t-il déclaré.
Abdirashid Haji Nur dirige les opérations de l’organisation depuis
sept ans, sans trop d’ingérence, a-t-il dit.

« Je reçois des lignes directrices lorsque j’en demande,
mais mes supérieurs m’accordent une grande liberté d’action,
y compris pour ce qui concerne les questions de sécurité »,
a-t-il poursuivi.

Malgré tout, a-t-il précisé, il faudrait que les organisations
fassent participer leur personnel national au processus de prise de décisions.
En effet, elles font appel à leurs employés nationaux pour mettre
en oeuvre leurs opérations, mais ceux-ci ne contribuent pas à
la prise de décision qui détermine la mise en Å »uvre
de ces opérations.

« Pourtant, ces décisions peuvent avoir des répercussions
en matière de sécurité et exposer le personnel à
des risques », a-t-il souligné.

Aux dires de M. Nur, les possibilités d’avancement professionnel
et de formation offertes au personnel local sont « quasi-inexistantes
».
Les expatriés doivent reconnaître la contribution
de leurs collègues somaliens et les intégrer au sein du système,
a-t-il recommandé.

Selon un membre du personnel des Nations Unies, il faudrait également
aborder la question de l’écart qui existe entre les indemnités
versées aux expatriés et celles perçues par les employés
nationaux assignés aux mêmes tâches.

« Nous sommes globalement peu rémunérés et peu
dédommagés des risques que nous sommes tenus de prendre »,
a-t-il dit.

Pour Bea Spadacini, porte-parole de l’organisation Care, « d’une certaine
manière, nous n’avons pas besoin d’expatriés. Nous avons confiance
en la qualité de notre personnel de terrain. Le manque d’expatriés
pour diriger les opérations sur le terrain n’est pas idéal,
mais il n’influe pas sur la qualité de nos programmes ».

En ce qui concerne la sécurité du personnel, « nous sommes
à l’écoute de notre personnel. Ce sont les mieux placés
pour savoir quand c’est le moment de partir », a-t-elle dit.

Le système du partenariat

Parce qu’elles sont conscientes de la situation en Somalie, ou parfois, par
préférence, certaines organisations internationales s’associent
avec les organisations locales.

Pour ce faire, les organisations étrangères doivent tisser un
lien de confiance et élaborer des objectifs communs avec leurs partenaires.
Elles doivent ensuite verser des fonds et fournir une formation pour mettre
en place les programmes. Cela leur permet à la fois de renforcer les
compétences locales et d’avoir un impact sans être présentes
sur le terrain.

Toutefois, cette approche « est difficile à vendre », selon
l’analyste somalien ; en effet, les bailleurs de fonds pensent généralement
que ce système pose des « difficultés psychologiques et
administratives », a-t-il expliqué.

D’autres organisations se sont mises à recruter des Somaliens issus
de la diaspora, en les faisant travailler dans leur propre quartier, où
ils sont, pensent-elles, en mesure de « s’intégrer » et
d’être plus conscients du contexte et des risques encourus.

« On est sans doute plus en sécurité quand on est de la
région », a expliqué à IRIN un représentant
d’une ONG. « Cependant, n’importe qui peut aisément se trouver
pris dans un tir croisé ».

Une majorité d’organisations continueront de dépendre fortement
du personnel national pour la plupart de leurs opérations. «
Plus elles sont en situation de vulnérabilité, plus il est important
qu’elles emploient du personnel local », d’après l’analyste.

Depuis la semaine dernière, un calme relatif règne à
Mogadiscio et la situation de sécurité est relativement stable
dans les autres régions du pays. Pourtant, les organismes d’aide humanitaire
s’attendent à continuer de rencontrer des difficultés dans la
mise en Å »uvre de leurs opérations au sein de la capitale
et aux alentours.

Bien que le gouvernement s’efforce de résoudre la situation manu militari,
celle-ci exige également la mise en marche d’un processus politique,
ont souligné plusieurs sources, se faisant l’écho d’appels diplomatiques
lancés, notamment, par l’Union européenne et le Conseil de sécurité
des Nations Unies.

En outre, les nouveaux besoins engendrés par de récents affrontements
sont peu susceptibles d’être comblés par les programmes existants,
et les ONG, de même que les agences de l’ONU, souhaitent renforcer leur
présence.

« Nous voulons nous rendre sur place, mais le terrain n’a pas encore
l’air d’être propice à la mise en place d’opérations »,
a dit Toby Kaye, de l’organisation britannique Save the Children.

En démarrant un nouveau programme dans une nouvelle région,
une ONG s’expose à de plus gros risques de sécurité qu’en
réorientant un programme déjà opérationnel, puisque
les dispositions en matière de contrat et de recrutement doivent être
établies et peuvent constituer une question délicate, a-t-il
dit.

Selon un représentant d’une ONG, les escortes armées
à Mogadiscio et aux alentours constituent également une question
critique. Des attaques, des explosions et des assassinats ont lieu sur les
routes principales.

« Choisir une escorte est un dilemme inextricable
», a-t-il expliqué, puisque les escortes rangées du côté
du gouvernement peuvent être la cible des insurgés tandis que
les gardes indépendants risquent d’être désarmés
de force par le gouvernement de transition fédéral (GTF) ou
les forces éthiopiennes.