29/05/07 (B397) SURVIE / Bulletin d’Afrique B 359 – A lire sous la plume de Jean-Loup Schaal : Somalie / La bataille de Mogadiscio.

Un
désastre humanitaire considérable et des rumeurs de génocide
dans le Sud du pays, couvertes par un profond silence.

Après
la prise quasi-totale de la Somalie par les forces des tribunaux islamiques
cet été, l’Armée éthiopienne, soutenue en
sous-main par les Américains, avait pénétré en
décembre 2006 sur le territoire somalien. Elle avait ensuite investi
Mogadiscio pour permettre la réinstallation du Président du
Gouvernement Fédéral de Transition (GFT).

Faisant face à
de nombreux attentats meurtriers à Mogadiscio et à des attaques
contre l’aéroport (deux avions de transport des troupes ougandaises
abattus), les forces éthiopiennes ont décidé de prendre
les choses en main. Le 21 mars, elles ont lancé une grande offensive
dans les rues de la capitale. Très vite, après avoir perdu un
hélicoptère touché par une roquette, elles ont privilégié
les moyens terrestres.

Les combats se sont achevés le 27 avril
2007, les forces armées éthiopiennes ayant réussi à
faire taire les derniers îlots de résistance. Mais ont-elles
gagné la guerre ?

Probablement pas encore. Il semble que de
nombreux islamistes aient réussi à s’enfuir ou à
se cacher et qu’ils soient en mesure de reconstituer leurs forces pour
lancer des opérations de guérilla et des attaques suicides.
On signale d’ailleurs depuis plusieurs jours des attentats à
Mogadiscio. Notamment ces deux bombes qui ont explosé au passage de
John Holmes, responsable des actions humaines de l’ONU, en visite officielle
le 12 mai. Il aurait repris aussitôt, l’avion de retour vers des
zones plus calmes, tout en se déclarant choqué des constatations
qu’il avait effectuées sur place …

Un
désastre humanitaire de grande ampleur

Outre les milliers de civils
qui ont perdu la vie ou qui ont été blessés gravement
et que les hôpitaux surchargés (parfois visés par les
troupes éthiopiennes) ne peuvent plus accueillir, la bataille de Mogadiscio
a provoqué la fuite d’environ 400.000 personnes.

Lâchés sur les routes, sans abri, ni subsistances, ces habitants
se sont éparpillés dans le pays, en proie aux pillards, aux
maladies (une épidémie de choléra en particulier se développe
dans le pays). Plusieurs organisations internationales ont été
freinées dans leur action, par la guerre mais aussi par le refus tatillon
des douanes aux ordres du GFT.

Selon des informations crédibles, ce serait une véritable
chasse à l’homme, non couverte par les médias, qui se
déroulerait dans le Sud.
L’ONU et le HCR n’en
font pas état et pourtant elles ne peuvent ignorer les faits gravissimes
qui s’y déroulent. Le représentant de la Ligue des Droits
Humains à Djibouti (LDDH), pourtant mesuré, parle d’un
nouvel Darfour dans un communiqué. Mais chut, c’est secret international
!!!

En parallèle de nombreux somaliens ont tenté de gagner les côtes
du Yémen, via des passeurs « pirates » qui n’hésitent
pas à jeter par-dessus bord dans une mer infestée de requins,
les passagers qui ont acquitté le prix exorbitant du transfert maritime.
Ceux qui réussissent à rejoindre la côte yéménite
ne sont pas au bout de leur peine. Avant de gagner des campements de fortune
où ils sont parqués (avec un « petit » minimum d’assistance
délivrés par les organisations internationales, dont les moyens
financiers ont été récemment réduits), ils doivent
affronter l’avidité et les fantasmes des policiers et des militaires
qui patrouillent.

Certains hommes doivent tout donner, y compris
leurs vêtements et les femmes sont fréquemment violées


Malgré le désastre, le Gouvernement Fédéral de
Transition parle d’une ville de Mogadiscio renaissante. Pourtant seules
4.000 personnes sur 400.000 déplacées seraient retournées
en ville, où les bulldozers éthiopiens rasent toutes les échoppes
et les maisons des quartiers populaires. Les correspondants de presse parlent
plutôt d’une ville « en pleine destruction » : un
film d’horreur, dénonce un civil, interrogé par la BBC.

La
force multinationale de la Paix tarde à se mettre en place.

Sur les
8.000 hommes promis par plusieurs pays africains, seuls 1.600 ougandais sont
arrivés sur place pour être les spectateurs de l’offensive
éthiopienne. Que peuvent-ils faire ? Observer et éviter d’être
pris pour cible. Ce qui pourtant est arrivé : l’Ouganda a perdu
plusieurs hommes depuis les débuts de son intervention au titre de
l’AMISOM.

Une situation qui n’incite pas les autres
pays contributeurs à envoyer des troupes.

D’autant que les risques d’attentats sont très élevés
: les tribunaux islamiques ayant lancé un appel à la guerre
sainte contre l’Ethiopie. Dans ce contexte, on comprend qu’ils
ne souhaitent pas s’engager dans le bourbier somalien.

Dans ces conditions, comment assurer le remplacement des forces éthiopiennes
?

La réponse de l’Union Africaine est claire : il est préférable
qu’elles restent sur place. C’est un moindre mal ! Faute de mieux.

Pendant ce temps, Méles Zenawi, le Premier Ministre éthiopien
multiplie les déclarations pour assurer sa promotion : « La guerre
coûte fort cher, mais nous assumons cette charge sur notre propre budget
». Puis perdant son sang-froid, il présente des chiffres
« à la baisse », minimisant de façon exagérée
le nombre de victimes et de personnes déplacées

Les
responsabilités de cette catastrophe ?

La
présence américaine dans la région et sa volonté
d’implication sont en partie à l’origine de ce nouveau
conflit.
Une tragédie humanitaire dont on ne mesure
pas encore toute l’ampleur, des zones entières étant encore
inaccessibles. C’est le cas dans le Sud du pays à la frontière
avec le Kenya qui a adopté une ligne pro-américaine sans concession.

L’aggravation de la situation somalienne (le pays vivait alors dans
un relatif équilibre sous la loi des chefs de guerre, ce qui n’était
déjà pas l’idéal !) remonte à l’intervention
américaine en février 2006, lorsque ces derniers ont financé
les chefs de guerre pour qu’ils traquent les islamistes. Rapidement
vaincus par les tribunaux militaires, les chefs de guerre et leurs milices
ont du leur céder le pouvoir dans tout le pays (à l’exception
de la minuscule enclave de Baïdoa où le Président du GFT,
son Gouvernement et l’Assemblée nationale s’étaient
repliés).

Pour tenter de régler le problème, les Américains
ont alors poussé l’Ethiopie à s’engager puis à
réaliser le nettoyage de Mogadiscio.

Au bout du compte, c’est le chaos le plus total qui menace la Somalie.
Qu’en serait-il si les Ethiopiens se retiraient ? Tous les coups seraient
alors permis : sans autorité, plus de loi. Les chefs de guerre reprendraient
probablement le contrôle de la ville de Mogadiscio qui regorge d’armes.

On peut craindre, dans les prochaines semaines, une multiplication
des attentats à Mogadiscio.

Pour l’heure, le GFT n’a pas la crédibilité ni l’autorité
nécessaires pour imposer la sécurité et la paix. Le risque
est de revenir à la case départ, avec un rétablissement
du système de l’autorité des chefs de guerre.

C’est la population civile qui aura,
au final, payé un tribut exorbitant.