22/07/07 (B400) BERNARD BORREL : LA VERITE, DOUZE ANS APRES ! Par Claude MONIQUET, Président de l’ESISC (Info Lecteur)

Parfois,
la justice se hâte lentement.

Dans
l’affaire Borrel, elle a mis douze ans à commencer à reconnaître
une vérité qui aurait pu l’être depuis les premiers
jours de l’enquête.

Seuls
l’acharnement d’une veuve à obtenir justice, Madame Elisabeth
Borrel, l’honnêteté d’un homme
seul, un ancien officier qui a tout perdu, Monsieur Mohamed Saleh Aloumekani
,
et l’instruction sans concession d’une juge, Mme Sophie Clément,
ont fait sortir la vérité de l’ornière.

Le
19 octobre 1995, à Djibouti, était retrouvé au pied d’une
falaise le corps carbonisé de Bernard Borrel, magistrat français
détaché à Djibouti. Après avoir été
procureur de la République de Lisieux, monsieur Borrel, âgé
de 39 ans, avait été nommé conseiller technique du ministre
de la Justice, chargé, entre autres, de l’aider à éclaircir
les causes d’un attentat qui avait frappé des Français,
à Djibouti, en pleine guerre du Golfe.

Dès
les premières heures ayant suivi la découverte du corps, avant
même que celui-ci soit déplacé et qu’une autopsie
eut été pratiquée, l’ambassade de France à
Djibouti avisait le quai d’Orsay que le magistrat s’était
suicidé en s’immolant par le feu.

Belle
intuition qui donnera le ton de la position française pour les années
qui suivirent !

Pendant
plusieurs années, en effet, cette thèse restera, contre vents
et marées, la seule officielle. Ce qui importe avant tout à
la France de Monsieur Jacques Chirac, c’est de maintenir de bonnesrelations
avec Djibouti, qui abrite la principale base française de la région.
Coûte que coûte, fût-ce au mépris de la vérité
due à un fonctionnaire français mort en service et à
sa famille. Paris ne reculera devant rien pour préserver la belle amitié
qui nous unit à Djibouti : d’une justice couchée et ne
respectant pas les droits des parties civiles à une enquête plus
que partiale d’une Brigade criminelle aux ordres, en passant par les
intimidations de Madame Borrel et de témoins ou par les pressions plus
ou moins discrètes sur les médias, on aura droit à toute
la panoplie d’une« affaire d’Etat» aux relents nauséabonds
de Françafrique et d’intérêts occultes.

En
2000, un témoin clé sort de l’ombre: Monsieur Mohamed Saleh
Aloumekani, ancien officier de la garde présidentielle djiboutienne
en exil
–et dont nous honorons, à l’ESISC, qu’il
soit aujourd’hui l’un de nos collaborateurs – affirme avoir
entendu, le lendemain de la mort de Monsieur Borrel, dans les jardins du Palais
présidentiel, une conversation accablante entre plusieurs hommes.

L’un
d’eux n’était autre qu’Ismail Omar Guelleh, à
l’époque chef de cabinet du Président et responsable des
services de sécurité. Guelleh est aujourd’hui président
de la République. Ce 19 octobre 1995, des hommes de main venaient lui
affirmer que « le juge fouineur » était mort et «
qu’il n’y avait aucune trace ».

Entendu
à plusieurs reprises au cours des années qui suivirent, Monsieur
Aloumekani ne devait jamais varier d’un mot dans ses dépositions.
Enfin, après une enquête plus que chaotique et manifestement
orientée de manière à coller à la thèse
officielle, Madame Sophie Clément reprenait le dossier en juin 2002.

Elle
devait mener son instruction avec indépendance et diligence. Quand
il deviendra clair que l’affaire échappe à tout contrôle,
la France de Monsieur Chirac ira plus loin encore dans la voie du renoncement
: elle conseillera le président Guelleh quant aux meilleurs moyens
de… contre-attaquer. En 2004, le ministre de la Justice, Monsieur Perben,
s’engage à remettre une copie du dossier Borrel aux autorités
de Djibouti. La juge Clément refuse cette consigne qui visait exclusivement
à permettre à des personnes susceptibles d’être mises
en cause de prendre connaissance des éléments accumulés
contre eux.

Alors,
l’ambassade de France –qui ne peut agir de la sorte, on s’en
doute, qu’à l’initiative des plus hautes autorités
à Paris – avisera le président Guelleh que Djibouti peut introduire
un recours à la Cour internationale de Justice.

Une
ambassade française conseillant un gouvernement étranger sur
la meilleure manière de porter plainte contre Paris : c’est sans
doute là un cas unique dans les anales diplomatiques françaises
sinon mondiales…

Mais
la vérité est désormais en marche.

Le
19 juin 2007, Madame Elisabeth Borrel est reçue par le président
français de la République. Monsieur Sarkozy l’assure que
«son souci est la vérité ». Dans la soirée,
le parquet de Paris publie le communiqué suivant : « Le procureur
de la République de Paris, en accord et comme suite à la demande
de Mme Sophie Clément, vice-présidente chargée de l’instruction
de l’affaire Borrel, précise que si la thèse du suicide a pu
être un temps privilégiée, les éléments
recueillis notamment depuis 2002 militent en faveur d’un acte criminel. »

C’est
une première victoire.

L’acharnement
d’une veuve,d’une magistrate et d’un homme seul ont porté
leurs fruits. Les relations entre Paris et Djibouti viennent de prendre un
sérieux coup de froid mais l’on peut désormais espérer
que Monsieur Bernard Borrel, mort pour la France, obtiendra enfin douze ans
après sa mort, ce à quoi il a droit : la justice.