09/06/07 (B399) AFP : Borrel : la Chancellerie française mise en cause par des documents inédits

Par Pierre ROCHICCIOLI

PARIS (AFP) – Des documents inédits saisis par la justice mettent
en cause la chancellerie française, dans l’affaire du juge Borrel,
qui se serait engagée à transmettre des documents aux autorités
djiboutiennes pourtant soupçonnées d’implication dans la
mort du juge à Djibouti en 1995.

Ces documents, que l’AFP a pu consulter, ont
été saisis en avril à Paris aux ministères
de la Justice et des Affaires étrangères par deux juges
chargées d’enquêter sur d’éventuelles pressions sur
la justice, en marge de l’enquête sur la mort du juge Borrel, un
dossier qui prend des allures d’affaire d’Etat.

Bernard Borrel avait été retrouvé mort
en 1995, le corps à demi-calciné, au pied d’un ravin. Djibouti
a conclu à un suicide mais l’enquête française privilégie
désormais la thèse de l’assassinat. Des témoignages
mettent directement en cause le président Ismaël Omar Guelleh
et son entourage.

Plusieurs des documents saisis montrent la volonté française
de satisfaire Djibouti où la France entretient sa première
base en Afrique avec 2.700 militaires.

« Je vous remercie de veiller à ce qu’il soit apporté
une réponse favorable à la demande formulée par les
autorités djiboutiennes », écrivait le 30 juillet 2004
Laurent Le Mesle, à l’époque directeur de cabinet du ministre
de la Justice Dominique Perben, dans une note adressée à
ses services.

Le 8 février 2005, la juge d’instruction chargée du dossier
Sophie Clément a refusé cette transmission, estimant que
la demande avait « pour unique but de prendre connaissance (…) de
pièces mettant en cause le procureur de la République de
Djibouti ».

Les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia sont chargées
de l’enquête sur d’éventuelles pressions sur la justice,
ouverte après une plainte de la veuve du juge, Elisabeth Borrel,
elle-même ancienne magistrate et persuadée que son mari a
été assassiné car il détenait des secrets
d’Etat.

Elle a déposé plainte à la suite d’un communiqué
de la Chancellerie du 29 janvier 2005, assurant qu’une copie du dossier
Borrel serait « prochainement transmise à la justice djiboutienne »,
qui en avait fait la demande.

Or, deux jours avant ce communiqué, M.
Le Mesle assurait encore à l’ambassadeur de Djibouti en France
avoir « demandé à ce que tout soit mis en oeuvre pour
que la copie du dossier d’instruction (…) soit transmise au ministre
de la Justice de Djibouti ».

M. Le Mesle, ancien conseiller du président Chirac aujourd’hui
procureur général de Paris, n’a pas souhaité répondre
à l’AFP. Mais, selon une source judiciaire, la décision
de la Chancellerie peut se justifier car la décision de transmission
du dossier à Djibouti lui revenait, après avis du juge,
en vertu d’un accord de coopération judiciaire bilatéral.
Au final, le dossier n’a pas été communiqué.

De nombreuses notes saisies montrent cependant la pression exercée
par Djibouti sur Paris, le président Guelleh ayant « fait de
la question de la transmission du dossier Borrel une affaire personnelle »,
selon un courrier du directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères
à M. Le Mesle le 30 mars 2005.

Les autorités djiboutiennes suggèrent
même un dessaisissement de la juge Clément. « Un tel
dessaisissement rassurerait ici », explique le 30 janvier 2005 l’ambassadeur
de France à Djibouti, Philippe Selz.

Finalement, Paris suggère à Djibouti d’attaquer la France
devant la cour internationale de justice (CIJ) pour faire plier la juge.
« Ils réfléchissent à notre idée de recours
à la CIJ », écrit l’ambassadeur Selz en rendant compte
le 25 juin 2005 d’un entretien avec le chef de la diplomatie djiboutienne.
(*)

Le 12 janvier 2006, Djibouti a saisi la CIJ contre la France pour avoir
manqué à ses devoirs d’entraide judiciaire.

(*) L’ARDHD défendait cette thèse
depuis de nombreux mois …