04/09/07 (B411) LE MONDE : JUSTICE RENCONTRE ENTRE LES DEUX PRÉSIDENTS EN 2005

M. Chirac serait intervenu pour aider Djibouti dans l’affaire Borrel

JACQUES CHIRAC a-t-il suggéré, en 2005, au président djiboutien Ismaël Omar Guelleh de saisir la Cour internationale de justice (CIJ), dans le cadre de l’affaire Borrel, ce magistrat français mort en 1995 à Djibouti ? Plusieurs notes saisies lors des perquisitions en avril aux ministères des affaires étrangères et de la justice, dans le cadre de l’affaire Borrel (Le Monde daté 10 et 11 juin) montrent que le sujet a été abordé entre les deux chefs d’Etat.

L’idée était de permettre à Djibouti d’avoir accès au dossier judiciaire français, qui met en cause dans cette affaire l’entourage du chef de l’Etat djiboutien. Dans une note destinée à préparer cette rencontre entre M. Chirac et M. Guelleh, le 17 mai 2005, le Quai d’Orsay propose ces éléments de langage : « Je vous suggère que nous unissions nos efforts pour une gestion conjointe de cette affaire. »

Le 25 juin, l’ambassadeur de France à Djibouti résume dans un télégramme diplomatique sa rencontre avec le ministre des affaires étrangères : « Il a ajouté que les autorités djiboutiennes « réfléchissaient à notre idée de recours à la CIJ et aussi à la possibilité d’explorer d’autres voies ». Nous serions « sans doute bientôt approchés à propos de cette idée de recours à la CIJ » ayant noté que « la France n’y verrait pas d’obstacle ». »

« ASSURANCES FORMELLES »

Le 28 juillet, Dominique de Villepin reçoit son homologue djiboutien Mohamed Dileita. Dans les notes préparatoires, saisies lors des perquisitions, le Quai d’Orsay suggère : « Nos présidents ont évoqué la possibilité d’une action devant la CIJ, nous n’y sommes pas opposés. » Les notes précisent : « Il s’agit d’une procédure lourde, complexe juridiquement et publique. »

Le 29 juillet, une note de la direction d’Afrique et de l’océan Indien revient sur la rencontre en précisant : « Cela s’est très bien passé, mais M. de Villepin, interrogé sur la procédure CIJ, n’a rien dit… » La même note évoque cette procédure : « En sortant de son entretien avec le PR (président de la République), IOG avait quasiment compris que cette histoire de CIJ était une simple formalité et qu’après un échange de courrier ils auraient le dossier dans les quinze jours… »

Le 28 juillet, une réunion juridique a lieu au ministère des affaires étrangères avec l’ambassadeur de Djibouti à Paris : « L’ambassadeur (…) a indiqué qu’en effet son pays avait reçu des assurances formelles du ministère de la justice pour l’obtention du dossier intégral de la procédure et qu’il ne pouvait être question de laisser ce refus d’entraide sans réaction de la part de son gouvernement. » Le Quai d’Orsay fait part des inconvénients de cette saisine.

Un ex-conseiller de l’Elysée dément que l’idée de la saisine de la CIJ vienne de la France et assure qu’il s’agit d’une idée de Djibouti. « L’idée de la saisine a été arrêtée par les juristes djiboutiens », explique l’avocat de Djibouti, Francis Szpiner.

Le 9 janvier 2006, Djibouti saisit la Cour internationale de justice pour violation des dispositions de la convention bilatérale d’entraide judiciaire entre la France et Djibouti. L’accord de la France était nécessaire pour la suite de la procédure.

Sur une note du 31 janvier 2006 des services juridiques, Pierre Vimont, le directeur du cabinet du ministre des affaires étrangères, écrit, à la main : « Nous devons aller de l’avant en partant du principe que nous acceptons la compétence de la Cour. » La France a accepté en août 2006. Par ailleurs, le procureur général de Paris et ancien directeur de cabinet du garde des sceaux, Laurent Le Mesle – dont plusieurs notes montrent qu’il a demandé la transmission du dossier judiciaire à Djibouti -, a démenti « de la façon la plus solennelle », dans un communiqué, avoir « exercé de pression sur la justice ».

Alain Salles