25/06/07 (B401) METRO : La veuve courage

Par Caroline Brun, présidente du Comité éditorial de Metro

Cette femme digne ne laisse guère transparaître d’émotion sur son visage, ne donne pas dans le compassionnel à la mode, ni dans la médiatisation larmoyante. Elle égrène des faits, comme blindée. Elle réclame juste la vérité et la justice.

Voilà des années qu’on entend parler du juge Borrel – ce magistrat détaché comme conseiller du ministre djiboutien de la Justice et retrouvé mort en 1995 – sans vraiment écouter de quoi il s’agit. Pour beaucoup de raisons, toutes plus mauvaises les unes que les autres. Par négligence, sans doute. Parce que le sujet est complexe, aussi. Parce que Djibouti, c’est loin. Parce que douze ans, c’est long.

Pourtant, depuis peu, cette extraordinaire affaire qui mêle la “Françafrique” de Chirac, les services secrets de plusieurs pays, la géostratégie internationale, la lutte contre le terrorisme et le soupçon de la raison d’Etat… est en train de passer de l’ombre à la lumière.

Par le courage et l’acharnement d’une veuve de magistrat qui ne se contente pas de la version officielle du suicide de son mari. Par l’obsession d’une femme rongée par le doute, depuis 12 ans. Minée par les rumeurs, par les refus de ses pairs et de l’appareil d’Etat, par cette certitude intime qui l’habite : non, son mari n’a pas pu se donner la mort. Parce que l’hypothèse du suicide changeait aussi la valeur du seul trésor qui lui restait, de sa vie passée : ses souvenirs.

Cette femme digne ne laisse guère transparaître d’émotion sur son visage, ne donne pas dans le compassionnel à la mode, ni dans la médiatisation larmoyante. Elle égrène des faits, comme blindée. Elle réclame juste la vérité et la justice.

Par une incroyable accélération du calendrier, l’affaire a franchi plus d’étapes en quelques semaines qu’en bien des années. Perquisition surprise au Quai d’Orsay et à l’Elysée des juges en charge de l’affaire ; divulgation d’une note (controversée) faisant état de pressions sur une radio très écoutée en Afrique ; conférence de presse bruyante au cours de laquelle Madame Borrel en appelle au Président Sarkozy pour faire respecter le droit ; hésitations du “Château” (la recevoir ou pas ?) ; entretien avec Nicolas Sarkozy ; et enfin, reconnaissance, par les instances judiciaires (le procureur de la République Jean-Claude Marin), du bien-fondé de la thèse de l’homicide, et non plus de celle du suicide.

Après tant d’années de combat, cette évolution à marche forcée du dossier a dû donner le tournis à Mme Borrel. Bien sûr, il ne faut pas préjuger du dénouement judiciaire de l’affaire, ni des responsabilités qui pourront effectivement être pointées. Mais en recevant personnellement la veuve du magistrat français, Nicolas Sarkozy a symboliquement donné un coup de vieux à une certaine conception de la raison d’Etat. A la justice d’avancer !