04/07/07 (B402) SURVIE / BIllets d’Afrique N° 160 : Affaire Borrel / Les pieds dans le tapis djiboutien (A lire sous la signature de Jean-Loup Schaal)

Un communiqué publié par le Quai d’Orsay à l’origine des révélations sur les entraves de l’appareil d’Etat dans l’affaire Borrel. Remake de l’arroseur arrosé, version françafrique !

Le début de l’histoire remonte au 29 janvier 2005. Ce jour là, Hervé Ladsous, porte-parole du Ministère des Affaires étrangères, publie un communiqué affirmant que rien ne permet d’accuser les autorités djiboutiennes dans l’assassinat du juge Borrel et qu’une copie du dossier d’instruction leur sera prochainement transmise.

Se doutait-il du cataclysme qui allait atteindre deux ans plus tard Jacques Chirac ?

La Juge Sophie Clément avait naturellement refusé que la copie de son dossier (on parle de 30 tonnes) soit envoyée à Djibouti. Logique, puisque plusieurs personnalités très proches du pouvoir à Djibouti étaient mises en cause. Dans ce contexte, un procès local aurait mis un point final à la recherche de la vérité, à l’identification des meurtriers et à la confirmation du nom du commanditaire.

Du coup, Madame Borrel avait déposé une plainte pour tentative de pression sur la justice, contre le porte-parole du Ministre des Affaires étrangères. Devenu Ambassadeur de France en Chine, Hervé Ladsous a donc été entendu comme témoin assisté par les juges Pous et Ganascia. Il affirme s’être borné à publier un communiqué préparé par le cabinet du ministre de la Justice.

Et d’ajouter : "Quelqu’un aurait dû connaître la bonne procédure (…), c’était le métier du ministère de la Justice !". Les deux ministères avaient seulement "oublié" que les magistrats étaient indépendants et que la séparation des pouvoirs législatifs, judiciaires et exécutifs était inscrite dans la Constitution.

L’implication révelée de Jacques Chirac.

L’instruction de cette plainte, en marge de l’instruction pour assassinat, a donc fourni les premières preuves des protections dont a bénéficié le dictateur djiboutien, Ismaël Omar Guelleh. Les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia ont perquisitionné au Quai d’Orsay et au Ministère de la Justice, avant de se faire refuser l’accès à la cellule africaine de l’Elysée. On savait qu’elles avaient emporté de nombreuses pièces et des supports informatiques, mais on en ignorait le contenu.

Les informations ont filtré, reprises par l’AFP et plusieurs quotidiens dont Le Monde, Libération et le Nouvel Obs. Elles sont explosives. Ainsi des instructions avaient été données, le 30 juillet 2004, par Laurent Le Mesle, le directeur de cabinet du Garde des Sceaux, Pascal Clément (ou Dominique Perben ?) : "Je vous remercie de veiller à ce qu’il soit apporté une réponse favorable à la demande formulée par les autorités djiboutiennes".

Pire encore : c’est l’Elysée qui, face au refus de la Juge Sophie Clément, a conseillé à la République de Djibouti de porter plainte en janvier 2006 contre la France devant la Cour internationale de Justice de La Haye. La France prenant l’engagement d’accepter cette juridiction, alors qu’elle n’en avait pas l’obligation : elle l’a fait en août 2006, respectant ses engagements vis-à-vis du dictateur !

La situation est probablement inédite dans les annales de la République : un Président français en exercice recommandant à une puissance étrangère de porter plainte contre son propre pays. Aux dernières nouvelles, Jacques Chirac ne devrait pas être auditionné ni par les Juges Pous et Ganascia, ni par la Juge Clément (France Info du 26 juin 07).

Pourrait-t-il être poursuivi pour forfaiture?

Il y a fort à parier qu’il se retrancherait derrière l’immunité (article 67) qui protège tous les actes accomplis en qualité de Président de la République. Seule une décision de la majorité des députés pourrait renvoyer l’affaire devant la Haute Cour de Justice. Or avec une Chambre bleue UMP, on voit mal un vote favorable sauf … si le nouveau président de la République donnait une indication qui toucherait gravement son prédécesseur ? Possible mais quand même très peu probable !

Elisabeth Borrel faisait également état, le 13 juin dernier, de pressions sur la presse, en citant le cas d’un journaliste de RFI travaillant sur le dossier Borrel, David Severnay. Une note diplomatique de l’ambassadeur de France à Djibouti, Philippe Selz, du 24 janvier 2005, saisie par la justice au Quai d’Orsay suggère que Djibouti a effectivement demandé sa mise à l’écart.

Le traitement de l’affaire par RFI, radio financée à 60% par le Quai d’Orsay avait provoqué en janvier 2005 les foudres de Djibouti qui avait coupé l’émetteur local.

En interne, le retrait d’un article de David Servenay sur le site internet de la station avait été dénoncé par le personnel comme "un cas de censure". Face au tollé général, la direction de la station avait été contrainte de le remettre en ligne, mais avec une introduction présentant avantageusement la position des autorités djiboutiennes.

Les trois engagements de Sarkozy

Elisabeth Borrel a été reçu, à sa demande, par Nicolas Sarkozy. Une entrevue fructueuse, selon Madame Borrel, raccompagnée ostensiblement aux portes de l’Elysée en présence des photographes.

A cette occasion, Nicolas Sarkozy a pris trois engagements :

convaincre la Cour de Justice de La Haye d’entendre Elisabeth Borrel,

mettre fin à toutes entraves de l’instruction,

faire reconnaître officiellement la thèse de l’assassinat par le Parquet de Paris.

Celui-ci s’est exécuté le soir même. Cela faisait juste 5 ans que les preuves du crime étaient dans le dossier.

La Juge Clément avait d’ailleurs demandé, en vain, cette mise au point, alors que la thèse du suicide était encore, ces dernières semaines, relayées par Paris-Match et Europe N°1. Le coup de pied de l’âne est venu de Djibouti qui clame désormais que la Justice française n’est pas indépendante… puisqu’elle s’exécute sur demande du Président de la République ! Cette remarque aurait pu être évitée, si le procureur avait mis les choses au point dès 2002, date de l’autopsie qui a révélé l’assassinat.

Reste le cas de Laurent Le Mesle, mis en cause dans l’affaire à l’époque où il était directeur de cabinet du Garde des Sceaux. Problème et non des moindres : Laurent Le Mesle est devenu procureur général de Paris. Recommandera-t-il aux juges Pous et Ganascia, dépendant de sa juridiction, de convoquer Laurent Le Mesle, procureur général de Paris pour l’auditionner ? Les deux juges mettront-elles en examen leur patron ?

Une confusion des genres qui pourrait se régler par une belle lettre de démission. Mais ne rêvons pas !

Le rétablissement de la vérité sur l’affaire Borrel a fait plus de progrès, en quelques semaines, que ces douze dernières années, du moins sur le plan médiatique. Douze ans après.

Quand l’Etat français reconnaîtra-t-il enfin la vérité ? A quoi sert-il d’attendre et de repousser le moment où il ne sera plus possible de faire autrement sous la pression de la presse et de l’opinion publique ?