01/08/07 (B406) RUE89 / Kouchner: « Plus aisé d’intervenir en Somalie qu’au Darfour »

Par Stéphanie Braquehais (Journaliste)

(De Nairobi) C’est une pièce jointe qui circule de mail en mail au sein des milieux humanitaro-journalistiques de Nairobi, capitale kenyane, qui rassemble de nombreuses ONG, organismes de l’ONU et sièges de diverses diplomaties, envoyés spéciaux concernant la Somalie. La lettre ouverte est adressée à « Bernard Kuchner ». Comprenez Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères. Elle est signée depuis Asmara, capitale de l’Erythrée, du « président du Parlement somalien », Sharif Hassan Sheikh Aden, et surmontée de l’en-tête du gouvernement de transition de Somalie.

Avant de dévoiler le contenu de cette lettre, il faut évidemment préciser que Sharif Hassan Sheikh Aden n’est plus le président du Parlement somalien depuis le mois de janvier 2007. Il a été démis de ses fonctions par le président Abdullahi Yusuf, en raison de ses liens un peu embarrassants avec les tribunaux islamiques, défaits en décembre 2006 par l’armée éthiopienne (qui a agi sans mandat international). Une destitution, qui, à l’époque, avait été beaucoup critiquée par la communauté internationale, qui estimait que cela constituait un frein à la réconciliation nationale en Somalie, pays déchiré par la guerre civile depuis la fin des années 80.

Le contexte: Bernard Kouchner était à Addis-Abeba vendredi 27 juillet, pour rencontrer notamment le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, le président de la commission de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré, ainsi que le Premier ministre du gouvernement de transition somalien, Ali Mohamed Gedi. Il a notamment prononcé cette phrase qui a fait sauter au plafond plus d’un observateur averti (s’il en existe) de la scène somalienne : « On a tort de se détourner de la Somalie car il plus facile d’intervenir en Somalie qu’au Darfour, parce que les troupes seraient disponibles. En Somalie en effet, on n’exige pas une nationalité précise comme au Darfour, où Khartoum exige des soldats de nationalité uniquement africaine. » Bernard Kouchner se prononce donc en faveur d’une intervention rapide de l’ONU en Somalie.

Actuellement, seuls 1500 soldats ougandais de la force de maintien de la paix de l’Union africaine, (Amisom) sont présents à Mogadiscio, la capitale somalienne, en proie à des attaques à la bombe quotidiennes. Aucun autre pays africain (excepté le Burundi) n’a officiellement exprimé le souhait d’envoyer ses troupes au casse-pipe. Petit rappel: en avril 1992, la Somalie, en proie à la famine et à a des vagues d’épidémies, devient le théâtre d’une intervention de l’ONU. Rappelez vous, c’est alors le même Bernard Kouchner, ministre de la Santé et de l’Action humanitaire de Mitterrand, qui, le 5 décembre 1992, débarque sur les plages de Mogadiscio, sac de riz à l’épaule, déclarant aux journalistes embarqués pour l’opération: « Les Somaliens sentent le symbolisme de ce geste des enfants français » (l’opération « du riz pour la Somalie » avait été lancée dans les écoles françaises, 4000 tonnes de riz avaient été récupérées, voir le JT de France 2 du 5 décembre 1992).

Les Etats-Unis décident, en 1993, d’une opération « humanitaire » appelée Restore Hope, qui se solde par la mort de 18 soldats américains (ainsi que plusieurs centaines de Somaliens), au terme de la « bataille de Mogadiscio », que retrace le célèbre film « la Chute du faucon noir » réalisé par Ridley Scott. L’ONU envoie, en 1993, des casques bleus qui quittent définitivement le pays en 1995, après avoir perdu plus de 150 soldats.

L’auteur de la lettre, Sharif Hassan Sheikh Aden, est réfugié à Asmara, capitale de l’Erythrée. Ce voisin de la Somalie abrite depuis six mois de nombreux responsables des tribunaux islamiques, et a de nouveau été accusé par l’ONU de fournir des armes aux insurgés somaliens qui harcèlent les institutions du gouvernement de transition protégées par l’Ethiopie, ennemi de l’Erythrée.

Sans commencer à dresser l’impossible tableau d’un conflit aux mille tentacules, il s’agit simplement de relever comment les propos du ministre français ont été accueillis parmi les opposants somaliens. « Nous avions l’image d’un Bernard Kouchner défendeur des droits humains et soutien des populations victimes d’injustice à travers le monde. Aujourd’hui, malheureusement, il défend l’agression éthiopienne contre le peuple somalien. Nous souhaiterions rappeler à la mémoire de M. Kouchner, qu’en 1940, la France a été humiliée par la défaite contre les Nazis et qu’en 1945, vous auriez été prompts à dénoncer le Maréchal Pétain pour sa collaboration avec le régime de Hitler. La résistance somalie est une réponse franche à l’occupation éthiopienne, tout comme le peuple français a résisté à l’occupation allemande dans les années 40(…) . »

Sans s’attarder sur un rapprochement historique sans doute spécieux et contestable, cette réaction mérite tout de même d’être rapportée, car affirmer qu’il est plus facile d’intervenir en Somalie qu’au Darfour, simplement parce que la nationalité des troupes ne serait pas le prétexte à des négociations sans fin comme au Soudan, c’est risquer de s’attirer les foudres de toutes parts.