07/07/07 (B403) LE MONDE / ISMAËL OMAR GUELLEH, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE DJIBOUTI « Nous faisons la différence entre un triumvirat de juges militants et la France » (Info lectrice)

Le parquet de Paris vient de confirmer la thèse criminelle dans l’affaire du juge français Borrel, trouvé mort à Djibouti en 1995. Vous aviez retenu la thèse du suicide, cette évolution de l’enquête pose-t-elle un problème à la République de Djibouti ?

Un communiqué du parquet ne constitue pas un rebondissement. Si une juge enquête depuis des années, c’est bien parce qu’elle estime être en présence d’un crime ! Quand nous avons appris par la presse que des expertises établiraient de manière irréfutable le caractère criminel du décès du juge Borrel, les autorités judiciaires djiboutiennes ont naturellement demandé, fin 2004, la copie du dossier d’instruction. C’est notre devoir d’identifier, d’arrêter et de châtier les auteurs de ce crime ! Alors que Djibouti a fourni à la France une coopération judiciaire exemplaire, la France, en retour, sous la pression d’un juge, a refusé d’honorer sa signature ! Et ce au motif que, dans le dossier, « mon entourage » est mis en cause.

Sur le plan médiatique oui, sur le plan judiciaire non ! Les Français ont pu enquêter sans entrave sur le sol de notre République. Ils ont même pu se rendre dans les bâtiments de la présidence de la République ! Ils ont fait ici ce qu’ils n’ont pas pu faire en France.

Le procureur de Djibouti, M. Souleiman, est suspecté de « pressions » sur d’ex-militaires djiboutiens, expatriés en Belgique, qui vous mettaient en cause. Quel a exactement été son rôle ?

Le procureur général Djama Souleiman est la première victime de la rupture de la coopération judiciaire. Il est hors de question qu’il défère à la convocation d’une institution qui refuse de coopérer avec nous en fondant ce refus sur le mépris des magistrats djiboutiens dont l’indépendance est ainsi niée ! Pourtant, le procureur général serait ravi de s’expliquer. Pourquoi un officier, déserteur, qui, pour obtenir l’asile politique, raconte n’importe quoi, est-il pris au sérieux ?

Vous avez été convoqué comme témoin par la juge en charge de l’enquête. Etes-vous disposé à témoigner devant la justice ?

Je suis le chef d’un Etat souverain et le juge ne peut ignorer les règles du droit international. C’est une convocation non pas destinée à faire progresser la vérité, mais à faire scandale au mépris du droit, des usages diplomatiques et de la courtoisie la plus élémentaire ; la juge Clément aurait-elle osé adresser, dans les mêmes conditions, via un fax adressé à l’ambassade de Djibouti, une telle convocation à un chef d’Etat européen ?

Nicolas Sarkozy s’est engagé en faveur de la thèse du crime. Cela vous inquiète-t-il ?

La République de Djibouti n’est mêlée ni de près ni de loin à la mort de Bernard Borrel ; dès lors, rien ne m’inquiète. J’ignore l’opinion du président de la République française sur cette affaire. Il n’en a exprimé aucune publiquement, à ma connaissance.

Le gouvernement français vous a-t-il encouragé, ainsi que l’attestent des documents officiels, à saisir la Cour internationale de justice (CIJ) afin d’obtenir une copie du dossier d’instruction ?

C’est une plaisanterie ! Alors que Djibouti a apporté une coopération exemplaire, la France, elle, a refusé d’honorer sa signature. Nous avons choisi la voix de la raison en saisissant la CIJ, juridiction internationale indépendante, qui statuera sur le refus de la France après un débat en audience publique. Nos juristes ont proposé cette voie et la France a eu la sagesse de reconnaître la compétence de la Cour, ce qui est la façon la plus civilisée de régler un litige entre Etats.

Existe-t-il un risque de crise diplomatique entre Djibouti et la France ?

Nous faisons la différence entre un triumvirat de juges militants et la France. La France est un pays ami et allié. Je ne vois, à ce jour, aucune raison que cela change. Mais nous ne voulons pas être l’otage de querelles franco-françaises. Nous sommes prêts à prendre nos responsabilités dans la recherche de la vérité. Je vais demander au garde des sceaux djiboutien de saisir son homologue français pour que nous soit communiquée non plus l’intégralité de la procédure, mais uniquement les éléments médico-légaux, pour nous permettre d’établir si crime il y a eu. Nous verrons bien qui a peur de la vérité !

Connaissiez-vous le juge Borrel ? Pouvait-il enquêter sur l’attentat du Café de Paris ?

Je ne connaissais pas M. Borrel. Par ailleurs, il n’avait aucun pouvoir d’investigation à Djibouti et n’avait autorité sur aucun service. Il a sans doute veillé à la bonne exécution des commissions rogatoires du juge français en charge du dossier du Café de Paris. Je vous rappelle que cette affaire a fait l’objet d’un procès public en France : l’affaire a été élucidée.

Le juge Borrel disposait-il d’informations compromettantes sur votre régime ?

Si le conseiller Borrel avait disposé d’informations « compromettantes » sur le « régime », je suis persuadé qu’il les aurait consignées dans une note ou qu’il aurait alerté sa hiérarchie en France, où il avait demandé sa mutation. Ou bien il aurait confié à sa famille ou à ses proches des éléments sérieux !

Avez-vous songé à un suicide dès la découverte du corps ?

La justice djiboutienne a mené une enquête. C’est nous qui avons établi le retrait d’argent important fait le matin par le juge Borrel ainsi que la découverte des lettres. A l’époque, ce retrait d’argent, qu’on a tenté de nous cacher, les lettres, l’achat du bidon d’essence, les témoignages de son entourage, qui le présentait comme déprimé, son souhait de quitter Djibouti, l’attitude même de son épouse, magistrat, tout laissait penser à un suicide.

Propos recueillis par Gérard Davet