28/09/07 (B415) RUE 89 / « Voyage organisé » dans un camp de réfugiés somaliens (Info lectrice)

Par Stéphanie Braquehais (Journaliste)

Sentiment de malaise lors d’une visite, organisée par l’ONU, parmi ceux qui ont fui la guerre civile qui fait rage à Mogadiscio.

On appelle cela des « camps ». On aimerait trouver un autre qualificatif. A quelque 80 kilomètres de Mogadiscio, des centaines de milliers de personnes ont fui les combats depuis le printemps et continuent à les fuir.

Chaque jour, la capitale somalienne voit son lot de bombes télécommandées qui explosent, de civils pris en otage dans des affrontements entre les insurgés et les Ethiopiens qui soutiennent le gouvernement de transition. Ils font partie des dommages collatéraux de cette guerre civile qui n’en finit pas, où les conflits entre clans se superposent à des intérêts régionaux et internationaux.

« Vous avez quatre heures sur place »

Sur la route de l’ouest, qui relie Johwar à Baidoa, l’ancien siège du gouvernement de transition, des périmètres de tentes minuscules couvertes de pagnes délavés, serrées à moins d’un mètre les unes contre les autres sont disséminés un peu partout. C’est là qu’un organisme de l’ONU choisit d’emmener la presse internationale basée à Nairobi pour constater « l’urgence ». 80% des déplacés n’ont pas accès à l’eau potable disent les statistiques. Les prix des céréales ont quasiment doublé depuis sept mois. 325000 personnes ont fui Mogadiscio.

L’avion décolle à 4h30 du matin pour atterrir 2h30 plus tard sur la piste défoncée de Johwar. Ensuite, des 4×4 climatisés nous conduisent sur une route qui fut un jour bitumée. Une route construite par les Italiens pendant la colonisation, parsemée de trous béants, laissés par les lourds camions commerciaux et les inondations successives depuis seize ans. Ici, on ne parle pas encore des effets du réchauffement climatique. Les inondations sont dues à la destruction de tous les canaux et barrages construits durant la période de Siad Barré, lorsqu’ il y avait un Etat en Somalie.

Derrière la vitre, des marais peuplés de flamands roses et d’autres oiseaux dont j’ignore le nom, pourraient faire songer un instant que nous partons en Safari et que nous allons voir des animaux. C’est presque ça malheureusement. « Vous avez 4 heures sur place. L’avion décolle à 13h30 dernier délai, nous informe un responsable de cette agence. Restez un instant ici s’il vous plaît, je dois d’abord vous faire un briefing sécurité. Ne vous laissez pas encercler par une foule, gardez toujours un chemin pour vous échapper. Si la tension monte et que les soldats commencent à tirer en l’air, couchez vous par terre. » Ambiance.

Chasse au traducteur

Les journalistes femmes arborent un léger voile sur la tête, comme on leur a recommandé de le faire. En même temps, certaines portent un jean serré et chemisier ajusté… En 2006, lorsque les tribunaux islamiques étaient au pouvoir, on savait qu’il fallait se voiler. Désormais, on ne sait plus très bien. C’est le ramadan, on n’ose pas fumer. Pourtant, un soldat, AK47 sur l’épaule vient nous murmurer en italien de lui filer une clope.

Arrivée dans le premier camp. « Vous avez trente minutes. » C’est alors que la chasse au traducteur fait resurgir les réflexes cyniques et nécessaires du journaliste soucieux de rapporter l’interview de la femme en pleurs qui évoque au travers de phrases sibyllines, les obus sur sa maison, le départ à pied avec ses sept enfants et le soulagement de voir les distributions de nourriture. On joue des coudes pour ne pas partager le scoop. Des attroupements se forment autour de ces Blancs stressés.

-Pourquoi avez-vous fui? Que pensez-vous de la situation à Mogadiscio?

-J’ai peur des bombes, je n’avais pas de nourriture, mais maintenant, il y a l’aide alimentaire. Merci le PAM.

On se croirait au Darfour. Les jenjawids en moins. Soudain, on nous écarte du passage. Des femmes sont en train de crier et de se battre pour obtenir un sac de maïs et paraissent indifférentes aux coups de brindilles que leur infligent des miliciens propulsés soldats depuis quelques mois, qui peinent à contenir cette détresse et redoublent de rage pour se faire respecter.

« A Mogadiscio, les combats sont quotidiens »

Le vice gouverneur contemple la scène sans ciller. « L’administration se met en place, les ministères se forment pour venir en aide à la communauté. Mais nous avons besoin de l’aide internationale », clame-t-il lors d’une conférence de presse improvisée. « Que pensez vous des Ethiopiens présents à Mogadiscio. Ici, il n’y a pas d’Ethiopiens et c’est la paix, alors qu’à Mogadiscio, les combats sont quotidiens entre les Ethiopiens et les insurgés? » C’est un journaliste de la presse américaine qui l’interpelle. « C’est le gouvernement somalien qui a fait appel à eux pour rétablir la paix. »

C’est l’heure de repartir. Des petites filles, âgées d’une douzaine d’années s’approchent et désignent le voile que je porte sur la tête. Elles me font signe de le resserrer un peu. Elles rient. Un photographe les prend en photo, leur montre le résultat. Les yeux ronds, elles approchent leur doigt sans oser toucher cette image qu’elles ont peine à reconnaître. Petit instant de grâce, début d’échange, que le chauffeur de la 4×4 climatisée rompt soudain en actionnant la fermeture des vitres. Pschitt ! D’un geste de la main, il les invite à s’écarter. Elles s’enfuient en courant, puis elles reviennent, font au revoir de la main. Ciao, Ciao sussurent-elles en chœur