05/09/07 (B411) LE DAUPHINE LIBERE : L’assassinat de son mari, juge français délégué à Djibouti, a été maquillé en suicide. (Info lectrice)

Elisabeth Borrel, refusant “une fausse raison d’État”, se bat depuis douze ans pour que la vérité éclate. La Savoyarde obstinée commence à obtenir des résultats, ce qui ne plaît pas à tout le monde.

Son teint hâlé ne doit rien au triste été Savoyard. Elle vient d’effectuer une croisière autour de la Méditerranée. Louis-Alexandre et François-Xavier, ses deux fils, l’accompagnaient : “Je leur avais promis, quoi qu’il arrive, de fêter mes 50 ans”.

De retour à Chambéry, sa ville natale, Elisabeth Borrel mesure le chemin parcouru.

Que d’obstacles et d’embûches, Seigneur ! La trajectoire de cette fille de prof, magistrate, épouse de juge, catholique pratiquante et “déçue de 1981” s’annonçait pourtant rectiligne.

Une vie en ligne droite. Elle sera de celles, portée par des valeurs solides, que rien ne détourne de leur devoir. La belle architecture s’est effondrée le 19 octobre 1995.

Ce matin-là, elle est devenue la “veuve Borrel”, lorsque le consul de France à Djibouti lui annonce le suicide de son mari. La famille habitait alors dans cette ancienne colonie. Bernard Borrel, pour une mission de coopération, s’y trouve détaché auprès du ministre de la Justice.

On a retrouvé son corps parmi les broussailles, en face de l’île du Diable. Il se serait lui-même déshabillé, avant de s’immoler par le feu puis de s’élancer sur les rochers. Son cadavre, a demi calciné, gît dix-sept mètres plus bas.

“Mon nom était synonyme de paranoïa”

Telle est la version officielle, rapidement servie après le drame. Indécrottable légitimiste, et anéantie par la douleur, Elisabeth l’accepte. Comment ses pairs pourraient-ils lui mentir ? Une semaine plus tard, déboussolée, elle rentre à Toulouse.

Aux garçons, âgés de 8 et 5 ans, elle dira que papa a eu un accident. Début 1996, elle reprend le travail – chargée des tutelles au tribunal d’instance. C’est ici, longtemps après le choc, que les premiers doutes ont germé. Il y a l’omniprésence de ces soldats français, fouillant l’appartement et les affaires du défunt. Le résultat de l’autopsie qui tarde, les mystères entourant l’enquête sur place. Elisabeth demande un autre examen médico-légal.

Aucune trace de suie dans les poumons, Bernard serait donc mort avant d’être brûlé ! La Savoyarde têtue, à qui l’on veut imposer le secret, se forge une conviction. Il s’agit bien d’un assassinat. Voilà ce qu’elle proclame, haut et fort, en 1997. Une poignée de fidèles soutient son combat, mais le reste du monde ricane. A commencer par ses chers collègues : “Mon nom, dans leur bouche, était synonyme de paranoïa, délire de persécution. Même mon chef de juridiction a voulu me faire passer pour folle”.

Elle a dû surmonter ça, élever seule ses enfants, et encore vaincre un cancer. Mais rien ne saura altérer sa volonté farouche, digne d’une héroïne de tragédie. La rage d’Antigone et la confiance de Pénélope.

La police, maintenant, calomnie son mari. Les enquêteurs le dépeignent en époux volage, fumeur de joint, proche d’un pédophile.

Lui, si droit, presque raide, officier de réserve dans la Marine, fils unique élevé chez les Jésuites, procureur à 33 ans…

A chaque démarche que la veuve entreprend, on lui claque la porte au nez.

Jusqu’en 2002. De nouvelles expertises démontrent que la victime a reçu un coup mortel à la tête. De plus, deux empreintes d’ADN masculin sont identifiées sur son short. Vous avez dit “suicide”?

La “folle”, à force d’insistance, vient de remporter une première victoire. Inespérée.

On lui conseille de s’en tenir là. C’est mal la connaître : “Je ne m’arrêterai pas avant de tout savoir.

Je refuse de m’incliner devant une fausse raison d’Etat brandie comme un certificat d’impunité par ceux qui craignent que la vérité éclate”.

L’étau se resserre autour du président djiboutien.

Elle n’hésite pas à incriminer le président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh – alias I.O.G. Celui-là, à qui Jacques Chirac distribue généreusement l’accolade, aurait commandité le crime. Un témoin raconte comment ses tueurs lui ont rendu compte de l’opération : “Le juge fouineur est mort, il n’y a plus de trace”. Voilà donc jusqu’où devra remonter l’instruction…

Le 19 juin 2007, un autre mur tombe. Nicolas Sarkozy, chantre de la “transparence”, reçoit longuement la plaignante à l’Elysée. “Cela met fin à un mépris hallucinant de plus de douze ans”, commente son avocat, Me Olivier Morice. Dans la foulée, le procureur de Paris admet “l’origine criminelle” du décès. Manière d’enfoncer une porte ouverte depuis des lustres.

Et le mobile ?

En arrière-plan du fait divers, se profile tout un réseau d’intérêts politico-mafieux. A Djibouti, “nid de ripous”, les magouilles en tous genres prospèrent – y compris au coeur de notre base militaire.

De quoi échafauder des hypothèses : “Trafic d’armes, de stupéfiants ou même de plutonium,

Bernard a dû découvrir quelque chose de gênant…”

La justice française, après tant d’immobilisme, se réveille enfin. Mardi dernier, elle a renvoyé devant le tribunal correctionnel de Versailles deux éminents personnages djiboutiens. L’un est procureur général du pays, l’autre dirige les services secrets.

Quand même.

On leur reproche d’avoir exercé de fortes pressions sur “les principaux témoins de l’affaire”.

Petit à petit, l’étau se resserre autour d’I.O.G, le chef d’Etat présumé “intouchable”.

La veuve Borrel peut donc recommencer à sourire : “Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours eu le pressentiment que 2007 serait une merveilleuse année”…Même si des escrocs, pendant les vacances, ont utilisé son numéro de carte bleue : “Je passe à la banque, il me manque 1 500 euros ! ”.L’essentiel est ailleurs, évidemment.

Plus personne, désormais, n’ose la recommander aux bons soins de la psychiatrie.

Ni remettre en cause le meurtre abominable de son mari. La manipulation a fait long feu.

Bientôt, les méchants seront punis et les justes reconnus.

Comme dans l’Evangile, ou comme au cinéma. Là où tout a commencé : “J’ai vu ce film, Chiens perdus sans collier avec Jean Gabin qui incarnait un juge des enfants, magnifique d’humanité. Ce jour-là, j’ai décidé de devenir magistrate”. Ça se passait dans une salle obscure du vieux Chambéry. Elisabeth avait 11 ans.

Gilles DEBERNARDI