23/07/07 (B405) LE MONDE Le gouvernement djiboutien, déçu par la France, se tourne vers les Etats-Unis et les pays du Golfe

Les relations franco-djiboutiennes ne sont pas en voie d’apaisement : envenimées par l' »affaire Borrel », elles s’orientent désormais vers une remise en cause, par le président djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, et son ministre des affaires étrangères, Mahmoud Ali Youssouf, de la coopération avec la France.

En recevant, le 19 juin à l’Elysée, Elisabeth Borrel, la veuve du juge français assassiné le 19 octobre 1995 à Djibouti, le président Nicolas Sarkozy a provoqué la colère des autorités djiboutiennes.

Paris a, certes, tenté de réparer les dégâts en envoyant une forte délégation française lors des cérémonies du 30e anniversaire de l’indépendance de Djibouti, le 27 juin, mais ces efforts diplomatiques ont fait long feu.

Alors que le témoignage, dans Le Figaro, d’un ancien agent du renseignement militaire français, Loïc Lucas, met en cause le président Guelleh, le chef de l’Etat et le ministre des affaires étrangères insistent de plus en plus sur les retombées positives de la présence militaire américaine dans leur pays (1 800 soldats sont basés au Camp Lemonier), pour mieux relativiser celles dues à la France.

Djibouti a d’ailleurs fait acte de candidature pour abriter l’un des quartiers généraux décentralisés du futur commandement américain en Afrique, Africom. La présence américaine, nous a indiqué M. Youssouf, a « un effet d’entraînement. Elle suscite la confiance et attire les investissements : depuis vingt-cinq ans, il n’y avait pas d’investissements des pays du Golfe à Djibouti. La présence américaine a changé cela, en renforçant considérablement le caractère attractif de Djibouti ».

Les Français évaluent à 160 millions d’euros par an les retombées économiques de la présence de leurs 2 900 soldats, et remarquent que ceux-ci concourent plus à l’économie locale, avec leurs familles, que les Américains qui importent des Etats-Unis l’essentiel de leurs besoins.

PROJET PHARAONIQUE

Ali Youssouf s’insurge toutefois contre une vision économique de la France « vieille de trente ans ». « Le monde a changé ! Djibouti a d’autres ambitions que de demeurer un petit pays qui vit de l’aide de la France. Laissez-moi vous dire que le rôle économique de la France est proche de zéro ! Nous répétons sans cesse que le secteur privé français doit venir prendre sa part dans la vie économique de Djibouti. Or il ne le fait pas : personne ne vient, personne n’investit ! » lance-t-il avant de conclure : « La France est en train de rater une occasion historique. Qu’elle cesse de croire que Djibouti n’est qu’une caserne de légionnaires ! »

Le président Guelleh est aussi vif dans sa critique de la France. « Il y a quelques années, confie-t-il au Monde, j’avais dit au gouvernement socialiste français que je préférerais accueillir des investisseurs français dans le domaine hôtelier que des militaires qui vivent en autarcie dans leurs casernes ! »

Quand on lui demande s’il est mécontent de la relation avec la France, le président répond sans ambages : « C’est toute l’Afrique qui est dans cet état d’esprit ! Les pays occidentaux ont lâché l’Afrique, l’aide publique au développement diminue de plus en plus, la volonté de ce continent de sortir de la misère n’est pas accompagnée. »

Les autorités de Djibouti ont multiplié les mesures incitatives pour attirer les investissements des pays du Golfe. Dubaï a pris en charge la gestion du port et a investi dans diverses infrastructures.

Le milliardaire saoudien Tarik Ben Laden (demi-frère d’Oussama) a lancé un projet pharaonique (19 milliards de dollars, soit près de 14 milliards d’euros) de construction d’un pont de 28 km de long entre Djibouti et le Yémen, projet auquel le président Guelleh tient beaucoup. « Le pont pourrait exister d’ici une dizaine d’années.

Le consortium est en place, les capitaux sont là, les banques se bousculent », assure-t-il en rêvant de transformer son pays en « petit Singapour ».

Laurent Zecchini